Pour la troisième fois, après nos débats de novembre puis de février dernier, notre commission est saisie par le Gouvernement d'une demande de prorogation de l'état d'urgence.
Beaucoup, presque tout a déjà été dit sur l'état d'urgence, son objet et ses modalités. Les appréciations diverses que suscite ce temps d'exception ont été maintes fois exprimées, parfois avec la nuance qui garantit davantage une belle exposition médiatique qu'elle ne témoigne d'un souci de vérité… Ainsi quelques-uns n'ont-ils eu de cesse de dénoncer un recours gouvernemental à l'état d'urgence qui, à leurs yeux, ne visait qu'à limiter la liberté d'expression. On voit que ces oracles ont nourri un procès d'intention contredit par les faits. D'autres, à l'inverse, rêvaient de l'état d'urgence pour légitimer juridiquement la suspension des libertés publiques, au premier rang desquelles le droit de manifester. Tant que la majorité et le Gouvernement seront ce qu'ils sont, il n'en sera naturellement jamais question.
L'état d'urgence, tel que nous le concevions, c'est un choix de responsabilité, de fermeté, d'efficacité. C'est un choix difficile, mais assumé, dans le strict respect du cadre légal que nous avons adapté à son temps en novembre 2015, sous un étroit contrôle juridictionnel et parlementaire.
Ce contrôle parlementaire inédit, notre président Dominique Raimbourg et notre collègue Jean-Frédéric Poisson viennent d'en dresser un bilan précis auquel je n'ai rien à ajouter. Je me contenterai de saluer leur travail, où l'on retrouve intacte la vigilance des débuts.
Pour nous prononcer sur la demande du Gouvernement, la première question qu'il nous revient de trancher est la permanence de la menace.
Le souvenir des attentats meurtriers de novembre en Seine-Saint-Denis et à Paris, après ceux de janvier 2015, est naturellement encore vif dans toutes les mémoires. Beaucoup d'autres ont malheureusement été perpétrés depuis, partout dans le monde : au Proche et au Moyen-Orient ; en Afrique de l'Ouest, en particulier en Côte-d'Ivoire, où des ressortissants et des intérêts français ont été frappés le 13 mars dernier.
Mais ce sont les attentats de Bruxelles, survenus le 22 mars, qui illustrent le mieux la persistance de la menace, par leur proximité géographique, ainsi que par le lien direct – pour ne pas dire davantage – qui apparaît établi entre leurs auteurs et ceux des opérations terroristes dont la France a été victime.
Comme l'a relevé le Conseil d'État dans son avis du 28 avril 2016, le fait que perdure un « péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public » est caractérisé par la coïncidence entre l'intensité de cette menace terroriste et l'organisation en France de deux manifestations sportives d'ampleur exceptionnelle : le Tour de France et le championnat d'Europe de football.
Ces éléments répondent à mes yeux sans le moindre doute à la question de la permanence de la menace.
La deuxième question sur laquelle nous devons nous déterminer est celle de la durée de la prorogation de l'état d'urgence qu'il est opportun de consentir.
Dans son avis du 2 février 2016, portant sur le projet de loi autorisant la deuxième prorogation, le Conseil d'État avait souligné que « les renouvellements de l'état d'urgence ne sauraient se succéder indéfiniment » et que « l'état d'urgence devait demeurer temporaire ».
Je crois pouvoir affirmer que personne, au sein de notre commission, n'accepterait que l'état d'urgence soit prolongé au-delà du strict nécessaire. Si chacun peut avoir sa propre appréciation de ce strict nécessaire, nous sommes collectivement désireux de revenir à la légalité ordinaire, dès lors que la sécurité de nos concitoyens pourrait être pleinement assurée par les moyens du droit commun.
De ce point de vue, j'observe que la durée proposée pour cette troisième prorogation permet d'englober exactement les deux grands événements sportifs internationaux que je viens d'évoquer. Elle doit permettre de recourir durant leur déroulement à des moyens renforcés, en particulier sur le fondement de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955, pour encadrer et sécuriser les grands mouvements de foule inhérents à ce type de manifestation. Je le rappelle, nous parlons, s'agissant de l'Euro 2016, de 51 matchs programmés dans dix villes dont Paris, de 2,5 millions de spectateurs attendus, dont un million d'étrangers, auxquels s'ajouteront plusieurs millions d'autres personnes qui participeront aux rassemblements populaires organisés en marge de cette compétition. Pour le Tour de France, ce seront des dizaines de milliers de spectateurs qui affluent chaque jour le long du parcours et dans les dix-sept sites et villes d'étape.
En outre, du point de vue du calendrier, notre Assemblée débattra après-demain du texte issu de la commission mixte paritaire sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, dont j'ai l'honneur d'être le co-rapporteur avec notre collègue Colette Capdevielle. Cette loi devrait donc être promulguée très prochainement et entrer en vigueur dans les semaines à venir. Sans transposer, bien évidemment, dans le droit commun les dispositions d'exception de l'état d'urgence, elle permettra de doter l'autorité judiciaire et l'administration d'outils mieux adaptés à la prévention et à la répression du terrorisme.
Au regard de ces éléments, le délai de prorogation de deux mois me semble donc convenablement calibré.
La dernière question que je souhaite aborder est celle des conséquences en droit de la prorogation dont nous devons décider.
Le Gouvernement nous propose de revenir de l'état d'urgence « aggravé », comme on le qualifiait en 1955, à un état d'urgence « simple », c'est-à-dire sans perquisitions administratives.
Durant les premières semaines qui ont suivi le 13 novembre, les perquisitions administratives ont été nombreuses. Elles ont permis de chercher et de trouver les renseignements nécessaires pour désorganiser les réseaux terroristes. Elles ont aussi été l'occasion de lever des doutes. Au cours de la deuxième période, à compter du 26 février, elles ont été bien moins nombreuses, mais davantage ciblées et, par voie de conséquence, proportionnellement plus fructueuses. Désormais, elles ne bénéficient plus, ni de l'effet de surprise, ni de l'utilité spécifique qui les justifiait au cours des six derniers mois.
La décision d'abandonner cet outil exceptionnel me semble donc appropriée à l'évolution de la situation, la norme de droit commun que constituent les perquisitions judiciaires étant suffisante pour faire face aux nécessités.
C'est en dressant des constats similaires que le Sénat a fait le choix d'adopter sans modification le texte présenté par le Gouvernement, par 309 voix contre 30. Il me semble que l'Assemblée nationale ne peut faire moins.
Voilà pourquoi je vous propose d'adopter conforme le projet de loi prorogeant l'application de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, pour une durée de deux mois supplémentaires, soit jusqu'au 25 juillet 2016 à minuit.