Intervention de Jacques Myard

Réunion du 4 mai 2016 à 16h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Myard, co-rapporteur :

La mise en concurrence et la privatisation de l'ancien monopole ont entraîné une baisse des prix sensible. Les prix ont reculé en moyenne de 30 % depuis 2010. La France arrive ainsi en tête des pays d'Europe pratiquant les tarifs les plus bas, selon une étude du régulateur belge des télécoms. La moyenne des abonnements en France est parmi les plus basses du monde : autour de 20 € contre 54 € aux États-Unis.

Mais les opérateurs ont su développer leur activité : en 2003, l'Europe comptait 23 millions d'abonnés haut débit, ils sont 145 millions au 1er janvier 2013. Dans le même temps, le nombre des abonnés mobiles a crû de 370 à 657 millions. Il serait donc injuste de dire que la libéralisation n'a pas été bénéfique pour les opérateurs du secteur des télécommunications.

Toutefois, cette exigence de baisse des prix impacte négativement l'image même de ce secteur, pour ses représentants, les bas prix des forfaits pour les téléphones mobiles favorisant l'idée selon laquelle l'industrie des télécommunications n'a que peu de valeur.

Or la valeur de cette dernière a effectivement souffert. Leur chiffre d'affaires a baissé de 9 % entre 2011 et 2014 (11 % entre 2012 et 2013), leur marge brute d'exploitation a reculé de 14 % sur la même période, tandis que leur trésorerie disponible a reculé de 39 % entre 2010 et 2013. Cette baisse des marges et du chiffre d'affaires a eu un effet très négatif sur la valeur des opérateurs. Les opérateurs européens auraient perdu environ 30 % de leur valeur entre 2006 et 2012, même s'il convient d'intégrer l'effet de la crise financière de 2008 et la situation de croissance atone de la zone euro.

Une telle situation a un impact négatif sur la capacité des opérateurs à investir et, surtout, à rivaliser avec les fameux GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) américains.

Un nouveau type d'acteurs a en effet fait irruption sur la scène mondiale des télécommunications, et redistribué, y compris en France, le cadre traditionnel dans lequel s'inscrivait ce secteur.

Les entreprises de services sur la Toile, qu'il s'agisse des « GAFAM », avec leur système d'exploitation fermé de droit américain, ou bien des opérateurs de vidéo à la demande, de télévision diffusée par Internet, etc., utilisent les réseaux, et captent donc une partie du marché et une partie des revenus des câblo-opérateurs et opérateurs.

Or ces acteurs de l'Internet « contournent » la question de l'accès au réseau en s'adressant au client final soit par le biais du terminal soit par la mise en relations des utilisateurs entre eux (plateformes, réseaux sociaux).

De surcroit, ils posent la question des systèmes d'exploitation. Le duopole constitué de Google et d'Apple domine de façon écrasante le marché des téléphones intelligents grâce à leurs systèmes d'exploitation respectifs, Android et iOS, qui permettent l'accès à leurs écosystèmes de services connectés et d'applications téléchargeables en ligne. Même si Android est un système d'exploitation libre, la majorité des fabricants de téléphones intelligents et de tablettes utilisent Android en combinaison avec un éventail d'applications et de services propriétaires de Google, installés par défaut.

À cette force de frappe, s'ajoute l'attitude – trop ? – conciliante de la Commission européenne, comme l'illustre la question du niveau des terminaisons d'appel (examen par la Commission européenne de leur système de calcul, qui a pourtant favorisé en France le développement des forfaits illimités et l'usage des SMS, accessibles à tous, car il empêcherait selon elle la progression de services alternatifs, comme WhatsApp, tous américains) ou bien l'ouverture totale du marché européen des équipements de télécommunications aux entreprises non-européennes sans réciprocité. Ericsson n'était plus en 2014 que le troisième mondial en parts de marché en équipements et logiciels réseaux (9 %) derrière CISCO (19 %) et Huawei (11 %), l'Europe constituant le premier marché pour ce dernier (sa part de marché est passée de 2,5 % en 2006 à 25 % en 2014).

Comment en est-on arrivé là ? En premier lieu par la priorité donnée à la baisse des prix au service du consommateur et par l'action du régulateur sur les marges des opérateurs, qui répercutent leurs contraintes sur les équipementiers. Ils ont ainsi fait appel à Huawei, aux prix bas couplés à une technologie permettant d'économiser sur la maintenance, et lui ont permis de remonter la chaîne de valeur et de devenir aujourd'hui l'un des équipementiers les plus innovants.

Mais aussi en l'absence d'un accord tacite comme celui qui existe aux États-Unis entre les pouvoirs publics et les opérateurs pour ne pas laisser entrer les équipementiers chinois et limiter ainsi la concurrence au niveau des fournisseurs. Les opérateurs y trouvent leur compte, car ils recherchent la « co-création » avec leurs partenaires, avec à la clef, un véritable partenariat entre l'opérateur, qui veut de l'innovation et du service, et l'équipementier, qui doit être assuré d'un volume d'affaires suffisant pour rentabiliser ces progrès.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion