Intervention de Danielle Auroi

Réunion du 4 mai 2016 à 16h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, Présidente de la Commission :

Cette communication devait être présentée par M. Arnaud Leroy, qui a malheureusement eu un empêchement de dernière minute aujourd'hui et m'a donc chargée de le représenter.

Les trois propositions de texte sur lesquelles nous avons souhaité que notre commission se prononce visent à clarifier et à simplifier les règles applicables aux régimes matrimoniaux et aux effets patrimoniaux des unions civiles, c'est-à-dire les règles relatives à la gestion des biens au sein des couples mariés ou « pacsés ».

Il a semblé important au rapporteur que nous nous prononcions sur ce paquet législatif pour trois raisons.

Tout d'abord, il concerne le droit de la famille, compétence très rarement mise en oeuvre par l'Union, ce domaine particulièrement sensible relevant toujours de l'unanimité au Conseil. C'est vrai que c'est un sujet que nous ne traitons pas souvent ici !

Ensuite, il prend la forme d'une coopération renforcée, qui pourrait être la quatrième autorisée par l'Union européenne.

Surtout, et c'est évidemment le plus important, l'adoption de ces textes aurait un impact majeur sur le quotidien des citoyens européens.

En effet, cette question concerne de manière très concrète tous les couples « internationaux » de l'Union européenne, dans la gestion quotidienne de leurs biens mais surtout lors du partage de ceux-ci en cas de séparation ou de décès.

En effet, la mobilité accrue en Europe a conduit de plus en plus à la formation de couples binationaux, ou vivant dans un autre pays que celui dont ils ont la nationalité. L'Union européenne compterait actuellement 16 millions de couples « internationaux » environ - 13 % des mariages conclus chaque année environ. Toujours selon la Commission européenne, « le coût résultant de l'ouverture d'actions judiciaires parallèles dans différents pays, de la complexité des affaires et des frais de justice qui en découlent est estimé à 1,1 milliard d'euros par an ».

Il est donc nécessaire de simplifier la résolution de ces procédures lorsqu'elles concernent plusieurs États membres, d'autant plus qu'elles interviennent le plus souvent dans un moment particulièrement pénible de la vie des citoyens européens : séparation, divorce, décès…

À un moment où la demande d'une Europe concrète et positive se fait de plus en plus forte, il est urgent d'avancer enfin dans ce domaine.

Quel est l'objectif de ces deux règlements ?

Je tiens d'abord à préciser que ces deux propositions n'ont pas pour objectif d'harmoniser le droit matériel relatif aux régimes matrimoniaux entre les États de l'Union – ce n'est pour le moment pas prévu par les traités –, mais simplement de désigner la loi applicable et la juridiction compétente lorsque la situation d'un couple dépend de plusieurs États membres, et de faciliter la reconnaissance et l'exécution des décisions prises d'un État membre à l'autre.

C'est donc vraiment une harmonisation a minima. Cela peut paraître étonnant mais pour le moment, aucune règle européenne n'existe en la matière !

Les régimes matrimoniaux ont été explicitement exclus du règlement « Bruxelles II bis » sur la reconnaissance des décisions en matière matrimoniale, du règlement sur la loi applicable au divorce et du règlement « successions ».

En l'absence de règles européennes, c'est aujourd'hui le droit international privé de chaque État qui s'applique lorsqu'il faut trancher sur des cas impliquant plusieurs États membres.

Pourquoi n'a-t-on pas avancé plus tôt dans ce domaine ?

Tout d'abord, parce que les règles relatives aux régimes matrimoniaux et aux effets patrimoniaux des partenariats enregistrés sont très variables entre les États membres. Par exemple, les partenariats enregistrés n'existent pas dans tous les États membres.

En ce qui concerne la procédure, le droit des successions et de la liquidation des régimes matrimoniaux est une question relevant exclusivement des juridictions dans certains États membres, alors que dans d'autres États, comme la France, ce sont davantage les notaires qui sont en charge de cette question, les juridictions n'intervenant qu'en cas de désaccords.

Surtout, une proposition a déjà été faite par la Commission européenne en 2011, mais les négociations ont échoué en décembre dernier, après 4 ans de négociations...

Ce sujet n'a d'abord pas constitué une priorité pour les différentes présidences chargées de l'examen de ces textes.

À partir de 2013, les discussions se sont très vite focalisées sur les réticences de certains États membres, craignant d'être indirectement obligés de reconnaître les unions de personnes de même sexe conclues dans d'autres États.

Les présidences successives ont proposé des solutions visant à répondre à ces inquiétudes, mais la Pologne et la Hongrie sont demeurées insatisfaites de ces solutions de compromis, et ont subordonné leur accord à l'insertion dans la proposition de règlement relatif aux régimes matrimoniaux d'une disposition explicite prévoyant que, dans les États membres dont le droit interne ne connaîtrait pas du mariage en question, les juridictions conserveraient, en présence d'un tel mariage, la faculté discrétionnaire de ne pas appliquer le règlement.

La Hongrie souhaitait qu'une disposition similaire soit insérée dans la proposition relative aux effets patrimoniaux des partenariats enregistrés, tandis que la Pologne a affirmé son opposition de principe à ce texte.

Le Conseil des 3 et 4 décembre 2015 a dû prendre acte de l'absence d'accord politique sur ce texte, et donc de l'échec des négociations, puisque l'adoption du texte nécessitait l'unanimité.

Suite à l'échec de ces négociations, dix-sept États membres ont indiqué à la Commission européenne leur souhait de mettre en place entre eux une coopération renforcée relative aux régimes matrimoniaux et aux effets patrimoniaux des partenariats enregistrés. C'est l'objet de l'actuel paquet législatif, qui reprend les textes tels que discutés en décembre dernier.

Qui participera à la coopération renforcée ?

La Suède, la Belgique, la Grèce, la Croatie, la Slovénie, l'Espagne, la France, le Portugal, l'Italie, Malte, le Luxembourg, l'Allemagne, la République tchèque, les Pays-Bas, l'Autriche, la Bulgarie et la Finlande. Par ailleurs, Chypre a exprimé en avril son désir de rejoindre cette coopération renforcée. La Slovaquie pourrait la rejoindre dans les semaines à venir, et la Lettonie une fois que les deux règlements auront été adoptés.

Que prévoient ces règlements ?

Les deux propositions de règlement visent à concentrer la compétence relative au régime matrimonial dans l'État membre dont les juridictions traitent déjà de la succession ou de la séparation en vertu des autres règlements européens sur la famille. Le but est que la même juridiction soit désignée pour toutes ces procédures.

Si aucune juridiction n'est désignée par un autre règlement européen, la juridiction compétente sera désignée en fonction de critères hiérarchisés par le règlement.

En ce qui concerne la loi applicable, pour ces deux textes, le choix a été fait de consacrer une relative autonomie dans la détermination de la loi applicable par les conjoints eux-mêmes. Cette autonomie est évidemment contrainte : la loi choisie doit être la loi de l'État dans lequel au moins l'un des conjoints a sa résidence habituelle ou la nationalité. Pour les partenariats enregistrés, cela peut également être la loi de l'État auprès duquel le partenariat enregistré a été créé.

Sur la question spécifique du traitement des couples de même sexe, pacsés ou mariés, qui est le point le plus sensible, pour la désignation de la juridiction compétente, une disposition spécifique a été introduite dans le règlement. Cette « clause échappatoire » permet à la juridiction de l'État membre en principe compétente en vertu du règlement de se dessaisir si son droit international privé ne reconnait pas l'union en question. Dans ce cas, les époux peuvent désigner pour statuer sur leur cas les juridictions de l'État membre dans lequel le mariage a été célébré.

Les propositions de règlement dressent la liste des cas exceptionnels dans lequel la non-reconnaissance des décisions de justice est possible, notamment dans le cas où leur reconnaissance serait manifestement contraire à l'ordre public. Pour éviter que cet article ne puisse servir de justification à la non-reconnaissance de décisions concernant des unions de couples de même sexe, un article a été intégré dans les deux textes précisant que cet article doit être interprété dans le respect de la Charte des droits fondamentaux, et notamment du principe de non-discrimination.

L'adoption de ces textes devrait intervenir très vite, et je pense que c'est une bonne chose : au Conseil, l'accord de principe sur la décision de coopération renforcée devrait être adopté le 12 mai prochain. La décision d'autorisation et l'approche générale sur les règlements seront soumises pour adoption au Conseil le 9 juin.

Je vous propose donc d'adopter la proposition de conclusions que je vous propose, qui envoie un signal positif très fort en faveur de l'adoption au plus vite de ce paquet législatif.

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