Personne n'approuve de gaieté de coeur l'état d'urgence, d'autant que les circonstances qui le justifient ne sont pas des plus plaisantes. Personne non plus ne confond cet état d'urgence avec un état d'exception grave et aigu qui serait prolongé des années durant, comme nous en avons l'exemple outre-Atlantique. Par deux fois en dix ans, le Congrès a passé outre des décisions du juge judiciaire sur l'habeas corpus de manière à prolonger un état d'exception, qui dure donc depuis bientôt quinze ans dans ce grand État démocratique. Personne, me semble-t-il, ne fait cette confusion.
Je dois dire au président mon scepticisme quant à la distinction qu'il a établie entre l'état d'urgence contre le terrorisme et un état d'urgence lié à l'ordre public et dicté par les grands événements sportifs à venir. Tout montre, et le rapporteur vient de le faire excellemment à l'instant, que c'est bien le lien entre le risque terroriste permanent et la survenance en France de deux très grands événements ayant vocation à attirer l'attention sur notre pays et à rassembler des foules qui justifie la troisième prorogation de l'état d'urgence. Il faut dissiper toute équivoque sur ce point. C'est seulement ce lien entre ces événements d'une durée limitée, qui correspond à celle pendant laquelle nous prorogeons l'état d'urgence, et la persistance de la menace terroriste, qui peut nous conduire à autoriser l'état d'urgence, qui permet de prendre des mesures qui vont au-delà des mesures habituelles en matière d'ordre public, par exemple les interdictions de paraître ou les interdictions de se trouver en certains lieux à certains moments, ou encore l'interdiction plus large de certains rassemblements. L'existence des deux compétitions sportives ne fait de doute pour personne. Reste donc à apprécier la réalité de la menace terroriste.
De ce point de vue, l'exécutif gère les affaires de sécurité intérieure et bénéficie pour ce faire du concours des services de renseignement. Ce n'est évidemment pas le cas du pouvoir législatif. Lorsque l'exécutif nous indique, sans agitation, avec fermeté et sang-froid, que la menace terroriste demeure aujourd'hui très grave, et qu'il s'appuie sur un certain nombre d'événements survenus récemment, comme les attentats déjoués, il me semble difficile de mettre en doute son constat. Au fur et à mesure que le temps passe, le terrorisme prend de plus en plus la forme d'un arbre : on coupe des branches, mais le tronc demeure et certains bourgeons repoussent peut-être plus vite que nous ne l'aurions souhaité.
De mon point de vue, vous l'aurez compris, nous pouvons, nous devons même, d'autant plus voter cette prorogation, encore une fois limitée dans le temps, que les choses ont beaucoup changé depuis 1955 : le contrôle par le juge, qu'il soit administratif ou judiciaire, des mesures prises par l'autorité publique chargée de la mise en oeuvre de l'état d'urgence, ainsi que le contrôle parlementaire sur lequel nous avons beaucoup innové depuis la dernière loi créent un contexte tout à fait différent. Les chiffres et le bilan de l'efficacité sont sur la place publique, et le seront encore plus si nous suivons la proposition du président de communiquer davantage encore les données dont disposent les contrôleurs de l'état d'urgence.
Ce contrôle ne doit pas être confondu avec l'évaluation des politiques publiques, même si le mot « évaluation » figure, malheureusement selon moi, dans la loi du 20 novembre 2015 – il était également inscrit dans le projet de loi constitutionnelle. L'évaluation des politiques publiques fait partie des pouvoirs reconnus au Parlement par la Constitution. Mais il s'agit là de tout autre chose, d'un contrôle spécifique au fil de l'eau qui doit être garant de cet équilibre que nous recherchons tous entre les mesures prises par le Gouvernement, lui-même parfois surpris par certains événements, et le regard que le Parlement peut porter sur leur mise en oeuvre au jour le jour. Ce n'est pas exactement de l'évaluation des politiques publiques. C'est autre chose.
Pour finir, je crois comprendre à la lecture du projet de loi que nous prorogeons l'application de la loi de 1955 dans l'ensemble des articles de cette dernière. Je ne trouve pas trace d'une disposition mettant fin à l'utilisation des perquisitions administratives. Faut-il comprendre que le Gouvernement s'engage à ne pas utiliser cet outil ? J'avoue n'avoir pas trouvé l'explication dans le texte.