Monsieur le ministre de l’intérieur, je vous remercie des mots de sagesse que vous venez de prononcer. Comme vous venez de le rappeler, notre Assemblée est saisie pour la troisième fois d’une demande de prorogation de l’état d’urgence.
Personne n’a oublié la terrible soirée du 13 novembre, ni les tueries perpétrées en Seine-Saint-Denis et à Paris. Le souvenir de ces attentats meurtriers, après ceux de janvier 2015, demeure vif dans toutes les mémoires. Chacun se souvient aussi de la décision immédiate du Président de la République de décréter l’état d’urgence, et de la mobilisation totale des pouvoirs publics qui a suivi. Depuis six mois, la détermination du Gouvernement n’a pas faibli. Les forces de l’ordre sont mobilisées nuit et jour, au premier rang desquelles les services de renseignement français et européens, auxquels je veux à mon tour rendre hommage.
Il nous appartient aujourd’hui de nous prononcer sur le renouvellement du régime d’exception qui sous-tend cette mobilisation. La procédure de prorogation de l’état d’urgence est connue, après nos débats de novembre puis ceux de février. C’est au Parlement, et à lui seul, qu’il revient de proroger l’application de la loi du 3 avril 1955.
Les travaux conduits par la commission des lois, depuis le début de l’état d’urgence, constituent de ce point de vue un utile point d’appui. Elle a en effet mis en place un contrôle parlementaire inédit, désormais assuré par son président Dominique Raimbourg et par son co-rapporteur Jean-Frédéric Poisson, dont je salue le travail. Les quatre communications rendues publiques dans le cadre de ce contrôle ont permis de dresser, mois après mois, et encore avant-hier, un inventaire complet de la mise en oeuvre de l’état d’urgence. Cette évaluation enrichit le bilan que vient de dresser M. le ministre de l’intérieur, pour guider notre réflexion.
Chacun a pu constater l’utilité, mais aussi les limites, d’un cadre légal que nous avons adapté à son temps en novembre 2015, et dont le juge administratif précise peu à peu les modalités d’application. L’état d’urgence, tel que nous le concevons, c’est un choix de responsabilité, de fermeté et d’efficacité. C’est un choix difficile, mais assumé, que nous avons voulu inscrire, comme vous l’avez encore rappelé avec force à l’instant, monsieur le ministre, dans le strict respect de l’État de droit.
À la lueur de ces éléments, la première question à laquelle il nous appartient de répondre est bien évidemment celle-ci : proroger de nouveau l’état d’urgence est-il nécessaire ?
Le constat me semble pouvoir être partagé, au-delà de nos différences : la France demeure l’une des cibles privilégiées de la nébuleuse terroriste. Douze projets d’attentats ont été déjoués en France depuis 2013. Ceux perpétrés sur notre territoire en janvier et en novembre 2015 ont été terribles. Beaucoup d’autres ont depuis ensanglanté le monde : au Proche et au Moyen-Orient, en Afrique de l’Ouest, en particulier en Côte d’Ivoire, le 13 mars dernier, où des ressortissants et des intérêts français ont été frappés.
Mais ce sont les attentats de Bruxelles, le 22 mars, qui illustrent le plus la persistance de la menace, par leur proximité géographique d’une part, mais aussi parce qu’il apparaît établi que leurs auteurs étaient en lien direct, pour ne pas dire davantage, avec ceux des opérations terroristes dont la France a été victime.
Comme l’a relevé le Conseil d’État, dans son avis du 28 avril 2016, la persistance de ce péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public est accentuée par la coïncidence entre l’intensité de cette menace terroriste et l’organisation de deux manifestations sportives d’ampleur exceptionnelle : le championnat d’Europe de football, du 10 juin au 10 juillet, et le Tour de France, du 2 au 24 juillet.
Ces compétitions, vous l’avez dit, monsieur le ministre, comportent un risque élevé, car elles offriront une grande visibilité médiatique. Elles peuvent donc constituer, nous le savons, une cible pour les organisations terroristes, mais aussi – il ne faut pas sous-estimer ce risque – pour des individus radicalisés susceptibles de trouver dans cet événement une occasion de passer à l’acte. Le directeur de la sécurité intérieure, auditionné récemment devant la commission de la défense de notre assemblée, n’a pas dit autre chose. Ces éléments répondent à mes yeux, dans le contexte, sans le moindre doute, à la question de la permanence de la menace.
La deuxième question qu’il nous faut trancher est la durée à retenir pour cette troisième prorogation. Le Gouvernement propose deux mois supplémentaires, soit jusqu’au 25 juillet 2016 à minuit. Dans son avis du 2 février 2016, portant sur le projet de loi autorisant la deuxième prorogation, le Conseil d’État avait souligné que « les renouvellements de l’état d’urgence ne sauraient se succéder indéfiniment » et que « l’état d’urgence devait demeurer temporaire ».
Personne, dans cet hémicycle, n’accepterait que l’état d’urgence puisse être prorogé au-delà du strict nécessaire. Si chacun peut avoir sa propre appréciation de ce strict nécessaire, nous sommes collectivement désireux de revenir à la légalité ordinaire, dès lors que la sécurité de nos concitoyens pourrait être pleinement assurée par les moyens du droit commun.
De ce point de vue, j’observe que la durée proposée pour cette troisième prorogation englobera exactement les deux grands événements sportifs internationaux que je viens d’évoquer. Elle doit permettre de recourir, durant leur déroulement, à des moyens renforcés, sur le fondement en particulier de l’article 5 de la loi de 1955, qui donne des pouvoirs particuliers permettant d’encadrer et de sécuriser les grands mouvements de foule inhérents à ce type de manifestation.
Pour l’Euro 2016, nous parlons de cinquante et un matchs programmés dans dix villes, dont Paris, où sont attendus 2,5 millions de spectateurs. À ces spectateurs s’ajouteront plusieurs millions de participants aux manifestations entourant l’événement sportif – les fans zones officielles ou des regroupements plus spontanés, sur l’ensemble du territoire national. Pour le Tour de France, il s’agira, comme chaque année, de dizaines de milliers de spectateurs qui afflueront chaque jour le long du parcours et dans les dix-sept sites et villes d’étape.
Du point de vue du calendrier toujours, je rappelle que notre assemblée débattra tout à l’heure du texte issu de la commission mixte paritaire sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, dont j’ai l’honneur d’être le co-rapporteur, avec notre collègue Colette Capdevielle.
Cette loi devrait être promulguée très prochainement et entrer en vigueur dans les semaines à venir. Sans transposer, bien évidemment, dans le droit commun les dispositions d’exception de l’état d’urgence, elle permettra de doter l’autorité judiciaire et l’administration d’outils mieux adaptés à la prévention et à la répression du terrorisme. Deux mois me semblent être, en conséquence, une durée convenablement calibrée.
Ma dernière question porte sur les éléments de droit de cette prorogation, si nous l’autorisons. Il est proposé de passer de « l’état d’urgence aggravé », pour reprendre l’expression du professeur Roland Drago en 1955, à un état d’urgence « simple », c’est-à-dire sans perquisitions administratives. L’article 11 de la loi de 1955 prévoit en effet que celles-ci doivent être autorisées par une disposition expresse, laquelle ne figure pas dans ce projet de loi, approuvé très largement par le Sénat.
Durant les premières semaines qui ont suivi le 13 novembre, les perquisitions administratives ont été nombreuses. Elles ont permis de chercher et de trouver les renseignements nécessaires pour désorganiser les réseaux terroristes. Elles ont aussi été l’occasion de lever des doutes. Au cours de la deuxième période, à compter du 26 février, elles ont été bien moins nombreuses, mais davantage ciblées.
Désormais, elles ne bénéficient plus ni de l’effet de surprise, ni de l’utilité spécifique qui les justifiaient au cours des six derniers mois. Rappelons, en outre, que l’intérêt opérationnel de cette mesure a été largement amoindri par la décision du Conseil constitutionnel du 19 février 2016 qui a interdit la copie des supports informatiques lors des perquisitions administratives.
La décision d’abandonner cet outil exceptionnel m’apparaît appropriée à la situation,…