Monsieur le président, monsieur le rapporteur, j'évoquerai d'abord le paritarisme de gestion, puis le paritarisme de négociation.
La CFTC est très attachée au paritarisme de gestion, dont elle peut légitimement revendiquer d'être à l'origine puisque c'est le Conseil national de la Résistance (CNR) qui, à la sortie de la guerre, a mis en place toutes sortes d'instances visant à couvrir les risques tout au long de la vie des travailleurs. Ces instances étant financées par une ponction sur les salaires des ouvriers, les organisations syndicales et patronales ont été appelées à en assurer la gestion.
Par la suite, d'autres organismes ont été créés, tels que l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC), le système de prévoyance ou l'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO). Le paritarisme, en trouvant de nouveaux moyens pour protéger les salariés, a donc su évoluer.
Le paritarisme est bien vivant, puisqu'il a su s'adapter. On a ouvert au fur et à mesure la gouvernance de certains organismes lorsque les financements étaient élargis et ne reposaient plus uniquement sur les salaires ou lorsque les enjeux devenaient tels qu'ils dépassaient la seule gestion des organisations patronales et syndicales – je pense notamment à la sécurité sociale.
Les prélèvements opérés sur les salaires sont bien acceptés par nos concitoyens qui, s'ils émettent des doutes sur les impôts qu'ils doivent payer, ne remettent pas en cause les cotisations sociales. En cas de difficultés pour équilibrer les comptes des organismes, les salariés préfèrent, pour les retraites, par exemple, que l'on augmente les cotisations plutôt que de toucher à d'autres paramètres, ce qui veut dire que ce mode de gestion est reconnu par les salariés.
En ce qui concerne les allocations familiales, il a été question de supprimer les cotisations pesant sur les salaires. Nous nous y sommes toujours opposés, partant du principe que les allocations familiales et les allocations logement concernaient directement le salarié.
Le patronat a approuvé la mise en place des allocations familiales, estimant qu'il valait mieux aider ceux qui avaient une famille plutôt que d'augmenter tous les salaires et de les aligner sur ceux des salariés qui avaient des enfants. Il faut conserver le système des allocations familiales, car on ne vit pas de la même façon quand on a deux ou trois enfants et lorsqu'on est célibataire ou en couple sans enfants. On doit pouvoir vivre du revenu de son travail et, pour ce faire, les allocations familiales sont, à nos yeux, essentielles.
Nous sommes donc très attachés aux allocations familiales. Cela étant, nous avons su nous adapter. La gestion menée par les caisses d'allocations familiales dépassant largement le monde du travail, il nous a semblé tout à fait légitime que la gouvernance s'ouvre au-delà du paritarisme.
Comme vous le voyez, nous sommes attachés au paritarisme. La gestion n'est pas le pré carré des organisations syndicales. Nous sommes ouverts. Cela étant, nous préférons que les choses se fassent dans la concertation, car dès lors qu'on nous les impose, cela a du mal à passer. La concertation, au contraire, nous permet d'avancer. J'estime que les organisations syndicales ont dans la gestion la part qui leur revient, ce qui leur permet de suivre les cotisations des salariés.
J'en viens à l'évolution du paritarisme et au compte personnel d'activité (CPA).
Le champ du paritarisme peut encore s'élargir. Il s'agissait, au début, de réparation du risque. Aujourd'hui, on parle plutôt de projet professionnel ou de projet de vie. Pour notre part, nous préférons parler de projet de vie car, dans une vie, il n'y a pas que le professionnel, et la conciliation du temps de vie et du temps professionnel est une réelle attente des salariés. Avec le CPA, on devrait pouvoir trouver des pistes pour un nouveau mode de gestion paritaire.
Je vous donne un exemple, même si, aujourd'hui, il peut paraître utopique.
Autour de l'accord UNEDIC, certains commencent à dire qu'il n'est pas normal que les fonctionnaires ne cotisent pas à l'assurance chômage et que tout le monde devrait contribuer à l'effort.
Certes, tout le monde doit contribuer à l'effort, mais nous comprenons les fonctionnaires, qui ne veulent pas cotiser à une assurance qui ne leur servira à rien, estimant que la solidarité, c'est bien, mais qu'à la limite elle peut être assurée par les autres.
Or si l'on avait une vision beaucoup plus large et si l'on allait vers la sécurisation des temps de vie, les fonctionnaires pourraient aussi bénéficier de cette assurance pour réaliser un projet.
Aujourd'hui, si l'on demande un congé de six mois pour une mission humanitaire, il s'agit généralement d'un congé sans solde, ce qui, de surcroît, pose problème en termes de carrière. Le résultat est que très peu de gens partent.
Si tout le monde cotisait à l'assurance chômage à hauteur de 0,5 % ou 1 % et que ces cotisations puissent servir à remplacer un salaire, qu'il s'agisse d'humanitaire ou de tout autre projet d'un temps de vie, tout le monde bénéficierait d'un retour et accepterait beaucoup plus facilement de cotiser.
En ce qui concerne le CPA, il ne s'agirait plus d'un compte épargne-temps (CET), mais d'un « compte temps », qui permettrait de financer toutes sortes de congés, l'assiette des cotisations étant considérablement élargie.
Un tel système aurait pour avantage de diminuer le nombre de demandeurs d'emploi puisqu'il faudrait remplacer, par exemple, les personnes parties faire de l'humanitaire. On pourrait ainsi libérer plus d'emplois et, en élargissant l'assiette, financer le système d'une façon optimale.
Il y a beaucoup d'autres cas de ce type. Il faut profiter du CPA pour mettre en place un tel dispositif et s'occuper des temps de vie. Je pense que cela répond à l'attente des salariés et que le patronat pourrait accepter la mise en place de ce dispositif, dans la mesure où il ne coûte pas plus cher. Mieux vaut donner aux gens les moyens de s'accomplir plutôt que d'avoir des demandeurs d'emploi dont les perspectives d'avenir sont plus ou moins bouchées.
Le paritarisme peut encore évoluer. D'autres champs peuvent s'ouvrir et ce qui existe doit pouvoir être amélioré.
Nous sommes signataires de l'accord national interprofessionnel (ANI) du 17 février 2012. Il y a sans doute des points à revoir, mais la négociation et le suivi de l'accord doivent permettre de faire les ajustements nécessaires.
Voilà pour le paritarisme de gestion.
La CFTC est ouverte ; elle tient à ce paritarisme, qui a apporté beaucoup de choses et peut encore en apporter si l'on est imaginatif et dans l'air du temps. Je pense, en l'occurrence, à l'« ubérisation », car la sécurisation des salariés qui se dirigent vers ces nouveaux métiers pose de gros problèmes.
S'agissant du paritarisme de négociation, je serai un peu plus critique.
La négociation interprofessionnelle au niveau national peut aussi se décliner au niveau des branches. Pour moi, les lois Auroux ont plus ou moins réglé le problème au niveau des entreprises. Si l'on avait poussé un peu plus loin la réflexion, elles auraient aussi organisé le dialogue social dans les branches.
Dans le projet de loi « travail », le fameux « comité permanent de branche » s'inspire, selon moi, des revendications de la CFTC. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi nous en sommes arrivés à ce comité permanent de branche. Nous appelons également de nos voeux un comité permanent du dialogue social au niveau interprofessionnel.
Aujourd'hui, monsieur le président, j'ai lu, dans une dépêche de l'Agence Éducation Formation (AEF), que vous vous demandiez pourquoi les partenaires sociaux s'emparaient de négociations comme celle portant sur la qualité de vie. Je vais vous donner une explication, qui n'engage que moi et la CFTC. Je pense que cela tient pour beaucoup à l'organisation du dialogue social interprofessionnel.
Quand le Premier ministre ou le Gouvernement décident de saisir les partenaires sociaux pour une négociation, concrètement, le Premier ministre signe huit lettres, qu'il envoie aux cinq organisations de salariés et aux trois organisations patronales. Puis il ne se passe plus rien, parce qu'aucune des organisations ne peut, à elle seule, dire qu'elle veut négocier.
Les choses se passent alors au téléphone. On s'appelle pour se demander ce qu'on en pense. On est dans le flou, et je suis moi-même parfois surpris de voir émerger ou rejeter une négociation.
Tout le monde a les lettres sous le coude, la pile augmente, mais, en réalité, il ne se passe pas grand-chose, sauf si quelqu'un a demandé au Gouvernement de solliciter les organisations pour négocier. Cela ne devrait pas se passer de cette façon.