Intervention de Sergio Coronado

Séance en hémicycle du 19 mai 2016 à 9h30
Prorogation de l'application de la loi relative à l'état d'urgence — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSergio Coronado :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, je voudrais tout d’abord condamner à cette tribune les violences dont les policiers ont été victimes. Nous en avons tous vu des images, qui sont d’une très grande brutalité. Je sais par ailleurs que les violences qui ont été commises à l’encontre des manifestants seront sanctionnées. Vous en avez pris l’engagement, monsieur le ministre.

L’état d’urgence dont le Gouvernement demande une nouvelle prorogation aujourd’hui a été instauré le 14 novembre, à la suite des attentats meurtriers perpétrés à Paris. Cet état d’exception, théoriquement provisoire, se prolonge et perdure dans notre pays.

Il s’accompagne d’un durcissement répressif notable de notre législation. Dans la foulée de ce débat, notre assemblée aura en effet à se prononcer sur les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme.

Ce texte donne au ministre de l’intérieur que vous êtes des prérogatives qui s’inspirent de l’état d’urgence. Il octroie la possibilité d’assigner à résidence pendant trois mois une personne revenant du théâtre des opérations terroristes, sans élément constitutif d’un délit ; il consacre un nouveau régime d’irresponsabilité pénale pour les policiers et les gendarmes ; il autorise le procureur à ordonner des écoutes téléphoniques, de la vidéosurveillance, des captations de données informatiques ou des perquisitions de nuit ; il permet aux juges d’instruction et aux procureurs de recourir aux IMSI-catchers en matière de criminalité organisée ; enfin, il autorise une retenue de quatre heures sans la présence d’un avocat et une peine de sûreté de trente ans.

En quelques mois, nous avons construit l’une des législations les plus répressives d’Europe, sous le coup d’une émotion générale provoquée par les attentats.

L’état d’urgence est-il le seul outil pour lutter contre le terrorisme ? Nous ne le pensons pas, d’une part parce que l’état de droit n’est pas un état de faiblesse, d’autre part, parce que des nations frappées par le terrorisme ont fait d’autres choix. La Belgique, qui a connu, hélas, des attentats meurtriers après nous, n’a pas eu recours à l’état d’urgence.

L’état d’urgence sert-il encore à lutter contre le terrorisme ? C’est en fait une question légitime. Je voudrais rappeler ici les mots mesurés, et éclairants de l’ancien président de la commission des lois le 13 janvier dernier. Tirant devant elle un premier bilan de l’application de l’état d’urgence, il évoquait une véritable dérogation, seulement justifiée par l’évidence et le caractère strictement temporaire de l’état d’urgence, avant de conclure : « En sortir sera un acte délicat. Arrêter l’état d’urgence ne sera pas synonyme de moindre protection car en réalité l’essentiel de l’intérêt de ce que l’on pouvait attendre de ces mesures semble, à présent, derrière nous ».

Surtout, il pointait en filigrane le risque que l’état d’urgence ne se banalise, et devienne en fait un outil des temps normaux. Et il avait raison de pointer ce risque, parce que le Gouvernement n’a eu de cesse de marteler l’idée que, pour lutter contre le terrorisme, on ne peut se passer de l’état d’urgence. Pourquoi, dans ce cas, nous en proposer aujourd’hui une version allégée ? C’est en effet un état d’urgence amputé qui est soumis au vote, alors que les perquisitions administratives nous ont toujours été présentées comme le principal outil de ces mesures d’exception.

En fait, pour reprendre l’interrogation partagée par le président de la commission des lois, Dominique Raimbourg, nous sommes passés d’un état d’urgence dont la finalité était la lutte contre la menace terroriste à un dispositif de maintien de l’ordre. La tentation pointait déjà avec les assignations à résidence de militants écologistes lors de la tenue de la COP21 à Paris en décembre dernier.

Selon le Gouvernement, les conditions posées par la loi de 1955, c’est-à-dire le péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, seraient réunies jusqu’au 26 juillet, notamment pour assurer la sécurité de l’Euro de football et le Tour de France.

Chers collègues, le texte que nous avons à adopter vise essentiellement à permettre la prorogation des mesures d’assignation à résidence régulièrement contestées car fondées essentiellement sur l’utilisation des notes blanches, érigées en reines des preuves. Sur les 268 décisions d’assignation encore en vigueur, à la fin de la première période de prorogation de l’état d’urgence, 198 n’ont pas vu cette décision renouvelée. De plus, pour 154 personnes, la mesure d’assignation, pourtant très lourde, n’a connu aucune suite : ni judiciarisation du dossier, ni interdiction de sortie du territoire, ni procédure d’expulsion. En outre, 53 arrêtés préfectoraux d’interdiction de séjour ont été signés en un week-end, dont 41 notifiés à Paris, suite aux manifestations contre la loi Travail. N’est-ce pas là utiliser les moyens de l’état d’urgence pour assurer le maintien de l’ordre public ?

Chers collègues, il est temps de sortir de cet état d’exception. Aussi, comme lors du précédent vote, la majorité du groupe écologiste votera contre cette nouvelle prorogation de l’état d’urgence.

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