Intervention de Bernard Cazeneuve

Séance en hémicycle du 19 mai 2016 à 9h30
Prorogation de l'application de la loi relative à l'état d'urgence — Présentation

Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, en raison de la persistance de graves menaces terroristes susceptibles de frapper l’ensemble du territoire national, le Gouvernement soumet à votre examen une troisième loi de prorogation de l’état d’urgence, pour une durée supplémentaire limitée à deux mois.

Je tiens, tout d’abord, à remercier le président Raimbourg et le co-rapporteur Poisson pour le suivi très méticuleux de l’état d’urgence qu’ils ont conduit depuis plusieurs mois. En commission des lois, le président Raimbourg nous a présenté un compte rendu très exhaustif qui permet d’avoir une photographie précise des mesures que nous avons mises en oeuvre : cela a été précieux pour la tenue des débats en commission.

Le contrôle du Parlement a, vous le savez, permis de faire la transparence et de lever les craintes et les inquiétudes qui s’étaient exprimées, ici ou là, au sujet de la mise en oeuvre de l’état d’urgence.

Chacun a pu constater que l’état d’urgence n’est pas synonyme d’arbitraire et que les actes et les décisions pris sur son fondement étaient tous prévus et strictement encadrés par le droit, tout comme les raisons justifiant d’y avoir recours et de le prolonger.

Je veux que les choses soient ici clairement dites : les mesures de police administrative que nous prenons en application de l’état d’urgence présentent un caractère exceptionnel. Elles sont, conformément aux principes constitutionnels et de droit, strictement proportionnées à la nature de la menace ainsi qu’au contexte d’ordre public qui en découle.

Le Conseil constitutionnel l’a d’ailleurs très clairement rappelé dans sa décision du 19 février dernier : les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence doivent concilier la prévention des atteintes à l’ordre public avec le respect des droits et des libertés, parmi lesquels figurent le droit et la liberté d’expression des idées et des opinions.

L’État et les forces de l’ordre disposent, du reste, des moyens juridiques et matériels nécessaires pour réprimer, avec la fermeté la plus grande, les débordements survenus à l’occasion des récentes manifestations, ainsi que pour interpeller, systématiquement, les casseurs qui se rendent coupables d’agissements intolérables.

J’en veux pour preuve le très grand nombre d’interpellations réalisées depuis le début de ces événements il y a deux mois : plus de 1 400 individus ont en effet été interpellés pour des faits de violence commis lors des manifestations contre le projet de loi travail. J’ajoute que 885 d’entre eux ont été placés en garde à vue et que 61 ont d’ores et déjà été condamnés par la justice, en comparution immédiate.

Quant aux manifestations qui se sont déroulées hier à Paris, et qui avaient été interdites, elles se sont traduites par six interpellations ayant donné lieu à six gardes à vues, dont trois pour participation à une manifestation interdite et détention de substances ou de produits incendiaires ou explosifs, deux pour participation à une manifestation interdite et une pour outrage à personne dépositaire de l’autorité publique.

Je veux le redire ici, solennellement, devant la représentation nationale : ce qui s’est produit hier à Paris, c’est-à-dire l’agression de deux policiers et l’incendie de leur véhicule, constitue des actes criminels d’une extrême gravité pour lesquels le procureur de la République a enclenché l’action publique pour des motifs qualifiant les actes en question de tentative d’homicide à l’encontre de personnes détentrices de l’autorité publiques.

Ces actes appellent la plus grande sévérité : c’est la raison pour laquelle de premières interpellations ont eu lieu dès hier. Elles permettront, à travers l’enquête et les auditions en cours, de déterminer la responsabilité exacte des interpellés dans les violences intervenues hier.

Je ne m’attarderai pas sur l’enquête : il convient, en ces matières, de respecter rigoureusement la séparation des pouvoirs. Il appartiendra donc, bien entendu, au procureur de la République de Paris de communiquer sur les faits qui se sont produits ainsi que sur le résultat des gardes à vue.

Je veux néanmoins d’ores et déjà dire que la police judiciaire, notamment la direction de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris procède, sous l’autorité du procureur de la République, à l’exploitation de l’ensemble des éléments qui ont été rassemblés hier par les services, de manière à ce qu’il puisse être procédé à d’autres interpellations afin que tous ceux qui se trouvent à l’origine de ces actes en répondent devant la justice, de manière à ce que le droit passe rapidement et avec la plus grande sévérité.

Je me suis rendu hier soir au chevet du policier qui, avec beaucoup de maîtrise et de sang-froid, a protégé sa collègue et s’est protégé lui-même face à des actes de haine que j’ai trouvés d’une extrême barbarie. J’ai aussi trouvé extrêmement choquant de voir des individus autour du véhicule récupérer des images au moyen de caméras, sans bouger, sans intervenir, comme si c’était l’ordre normal des choses. Alors que des policiers étaient agressés avec la violence que l’on a vue, il y avait autour d’eux des individus en nombre, qui filmaient et ne bougeaient pas.

J’aurais énormément de difficulté à considérer qu’il y a chez ces hordes sauvages quelque chose qui ressemble à de l’humanité ou, a fortiori, à un début d’idéal. Il n’y a derrière tout cela que de la violence, de la brutalité, et cela traduit un abandon de tous les principes d’humanisme qui sont le fondement de notre civilisation et des valeurs républicaines.

Je veux aussi dire très calmement à l’opposition et à ceux qui la représentent ici que des violences dans des manifestations, il y en a eu souvent. Lorsqu’il y a un tel niveau de tension, on peut préférer les charmes de la politique à l’exigence éthique de vérité, mais, dans la responsabilité qui est la mienne, il n’y a qu’une chose qui compte, c’est l’exercice de l’État, au nom des principes républicains, avec pour seule boussole le sens de l’État et l’application du droit dans sa plus grande rigueur. Laisser penser qu’il y aurait, au sein de l’administration ou, a fortiori, du Gouvernement une forme de mansuétude à l’égard de ceux qui commettent de tels actes est faux et très injuste à l’égard des préfets qui, placés sous mon autorité, travaillent quotidiennement à la sécurité des Français, à l’identification des casseurs et à la judiciarisation de leur situation.

Si nous avons interpellé 1 400 personnes et procédé à des gardes à vue en nombre comme je viens de l’indiquer, si 71 personnes ont d’ores et déjà été lourdement condamnées, notamment dans les villes où les exactions ont été les plus nombreuses, c’est parce qu’il y a un travail inlassable de la police judiciaire, un travail inlassable des préfets, un travail d’investigation continu des services placés sous la responsabilité du ministère de l’intérieur.

Je le dis amicalement à Éric Ciotti, à Guillaume Larrivé et à l’ensemble des parlementaires du groupe Les Républicains et à leurs leaders, y compris à un certain nombre de membres de leur organisation qui ont exercé des responsabilités au sein du ministère de l’intérieur, si l’on veut apprécier les consignes données par un ministre à son administration, il y a une manière très simple de le faire, c’est d’exercer le contrôle parlementaire, de récupérer les télégrammes adressés aux préfets, les ordres d’opération donnés par les préfets aux forces de l’ordre sur la base des consignes qui leur sont adressées. Alors, grâce à un effort de transparence et à la bonne foi, il sera possible d’établir très clairement ce qu’il en est.

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