Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, l'occasion trop rare qui m'est offerte de vous présenter mon action est pour moi un honneur et un plaisir. Ce n'est pas là simple propos diplomatique ; j'espère que vous le sentirez.
En France, la fonction que j'occupe a été créée en 2000 à l'initiative d'Hubert Védrine. Elle existe dans six autres pays européens ainsi qu'aux États-Unis ; le Chili envisage de l'instituer à son tour. Les débats qui ont eu lieu au Parlement européen sur la stratégie européenne en la matière et sur la désignation d'un représentant spécial de l'Union européenne pour les droits de l'Homme devraient avoir pour conséquence indirecte la multiplication de ce type de postes dans les différentes capitales européennes.
Cette fonction qui m'a été confiée en février 2008, et que je suis le premier à exercer sans être diplomate de carrière, comporte trois dimensions. La première est institutionnelle. Comme tout ambassadeur, je représente mon pays dans les échanges bilatéraux ou devant les institutions qui traitent des droits de l'Homme. J'ai ainsi présenté le rapport de la France à Genève au moment de l'Examen périodique universel, lors duquel chaque État membre rend compte devant les autres de sa propre situation en matière de droits de l'Homme. J'ai aussi siégé au Conseil de sécurité des Nations unies dans le cadre du groupe de travail sur les enfants soldats et, sur le même sujet, présidé à deux reprises le Forum de suivi des engagements de Paris, qui se tient en marge de l'Assemblée générale des Nations unies. Cette dimension de ma fonction m'a également conduit à Vienne, devant l'OSCE, à Strasbourg, devant le Conseil de l'Europe et, plus rarement, devant l'Union européenne.
La deuxième dimension de ma fonction, à mes yeux essentielle, est la présence sur le terrain. En quatre ans et demi, j'ai effectué 97 missions de terrain, guidé par les exigences de l'actualité mais aussi par le souci de me soustraire à la logique médiatique qui jette la lumière sur certains lieux de souffrance au détriment des autres. Je me suis ainsi rendu en Tchétchénie, à Grozny, où j'ai probablement été le dernier à voir Natalia Estemirova en vie, en Ukraine où j'ai assisté au procès de M. Loutsenko et tenté à deux reprises de rencontrer Ioulia Timochenko. J'ai représenté la France au procès Khodorkovski, à Moscou, au procès Zhovtis, au Kazakhstan. Je me suis rendu dans la région des Grands Lacs, en Colombie, au Guatemala et, plus récemment, à la frontière syrienne. Il s'agit, je le répète, d'appeler l'attention, au-delà de l'actualité, sur des conflits oubliés : ainsi me suis-je rendu au Kirghizstan au lendemain des massacres qui y ont eu lieu il y a deux ans.
Cette dimension de terrain est primordiale. Les mots « torture », « réfugiés », « procès équitable », « disparitions forcées » ne renvoient pas seulement à des concepts, à des abstractions, mais à des réalités, à des visages. Vous qui êtes des élus de terrain savez ce que le contact avec ces réalités a d'irremplaçable. Grâce à lui, je puis témoigner, rapporter au ministre ce que j'ai vu et entendu, lui permettant ainsi d'appréhender la situation autrement que par des télégrammes ou des rapports, voire d'anticiper certains événements. Il s'agit aussi d'être à l'écoute des populations, car un ambassadeur doit parler au nom de la France mais également savoir écouter – comme un élu, d'ailleurs.
Surtout, ces visites de terrain me permettent de sensibiliser nos postes à la dimension des droits de l'Homme. « Faire de chaque ambassade une maison des droits de l'Homme » : ce beau slogan doit devenir réalité. Et en quatre ans et demi, d'ambassade en ambassade, il a pris un sens concret. Faire de chaque ambassade une maison des droits de l'Homme, c'est ouvrir la porte aux défenseurs des droits de l'Homme, les accueillir, les écouter, les encourager, les protéger ; c'est créer, comme je le propose, le Prix des droits de l'Homme de l'ambassade de France ; c'est veiller à ce que, dans chaque ambassade, un diplomate se consacre spécifiquement aux droits de l'Homme, non de manière académique mais pour servir de point de contact avec les défenseurs des droits de l'Homme – pratique aujourd'hui généralisée. C'est encore systématiser la formation des diplomates dans ce domaine, ce qui est également nouveau. Désormais, les diplomates qui partent en poste sont formés aux droits de l'Homme et bénéficient avant leur départ d'un briefing avec toutes les ONG compétentes en la matière. De même, cette dimension est maintenant intégrée à la formation initiale des jeunes diplomates que nous accueillons au Quai, ce qui n'était pas le cas jusqu'alors.
Ce sont toutes ces actions réunies qui contribuent à modifier l'attitude de nos postes. J'ai pu mesurer ce changement depuis 2008 : il existe de plus en plus d'ambassadeurs audacieux, proches de la réalité, qui n'ont pas peur, car ils ont compris que le contact avec la société civile a autant de valeur que le contact avec les gouvernants et les États puisque sans lui, c'est le pays lui-même qui nous échappe.
Certaines missions m'ont conduit au coeur du terrain. Être au coeur du terrain, ce peut être passer des nuits avec des enfants des rues au Caire ou découvrir par hasard, ou presque, une oubliette où des enfants meurent de faim sous le palais de justice de Kinshasa. Il m'est arrivé d'entendre le diplomate qui m'accompagnait me dire que certaines réalités lui apparaissaient pour la première fois après quatre ans de résidence sur place.
C'est aussi à cela que servent nos missions : inciter nos postes à être en contact avec la réalité et à faire preuve de discernement, par exemple en remettant le Prix des droits de l'Homme de l'ambassade de France. Voilà l'une des leçons que nous pouvons tirer des printemps arabes : il faut être attentif à ce qui fermente, ce qui bourgeonne, ce qui germine. Car on croit savoir, mais on ne sait pas ; on croit connaître, mais on ne connaît pas.
Le troisième aspect de ma fonction se joue au Quai d'Orsay. Ma lettre de mission me confie la tâche d'« animer et d'incarner cette dimension de l'action extérieure de la France ». Cette tâche est plus conceptuelle : il s'agit de « mainstreamer » la dimension des droits de l'Homme, si j'ose employer cet anglicisme faute d'en trouver un équivalent français…