Je peux répondre facilement à votre dernière question ; les autres sortent assez largement du champ de mes préoccupations professionnelles et je ne prétends pas avoir d'idées sur tout.
Sur les règles de la négociation, la Cour de cassation a défini une règle du jeu il y a quelques années. En quelques arrêts, dont un fondamental, la Cour a édicté les règles qu'il faut appliquer dans une négociation collective : être sur un pied d'égalité au regard de l'information ; se retrouver ensemble ; sans que les apartés soient interdits, il faut néanmoins, lors de discussions communes, pouvoir participer à la discussion d'un texte dont on a pu prendre connaissance ; et il faut que le texte soumis définitivement à la signature des partenaires ait été préalablement soumis à la discussion de l'ensemble des partenaires sociaux, réunis tous ensemble.
À la lumière de ce qui s'est passé lors de la négociation de la dernière convention Unedic, on pourrait encore perfectionner cette jurisprudence, peut-être par voie législative. Par exemple, un certain nombre de dispositions législatives ne s'appliquent pas directement à la négociation collective, mais on considère qu'elles ont valeur de principes généraux.
Ainsi, lors de négociations, il est entendu que les négociateurs doivent recevoir les éléments d'information essentiels détenus par la partie adverse avant d'entamer la négociation. Lors de négociations salariales, le patronat doit fournir un certain nombre de données sur le niveau de salaire par catégories. S'il y a un projet, il doit également être communiqué avant les négociations.
L'autre règle est qu'il ne faut pas rendre absolument impossible l'examen – je ne parle même pas de la négociation – d'autres projets. Or lors de la négociation Unedic, FO et la CGT sont chacun arrivés avec un projet. Mais il leur a été répondu que l'on ne discuterait d'aucun autre projet.
Il est très difficile d'imposer un comportement aux partenaires sociaux dans la négociation. Mais on peut prévoir que les partenaires sociaux qui ont des propositions alternatives à formuler disposent des mêmes moyens pour examiner le coût de ces mesures, afin de permettre de les comparer au coût de celles qui figurent dans le projet qui leur est présenté et qui a fait l'objet d'un préconsensus entre certaines organisations syndicales et patronales. C'est ce qui a beaucoup fait défaut à la CGT et à FO : à aucun moment ils n'ont pu avoir accès aux ordinateurs de l'Unedic pour faire des états comparés, profession par profession, catégorie par catégorie, problème par problème, avantage par avantage, et savoir en quoi les options proposées changeraient les équilibres respectifs.
Il y a là la matière d'un vrai travail. Il pourrait s'inspirer des lois les plus récentes sur la négociation collective, en particulier les négociations annuelles obligatoires, ainsi que de la jurisprudence assez précise de la Cour de cassation, afin de fixer des règles du jeu. Compte tenu des enjeux et de l'importance de ce que l'État délègue aux partenaires sociaux, et des fonds colossaux qui sont en cause, nous sommes en droit d'exiger que les textes soient élaborés dans des conditions normales de transparence et de loyauté.
Vous m'avez également interrogé sur les formes de travail qui n'entrent pas dans la définition du salariat ni dans le champ du code du travail. Nous entendons beaucoup dire que l'économie numérique créée des « entreprises agiles ». Notons que ce qui est trop agile devient insaisissable : on ne sait même plus où sont ces entreprises. Si vous demandez dans une boutique SFR l'adresse postale de l'entreprise pour lui adresser un courrier, on refuse de vous répondre. Il faut donc faire des recherches sur internet pour savoir où est domiciliée l'entreprise. On peut donc imaginer la difficulté à localiser son interlocuteur. Prenons le cas d'Uber : où est cette entreprise ? S'il faut formuler une réclamation, à qui doit-on s'adresser ? Je connais une personne qui a oublié son portefeuille dans un véhicule Uber. On lui a donné un numéro de téléphone, et il y a effectivement un immeuble dans le nord de Paris, qui semble une espèce de Fort Knox, dans l'ombre. On ne sait pas exactement où l'on est, on y est reçu par des gens qui ne laissent accéder à aucun interlocuteur. C'est aussi cela « l'entreprise agile ».
Est-ce l'économie numérique qui entraîne ces formes nouvelles d'organisation d'entreprise, ou est-ce simplement le fait que le droit du travail ne s'appliquant pas, l'entreprise peut se permettre d'être insaisissable, impossible à localiser, même géographiquement ? Il y a peut-être un travail de reconstruction à faire : je ne sais pas si c'est une pente naturelle de nouvelles formes d'organisation du travail ou simplement une opportunité que saisissent les nouveaux entrepreneurs pour choisir des mécanismes qui les rendent insaisissables.
Comment organiser ces formes d'emploi ? Je ne sais pas comment le législateur peut intervenir. Il faut réglementer des professions, je ne vois pas par quel autre moyen peut passer la protection de l'emploi, ou un minimum d'organisation des relations professionnelles. Il faut définir qui est dans la profession, comment les gens y sont enregistrés, comment ils le prouvent. Je vois un certain nombre de difficultés sur lesquelles d'autres ont dû réfléchir de manière plus approfondie.