Intervention de Jacques Myard

Réunion du 4 mai 2016 à 16h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Myard, co-rapporteur :

Depuis la fin des années 1980, l'Union européenne a imposé l'ouverture des monopoles publics à la concurrence de façon dogmatique. J'utilise ce terme car si dans un premier temps cette ouverture a été porteuse de progrès, elle a par la suite enfermé nos services publics de réseaux dans un modèle qui n'est pas soutenable. Les consommateurs en ont bénéficié, dans le cas des télécommunications, c'est indubitable, tant en ce qui concerne le prix que l'étendue des services – il est loin, le temps du 22 à Asnières ! – mais on doit s'interroger sur les conséquences d'une telle politique au regard du futur de l'industrie européenne des télécommunications, des investissements et de la couverture du territoire national.

En France, les services publics représentent un élément clé du modèle social, quelles que soient par ailleurs les options politiques. Or la notion retenue par le Traité de Rome en 1957, pour les activités soumises à des normes spécifiques d'organisation et de régulation, celle du « service d'intérêt économique général », est éloignée de notre notion traditionnelle, en particulier parce qu'elle met l'accent sur une « assimilation » progressive aux règles du marché par le biais de l'exigence de respect des règles communes sur la concurrence, restreignant d'autant notre capacité à agir de manière souveraine par voie de nationalisation par exemple.

Jusqu'en 1986, les États membres ont prudemment fait consensus sur l'absence de nécessité d'une action de l'Union européenne, et ont maintenu l'organisation de leurs services publics de réseaux telle qu'elle résultait de leurs traditions nationales.

L'Acte unique marque un tournant politique majeur : avec l'objectif de mettre en oeuvre les quatre libertés fondamentales de circulation (personnes, marchandises, services, capitaux) et d'éliminer les obstacles aux échanges, la perception de ces réseaux d'infrastructures change radicalement. De support à la mise en oeuvre de politiques nationales, ils deviennent des facteurs clés nécessaire à la réalisation du marché unique et à la mise en oeuvre de ces quatre libertés.

Au même moment, des mutations technologiques de grande ampleur transforment radicalement les infrastructures de télécommunications, et facilitent, dans les grands réseaux, le lancement d'une politique industrielle reposant sur la politique de concurrence qui aboutit à la remise en cause des monopoles nationaux et à l'explosion du nombre d'opérateurs.

Or ce système a aujourd'hui atteint ses limites, comme le démontre la persistance de zones non desservies, nous en parlerons par la suite, ou bien encore la question du traitement non discriminatoire en matière d'itinérance. Les surcoûts liés à l'itinérance sur plusieurs réseaux européens sont progressivement éliminés pour les consommateurs mobiles, mais ces surcoûts, non négligeable, doivent être pris en charge d'une façon ou d'une autre, et il est fortement à craindre qu'ils soient tout simplement répercutés sur les consommateurs qui restent dans le cadre de leurs frontières nationales.

Mais des signes – encore trop peu nombreux – montrent qu'une évolution est possible à défaut d'être encore pleinement en cours.

Le traité d'Amsterdam de 1997 raffermit, dans le corps même du traité, à l'article 14, la place des SIEG en tant que « valeur commune » de l'Union et leur rôle dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de cette dernière. Il est complété, grâce au Traité de Lisbonne, par le Protocole n° 26 sur les services d'intérêt général, dont l'article 1er affirme la place et le rôle des services d'intérêt général dans le projet politique européen.

Certes, l'articulation entre droit de la concurrence et SIEG reste ambiguë. Ce régime reste en effet fixé par l'article 106 du TFUE, selon lequel « les entreprises chargées de la gestion des SIEG sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement, en droit ou en fait, de la mission particulière qui leur a été impartie. »

Aujourd'hui, c'est la première partie, l'application de la concurrence, qui est privilégiée dans l'interprétation de cet article 106, plutôt que la préservation d'un espace spécifique aux SIEG. Par choix politique, les États membres se sont autocensurés et n'ont pas voulu utiliser la facilité offerte par le traité lui-même, qui impose certes de définir les contours de ce service public. Il ne faut plus hésiter à défendre cette conception devant la Cour de Justice de l'Union Européenne, dont la jurisprudence est plus équilibrée que l'on ne le pense.

Si la politique de concurrence a permis de sortir d'un « chauvinisme économique », il est grand temps de mettre des limites à l'action « impérialiste » de la DG Concurrence, et de la tempérer par une autre notion, qui fait défaut, celle de « politique industrielle ».

D'autant que les choses bougent : nous avons pu constater, et cela a été confirmé, une différence d'approche entre les différentes directions de la Commission européenne, entre direction « sectorielle » et direction « concurrence », la première appréciant mieux l'importance de la prise en compte des disparités géographiques entre États membres et de la nécessité de dépasser un modèle conçu à l'origine par et pour les zones urbaines que la seconde, et qui aboutit à privilégier les consommateurs des zones denses.

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