Intervention de Jacques Barthélémy

Réunion du 7 avril 2016 à 10h00
Mission d'information relative au paritarisme

Jacques Barthélémy :

C'est mal appréhender le paritarisme que de le considérer sous le seul angle de la gestion, parce que l'on serait assez vite enclin à mettre sur la table les défectuosités dans l'organisation des institutions, qui résultent quelquefois d'incompétence ou de laxisme, et quelquefois de malversations. Aborder ainsi le problème n'amène à rien. On peut toujours dire qu'une institution, quelle qu'elle soit, fonctionne mal, cela ne veut pas dire que son utilité n'est pas réelle.

Il est donc indispensable de rappeler que le paritarisme est associé à un certain nombre de droits fondamentaux et de valeurs, en particulier la solidarité. Par ailleurs, le paritarisme a créé un mouvement important de progrès social dans ce pays, sans passer par la voie législative. L'Agirc (Association générale des institutions de retraite des cadres) et l'Arrco (Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés) ne sont pas nées de la volonté du législateur. Au contraire, il est intervenu a posteriori, en 1972, pour généraliser ce que les partenaires sociaux avaient eux-mêmes mis en place depuis 1947.

C'est pourquoi il me semble essentiel, en premier lieu, de lier le paritarisme à la notion de garantie sociale. L'article L.2221-1 du code du travail fixe les objets de négociation collective : les conditions d'emploi, de formation professionnelle et de travail, ainsi que les garanties sociales. Si la rédaction distingue garantie sociale et conditions de travail, c'est que les deux termes ont des sens différents. À mon sens, la différence est que les conditions de travail sont matérialisées par des avantages directement dus par l'employeur à un collectif de salariés ou à un salarié. Au contraire, les garanties sociales se matérialisent par la constitution d'un pot commun sur lequel les travailleurs ont un droit de tirage social. Le mot de « pot commun » est de Jean-Jacques Dupeyroux, celui de « droit de tirage » d'Alain Supiot.

C'est le coeur du débat : l'avantage n'est plus un droit directement dû par l'employeur, mais un droit qui se matérialise par l'obligation de financer, par des contributions, un pot commun sur lequel il existe un droit de tirage.

Les conséquences sont extrêmement importantes, y compris sur le terrain de la responsabilité des personnes. Norberto Bobbio, brillant universitaire italien, a beaucoup écrit sur l'intérêt des sanctions positives par rapport aux sanctions négatives. Les sanctions négatives sont les sanctions pénales ou civiles qui font suite à la violation d'un droit. La sanction positive se matérialise par le fait que l'on gagne, par un comportement vertueux, des cotisations moindres, des primes ou d'autres avantages.

Lorsque l'on passe des conditions de travail aux garanties sociales, on peut basculer assez facilement de la sanction négative à la sanction positive pour l'employeur. Les effets en termes de dynamisme économique sont loin d'être négligeables : on ne sanctionne plus des comportements déviants, mais des comportements vertueux, ce qui n'est pas la même chose.

Voilà comment se matérialise la garantie sociale. Mais une autre question se pose : celle de son utilité économique et sociale. La première justification des garanties sociales est de donner du sens à la solidarité, alors que le droit du travail est plutôt vecteur d'égalité. Les garanties sociales, si elles sont porteuses de solidarité, font basculer en partie la relation de travail du droit du travail vers le droit de la sécurité sociale ; Jean-Jacques Dupeyroux écrivait en 1990 que sécurité sociale et solidarité étaient consanguines.

La solidarité est aujourd'hui un principe fondamental du droit communautaire. Lors du sommet de Nice, elle a été intégrée à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et fait l'objet de son chapitre IV, qui rassemble une dizaine d'articles. La Charte des droits fondamentaux a valeur de traité depuis le sommet de Lisbonne. Par conséquent, en matière de protection sociale, les partenaires sociaux peuvent limiter leur ambition à construire des rémunérations différées en fixant la nature et le niveau des prestations, mais rien ne leur interdit de poursuivre en plus un objectif de solidarité – pas même le Conseil constitutionnel – puisqu'il s'agit d'un droit fondamental de l'Union européenne.

Dès lors, le débat dépasse le cadre des rapports entre employeurs et salariés pour se situer sur un registre qui met en oeuvre d'autres droits fondamentaux, comme le droit de la concurrence. Il est donc important de souligner que pour la Cour de justice de l'Union européenne, les monopoles confiés dans le cadre de garanties sociales organisées au niveau de la branche ne peuvent pas être considérés comme des ententes prohibées entre entreprises – ceci vaut pour tous les accords collectifs – pas plus qu'ils ne peuvent se traduire par une position dominante abusive. En d'autres termes, l'objectif de solidarité confère une mission d'intérêt général à celui qui le met en oeuvre dans le cadre d'une institution.

Le Conseil constitutionnel n'a pas critiqué cela dans sa décision du 13 juin 2013. Il s'est simplement posé sur le terrain de la liberté contractuelle, en invoquant l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme, en le sortant un peu de son contexte. Rappelons que lorsque la Convention européenne des droits de l'homme évoque la liberté et la capacité à négocier les contrats, il est surtout question de la liberté individuelle, pas collective.

Mais laissons là cette question ; le Conseil constitutionnel considère, dans cette décision, que l'article L.912-1 du code de la sécurité sociale, qui permet de mutualiser les cotisations de toutes les entreprises afin de mettre en place un régime de protection sociale fondé sur la solidarité, porte une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle, celle de l'employeur, s'entend.

Première critique qui peut être faite à cette décision : s'il y a manifestement atteinte à la liberté contractuelle, toute convention collective porte atteinte à la liberté contractuelle du chef d'entreprise ! Le problème est de savoir si cette atteinte répond à un but légitime, auquel cas elle est proportionnée. Or il est évident que l'objectif de solidarité, d'autant plus qu'il s'agit d'un droit fondamental, donne un but légitime à cette atteinte, qui est par conséquent proportionnée.

C'est ce que la Cour de cassation a retenu dans un arrêt du 12 avril 2012 concernant les Banques populaires. La Cour ne s'est pas appuyée sur le droit interne mais sur la Convention européenne des droits de l'homme, dans laquelle on retrouve les mêmes exigences de liberté contractuelle et de liberté d'association. Dans l'affaire à l'origine de cet arrêt, un salarié ne voulait pas se voir imposer l'affiliation à un régime de prévoyance déterminé par accord entre l'employeur et les salariés.

Le Conseil constitutionnel a donc uniquement sanctionné l'article L.912-1 du code de la sécurité sociale, qui ne permettait que la mutualisation. Or la mutualisation n'est pas une fin en soi, c'est un moyen au service de la solidarité. Si l'on avait posé le problème autrement, en invoquant la solidarité, je pense que la solution aurait été différente. Du reste, le même Conseil constitutionnel, dans une décision ultérieure, du 26 mars 2015 concernant le statut des frontaliers suisses, a considéré qu'un degré élevé de solidarité conférait une mission d'intérêt général et permettait de porter une atteinte, de ce fait proportionnée, à la liberté contractuelle.

Un deuxième problème était posé : lorsque l'on met en place des garanties sociales par un accord collectif, cela crée des droits au profit des salariés, pas simplement des obligations à la charge de l'employeur. Le Conseil constitutionnel ne s'est absolument pas préoccupé de la liberté contractuelle du salarié. Je pense donc que la décision du 13 juin n'est qu'une étape, et qu'elle évoluera.

C'est la raison pour laquelle j'ai lancé, avec mon ami Dominique Libault, une réflexion sur l'émergence d'une convention collective de sécurité sociale dont le régime serait intégré au livre IX du code de la sécurité sociale. Paul Durand, éminent universitaire, a écrit que l'accord collectif, qui crée des garanties collectives de prévoyance, a certes la même nature juridique que la convention collective de travail si l'on considère les aspects contractuels – les rapports entre les signataires – mais que sa partie normative est forcément différente. Dans la convention collective de travail, des droits sont créés au profit d'un salarié, s'imposant à son employeur, tandis que l'accord collectif a pour objectif de permettre un droit de tirage sur un pot commun.

La mutualisation induit donc des réflexes et des contenus plus proches du droit de la sécurité sociale que du droit du travail. C'est pourquoi l'idée d'une convention collective de sécurité sociale est riche, et que j'ai récemment essayé de lui redonner de la vigueur en demandant à Dominique Libault d'en faire l'une des propositions du rapport que lui a demandé Mme Marisol Touraine.

Décliner cette idée passe par deux exigences complémentaires. Que l'on parle de droit du travail ou de droit de la sécurité sociale ; qu'au sein du droit de la sécurité sociale, on se contente de la sécurité sociale légale ou au contraire de la sécurité sociale de nature conventionnelle, dans tous les cas, l'ensemble de ces disciplines a pour objectif commun la protection du travailleur. Il n'y aurait pas de droit du travail s'il n'y avait pas de salarié en état de déséquilibre contractuel à l'égard de leur employeur.

Si l'on a créé des garanties matérialisées par un droit de tirage, tant que les prestations sont provisionnées par un capital inaliénable, nous sommes dans le domaine du droit du travail, parce qu'il s'agit d'une rémunération différée. Si, en revanche, nous créons des droits allant plus loin, liés à un objectif de solidarité, une politique de prévention ou une action sociale, les droits ne sont plus garantis. Donc la sécurité pour le salarié vient du transfert sur le paritarisme, donc la gestion paritaire, de la responsabilité de l'employeur dans ses rapports avec lui. Si l'on a créé des commissions paritaires, c'était afin d'assurer la responsabilité autrement que par l'intervention directe du chef d'entreprise.

Par conséquent, l'institution, au sens historique du terme – les institutions actuelles sont devenues des organismes d'assurances par la loi Veil du 8 août 1994 – devait donner naissance à des conventions collectives de sécurité sociale, qui auraient été fondées sur l'idée que l'on faisait de l'autogestion paritaire en donnant de la consistance juridique, pour ne pas dire la personnalité morale, à la collectivité des entreprises adhérentes et de leurs salariés participants.

Cette institution, de type L4, n'était pas un assureur. C'était le moyen de donner de la consistance juridique à la communauté de travail par les principes qui fondent la personnalité morale en droit. La personnalité morale n'est pas que l'expression du législateur. Dès l'instant où un groupement a des intérêts propres distincts de la somme des intérêts individuels de ses membres, et un organe pour représenter ces intérêts, c'est une personne morale. Donc l'institution qui avait été créée par Pierre Laroque était la personne morale de la collectivité des adhérents et des salariés.

Cette personnalité morale se manifeste par le double paritarisme de conception et de gestion. Paritarisme de conception : un accord collectif, voire un référendum, va créer les garanties. Paritarisme de gestion : un organe paritaire va le mettre en oeuvre. Si ces deux conditions sont réunies, les membres de la collectivité sont tenus par le dispositif qui est en place. Si l'une de ces conditions manque, chaque personne peut s'extraire du groupe. C'est ce que la Cour de cassation avait établi de manière très claire dans l'arrêt Jourdain contre société Penven, du 5 janvier 1984, s'agissant d'un référendum ; puis dans l'arrêt RVI contre Azouz, du 5 juin 1986, s'agissant d'un accord collectif.

De par l'existence d'un accord collectif ou d'un référendum, et d'un organe paritaire de gestion, tous les membres de la collectivité, employeurs comme salariés, étaient tenus par ce qui constitue dans les faits un régime de sécurité sociale de nature conventionnelle. À l'inverse, si l'une de ces conditions n'est pas réunie, par exemple parce que l'on ne met pas en place un comité paritaire, chaque personne peut considérer qu'elle n'est pas concernée par l'obligation. C'est ce que la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 14 janvier 1976, Dame Maillard contre société Philips.

Les difficultés apparues par la suite sont liées à la transposition en droit interne des directives relatives à la libre prestation de service, la loi Évin, et la loi Veil de 1994 qui a fait basculer la protection sociale complémentaire d'une conception institutionnelle vers une conception purement assurantielle. Le provisionnement des engagements est devenu obligatoire et l'institution de prévoyance a été transformée en un assureur concurrent des mutuelles et des compagnies d'assurances. C'est l'origine de tous les bouleversements que nous connaissons aujourd'hui. Il était impensable, dans les années 1980, qu'une institution de prévoyance comme Malakoff Médéric fasse de la publicité. Aujourd'hui, toutes les mutuelles inondent les télévisions de publicité. C'est contre-nature, puisque nous sommes hors de l'autogestion paritaire.

Dès lors, des questions essentielles se posent. Quel est le champ naturel de ces garanties sociales matérialisées par l'institution ? Selon l'objectif poursuivi par les partenaires sociaux dans la mise en oeuvre de telle ou telle institution, les solutions ne sont pas nécessairement les mêmes. Pour faire court, disons que le paritarisme des Assedic – à l'Unédic – n'est pas le même que le paritarisme de la retraite complémentaire – Agirc, Arrco – ou que dans un accord collectif de prévoyance. En effet, les Assedic ont créé un régime de protection sociale qui se substitue pleinement au régime de sécurité sociale, puisqu'il n'existe pas d'assurance légale contre le chômage. Par voie de conséquence, on entre directement dans le champ d'application du règlement européen n° 140871 sur la libre circulation des travailleurs. Il est évident que dans ces conditions, l'autonomie des partenaires sociaux par rapport à la loi est réduite, puisque l'on met en musique un droit quasi-légal. C'est pourquoi ces accords d'assurance-chômage ont écarté la technique d'extension au profit de la technique d'agrément. Or l'agrément, c'est un acte administratif qui a pour effet de rendre l'accord applicable, y compris au sein des entreprises adhérentes au syndicat patronal. Nous sommes donc dans une situation où l'aspect réglementaire de l'accord collectif est beaucoup plus important.

Dans l'Agirc et l'Arrco, le problème est différent, car il ne s'agit que de compléter la sécurité sociale. Les accords fondateurs – la convention du 14 mars 1947 pour l'Agirc et l'accord du 8 décembre 1961 pour l'Arrco – créent l'ensemble du régime, l'État n'intervient même pas pour compenser d'éventuels déficits ou intervenir de manière dérivée. Les partenaires sociaux ont l'obligation d'adapter en permanence la masse des prestations à la masse des cotisations pour ne pas remettre en cause la pérennité de ces régimes, puisque l'on fonctionne en répartition, c'est-à-dire dans un domaine où la solidarité est générale, nationale, interprofessionnelle et équivalente à celle des régimes légaux.

Les avenants récents, qui ont ponctué la vie de l'Agirc et de l'Arrco, sont exclusivement conditionnés par la nécessité de corriger les effets de l'accroissement de la durée de la vie et du taux de chômage, dont les conséquences pèsent sur l'équilibre entre masse des cotisations et masse des prestations. Dans ce cas, plutôt que de s'attaquer aux droits contributifs, il est plus facile de s'attaquer aux droits non-contributifs. Mais nous voyons bien que la responsabilité des partenaires sociaux n'est pas la même que, par exemple, pour mettre en place un régime de garantie de complémentaire santé au profit des boulangers. Ce n'est pas la même logique.

Parce que le champ est le même que celui de la loi, que la solidarité qui est mise en oeuvre est nationale, générale, interprofessionnelle, et que la mission qui est poursuivie par les partenaires sociaux est d'intérêt général, il est obligatoire d'avoir des règles infiniment plus contraignantes en termes de double paritarisme, de conception et de gestion. Voilà pourquoi a été inventé, en 1959, un régime spécial d'extension et d'élargissement de ces accords.

Dans les cas de l'assurance-chomâge et de la retraite complémentaire, on peut imaginer que pour la composition des organes de représentation de ces institutions que sont les conseils d'administration, on privilégie la désignation par les organisations syndicales à l'élection. Mais c'est beaucoup moins vrai lorsqu'il s'agit de mettre en place une institution de droit privé, qui perd une partie de sa légitimité si les membres de son conseil d'administration ne sont pas élus par ses participants et ses adhérents, mais désignés par le Medef, la CGPME, l'UPA et les cinq organisations syndicales. Dans l'Agirc et l'Arrco, on peut le concevoir, pas ailleurs. Or toutes se sont vues appliquer les mêmes règles par le biais d'un accord interprofessionnel de 2012. De surcroît, cet accord a réglementé un autre aspect du problème, qui méritait une réflexion plus approfondie : les comportements déontologiques.

Introduire dans le fonctionnement des institutions à gestion paritaire les règles qui existent dans les conseils d'administration des sociétés anonymes est une idiotie, car les problèmes ne sont pas les mêmes. Lorsque la CFTC désigne un représentant pour être mandataire d'Ecclesia, ce dernier n'intervient pas en son nom personnel, mais au nom de l'organisation. De ce fait, comment peut-on lui interdire de participer aux négociations de sa branche le jour où il s'agit de désigner tel organisme pour mettre en oeuvre l'accord collectif ? Or c'est bien ce qui a été décidé par les partenaires sociaux. Derrière cela, on trouve l'intention plus ou moins avouée de casser le paritarisme, pour en faire disparaître l'institution en ce qu'elle a d'original : une personne morale sui generis telle que Pierre Laroque l'avait imaginée.

Dans les autres domaines de droit privé, où l'on reste sur le terrain de la volonté, le problème ne se pose pas de la même manière. La création d'un système de prévoyance lourde, d'un système d'indemnités de fin de carrière ou de compensation de perte d'emploi liée à l'inaptitude, ne se situe pas dans le même registre. Dans ce cas, l'accord collectif n'a pas la même nature, ce n'est pas un quasi-règlement. L'imprégnation des aspects essentiellement contractuels est beaucoup plus forte dans ce cas que pour l'Agirc, l'Arrco ou les Assedic.

Le problème des organismes d'assurance-chômage est le même. Les fonds d'assurance formation ont été initialement créés, en 1969, pour mettre en place l'assurance du risque d'inemployabilité au moyen d'institutions sui generis fondées sur les principes imaginés par Pierre Laroque. Malheureusement, pour de multiples raisons qu'il serait vain de développer ici, une autre voie a été privilégiée : celle des associations patronales, qui se sont transformées ensuite en OPCA (organisme paritaire collecteur agréé). Pour donner une vie juridique à ces instruments, on a eu recours au statut des associations loi 1901, ce qui constitue une perversion du système : eût égard à son objet, seule l'institution est légitime. Nous ne sommes pas dans la même logique que le rassemblement des pêcheurs du XIV°arrondissement. Ces associations sont construites de bric et de broc, et leur efficacité est très limitée.

Il faut redonner vie au concept historique d'institution pour l'appliquer à toutes les garanties sociales, et tout spécialement à celles qui mettent en oeuvre un degré élevé de solidarité qui confère à l'institution une mission d'intérêt général économique, celle qui correspond à la volonté de la branche de mettre en place une sécurité sociale de nature conventionnelle.

Le domaine de ces garanties sociales, qui se traduit par l'exigence de paritarisme parce que les droits ne sont pas garantis, n'est pas incompatible avec l'intervention du marché de l'assurance, mais la finalité n'est pas la même. Quand on fait appel au marché, un prestataire extérieur vient fournir une prestation aux partenaires sociaux de la branche. Mais ni la branche, ni la convention collective, ni la commission paritaire n'ont la personnalité morale. Lorsqu'un assureur – quel qu'il soit, y compris une institution de prévoyance – contracte avec une branche, il ne contracte en fait avec personne. Tandis que si une institution est créée et acquiert la personnalité juridique par la qualité d'adhérent des entreprises et la qualité de participants de leurs salariés, lesquels constituent ensemble le conseil d'administration qui matérialise l'autogestion paritaire, la logique n'est plus la même. L'assureur peut intervenir, mais il le fera au nom du régime.

Un exemple permet d'illustrer ce problème : le passage des clauses de désignation aux clauses de simple recommandation se traduit actuellement par des catastrophes. Les réserves que les régimes ont accumulées, les provisions pour égalisation du risque – puisqu'une entreprise avait la même cotisation quel que soit son risque – appartiennent aux régimes, à la collectivité des employeurs et des salariés. Or, du fait de la suppression de la clause de désignation, l'assureur a tendance à s'approprier ces réserves. Certains sont allés jusqu'à les intégrer à leurs fonds propres, ce qui devrait faire l'objet de critiques sérieuses de la part de l'organisme de contrôle des assurances, parce que ces réserves ne leur appartiennent pas.

Le domaine des garanties sociales est bien plus vaste que ce que l'on peut imaginer. On a tendance à penser à la retraite, à la prévoyance, à l'assurance-chômage, la liste de domaines prévus par l'article L.911-2 du code de la sécurité sociale est déjà longue, mais elle n'est pas fermée. Dans la perspective, qui doit être sérieusement envisagée, du passage de la civilisation de l'usine à celle du savoir, avec les profondes modifications qui en résulterait sur la nature des emplois et la qualification juridique des rapports entre l'entreprise et les travailleurs, on peut imaginer que le développement des garanties sociales permette de concilier l'accès à des libertés individuelles beaucoup plus fortes sans remettre en cause les avantages du collectif. Le collectif se matérialise par le financement d'un organisme mutualisé sur lequel les individus ont un droit de tirage, ce qui permet une plus grande aspiration à la liberté individuelle.

Les systèmes qui vont venir, et qui sont déjà visibles, permettront de changer de statut : pas simplement entre les statuts de salarié et de non salarié, mais aussi de nature d'emploi. Ces systèmes, au nom de l'employabilité, au nom de l'accès à la santé, vont immédiatement poser des questions qui touchent aux garanties sociales, parce que c'est par ce biais que ces droits seront concrétisés.

Les garanties sociales vont donc progresser dans le temps, et y mettre des obstacles au nom du marché de l'assurance me semble totalement négatif, d'autant que le développement des garanties sociales par le double paritarisme n'exclut pas que les assureurs interviennent dans le marché : ce sont deux problèmes différents.

Ce débat a déjà eu lieu en 1947. Quand les partenaires sociaux ont créé le régime des cadres, la Fédération française des sociétés d'assurances a rué dans les brancards, en prétextant qu'on lui retirait le marché de l'assurance collective de la retraite. Le problème est aujourd'hui posé dans les mêmes termes, alors que la question n'est pas là. Le développement de garanties collectives fondées sur la solidarité peut parfaitement se concrétiser par le recours aux grandes sociétés d'assurances. La différence est que la fonction n'est plus la même : le paritarisme, donc le pouvoir exercé collectivement par des représentants des employeurs et des salariés, conditionne la relation avec l'assureur. Ce n'est plus une relation qui se traduit par une rémunération différée matérialisée par la nature et le niveau des avantages.

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