Comme vous l'avez rappelé, le paritarisme est fondé sur les intérêts divergents des salariés et du patronat, et il s'agit de placer le curseur au bon endroit dans les domaines des rémunérations, du partage des richesses, mais aussi des conditions de travail. Cette conception était adaptée à la grande entreprise oeuvrant sur le territoire national, non exposée à la concurrence internationale et au sein de laquelle le salarié passait toute sa vie professionnelle.
Aujourd'hui, cette gestion d'intérêts divergents, qu'il fallait concilier par la négociation collective ou la gestion de droits sociaux — système susceptible de se substituer au législateur défenseur de l'intérêt général ou des politiques souhaitées par les électeurs —, se trouve confrontée à une situation très différente : le salarié pense que son entreprise disparaitra s'il lui réclame indéfiniment des augmentations de salaire. Les évolutions de la sociologie du travail, fort bien décrites par Éric Morin notamment, conduisent le salarié a être une sorte d'auto-entrepreneur, y compris au sein de son entreprise, compte tenu des méthodes de gestion, et même à s'interroger sur l'impact des charges sociales sur son emploi.
L'évolution de l'ensemble de ces conditions n'a-t-elle pas supprimé cette divergence d'intérêts constitutive du paritarisme ? J'en veux pour preuve la distinction établie entre des syndicats réputés réformistes et ceux se qualifiant de réformistes sans être considérés comme tels. On a ainsi pu voir des accords collectifs acceptés par la moitié des syndicats et dénoncés par l'autre moitié : ainsi, en 2000, lors de la négociation portant sur l'UNEDIC, les dirigeants du patronat avaient invité une partie des représentants syndicaux à rejoindre physiquement leur côté de table au titre de leur accord commun, en considérant que le vrai débat portait sur l'opposition avec les autres syndicats.
Cette situation prévaut, à mes yeux, depuis le dernier grand accord, qui a porté sur la négociation professionnelle. Elle questionne la légitimité du paritarisme dans sa capacité à se voir déléguer le pouvoir d'établir des normes : quelle est votre réflexion sur ce point ?
Je partage votre analyse au sujet de la nécessité d'un reengineering global des organismes aujourd'hui disposés en tuyaux d'orgue autour des parcours professionnels. À cet égard, vous avez évoqué les deux accords nationaux interprofessionnels de 2008 et de 2013 qui ont tenté d'aborder les questions de façon transversale. En revanche, vous n'avez pas évoqué l'ANI du 17 février 2012 sous l'angle du paritarisme stricto sensu, mais plutôt sous celui de la qualité de sa gestion. Ne pensez-vous pas que le moment est venu de demander aux partenaires sociaux de renégocier un accord portant sur le paritarisme, dans une optique de réorganisation plutôt que de bonne gestion des institutions ? En effet, la mission d'information été frappée de rencontrer de bons gestionnaires conduisant en commun un travail et produisant des normes de qualité, et, par contre, de constater des blocages dès qu'il est question d'utiliser des moyens de la formation professionnelle pour former des chômeurs ou toute autre action transversale.