Intervention de Laurent Duclos

Réunion du 7 avril 2016 à 10h00
Mission d'information relative au paritarisme

Laurent Duclos, adjoint au chef du département de la synthèse de la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle :

On constate effectivement une difficulté dès qu'il agit d'abolir les frontières pour mettre en commun les divers services rendus par différentes institutions.

La question du financement et de la bonne gestion du paritarisme a conduit à reconnaître — alors que cela était très difficile à admettre par certains des acteurs au cours des années 1990 — que celui-ci est lié à la mise en oeuvre de services d'intérêt général.

S'agissant du reengineering, il me semble qu'il est temps de passer d'une préoccupation de bonne gestion à celle de « bonne question ». Aujourd'hui, l'ensemble des acteurs s'accordent à considérer que la bonne question est celle du parcours, et que, l'emploi étant réputé instable, il faut permettre à l'individu d'occuper demain des positions plus assurées sur le marché du travail. Dans ce contexte, certaines responsabilités incombent à l'employeur, d'autres à la personne, et entrent en jeu les moyens de choix et de liberté qui lui sont attribués, tels le compte personnel de formation (CPF) ou le CPA — droits individuels nouveaux garantis collectivement.

Il existe un décalage entre un monde que l'on tente de bien réformer afin qu'il incarne un idéal de bonne gestion, et la question de la capacité à relayer — au sein de la gestion des institutions — cette bonne question, ou, à tout le moins, celle qui a collectivement été jugée telle. Le problème demeurant bien celui de l'étanchéité entre ces institutions, qualifiée d'architecture en tuyaux d'orgue.

Les jeux entre acteurs, caractéristiques du partenariat social, constituent le symptôme d'une sorte d'épuisement, car on ne sait plus très bien sur quoi porte l'opposition, et cela peut conduire à des alliances quelque peu curieuses. Au demeurant, cela n'est guère nouveau : Max Weber déjà, au début du XXe siècle, évoquait le système paritaire, qu'il considérait comme procédant de patrons s'alliant aux « jaunes » afin conforter leur position.

De nos jours, le paritarisme est adossé à un équipement institutionnel, les intérêts sont stabilisés, et des normes de représentativité existent. C'est un monde « civilisé » : la question n'est plus celle de la confrontation entre alliés du patronat et syndicalisme d'opposition. Mais si l'entreprise explose, prenant la forme d'un réseau, d'un noeud de contrats, si la relation d'emploi est commercialisée et que des entités, qui peuvent être soit des sociétés soit des individus, se trouvent prises dans ces réseaux, une solidarité peut se créer entre une petite structure et un individu isolé, car les deux subissent la même pression.

L'ancienne question sociale était celle de la représentation de l'ouvrier ; aujourd'hui, elle est celle de la représentation de la minorité de réseau, qui est protéiforme. Les grandes sociétés multinationales dominantes ont fait exploser les frontières de l'entreprise et n'assument plus que la responsabilité d'un noyau interne de salariés : leur capacité à mobiliser le travail à l'extérieur d'elles-mêmes a considérablement crû au cours du temps.

Aussi la question de la protection des minorités de réseaux devient-elle fondamentale.

Ce qui est nouveau, c'est la possibilité de passer des accords de contrepartie, tels les grands accords multidimensionnels de 2008 et 2013, mais aussi les accords de maintien de l'emploi passés à l'échelle de l'entreprise. Auparavant, nous vivions dans un monde où la progression était continue ; or, vous l'avez indiqué, ce modèle « fordiste » enfermé dans les frontières nationales, où le social s'identifiait au national, et où les forces sociales étaient subordonnées à cet impératif, n'existe plus. Nous assistons actuellement à une forme d'universalisation des droits économiques qui vont traverser les États — ce qui pose un sérieux problème de souveraineté, car certaines firmes ne peuvent même plus être qualifiées de multinationales, mais plutôt de transnationales —, le principe de territorialité des lois se voit malmené, car des entreprises américaines viennent appliquer un droit américain sur le sol français ou l'intégrer à un mode interne de fonctionnement.

Dans ces conditions, comment représenter ceux qui constituent la partie faible de l'ensemble dans les nouvelles manifestations du pouvoir économique ? Comment organiser les relations entre ces divers représentants ? Voici les bonnes questions à poser.

Les acteurs sociaux sont au fait de cette situation, ce que montrent à l'envi les ANI de 2008 et de 2013, qui cherchent à la fois à établir des droits sociaux et à garantir un meilleur fonctionnement du marché du travail. Dans cet exercice, ils sont toutefois contraints par des cadres institutionnels irrités, qui, d'un certain point de vue, contrarient leur mobilité.

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