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Nous vous remercions de nous avoir invitées à traiter d'un sujet qui nous tient particulièrement à coeur car la CFE-CGC a en quelque sorte le paritarisme dans les gènes. Le dialogue social, c'est la solidarité et un modèle social fondé sur une forme d'intelligence collective plus que jamais nécessaire dans une mondialisation qui chahute les relations professionnelles des individus. Le moment est donc bien choisi pour faire le point et j'admire que vous ayez ouvert cet immense chantier. Vos auditions relatives aux retraites complémentaires, à l'UNEDIC, et maintenant au paritarisme écrivent un livre utile.
Je tenterai dans un premier temps de répondre au questionnaire que vous nous avez adressé. La CFE-CGC s'est inscrite d'emblée dans la sphère du paritarisme, apparu en 1947 avec la création de l'Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC). Il s'agissait de répondre aux attentes et aux besoins par la création d'une organisation qui s'empare du sujet considéré et qui crée ses propres règles ; cela ne doit jamais être oublié. Cet acte fondateur est né de l'idée que des droits complémentaires étaient nécessaires et que, la loi ne pouvant tout régler, les partenaires étaient aptes à les définir. Une fois les normes conçues, on apprend à gérer les droits créés. Si dysfonctionnements il y a, c'est dans la gestion, mais le principe du paritarisme demeure fondamental.
Après l'AGIRC ont été créés l'UNEDIC, en 1958 ; l'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO), en 1961 ; l'Association pour l'emploi des cadres (APEC), en 1966 – un modèle de gouvernance exemplaire – ; la formation professionnelle continue, par la loi de 1971 révisée par le texte refondateur de mars 2014. On se gardera d'oublier les organismes du « 1 % logement » : étant donné les difficultés que l'on connaît pour se loger en France, le système paritaire créé en 1953 est singulièrement nécessaire pour accompagner les parcours professionnels tout au long de la vie.
Pour la CFE-CGC, le paritarisme, c'est la définition des normes issues de la négociation collective, l'interprétation de ces normes et la gestion qui en découle. Depuis quelques années, les conférences sociales ont pour rôle de guider l'avenir. Quand les partenaires sociaux sortent d'une conférence sociale munis d'une feuille de route définie grâce à des échanges entre tous les acteurs, ils sont au plus près des attentes des individus. Il peut en découler des accords interprofessionnels puis leur transcription dans la loi. Ce cheminement d'une grande sagesse est un gage de sécurité et de proximité dans l'élaboration des normes. C'est l'armature du paritarisme, qui n'existe que quand il crée des droits, telles l'assurance-chômage ou les retraites complémentaires. Ensuite, les partenaires sociaux savent gérer ce qu'ils connaissent et ils le font bien – j'en donnerai pour exemple le projet d'accord qui s'est trouvé cette nuit même sur le régime d'assurance-chômage des intermittents du spectacle. Il faut nous faire confiance. On ne peut pas se passer du paritarisme, forme de régulation sociale permettant de concilier les intérêts divergents d'un patronat qui a des exigences nées de son modèle économique et de salariés en souffrance parce que ce modèle n'est plus adapté et doit être revu, mais avec des sécurités dont la définition justifie une réflexion des partenaires sociaux.
Enfin, pour nous, militants, le paritarisme est l'école du respect et de l'écoute de l'autre. Décider ensemble, c'est un modèle qui guide la France et qui ne réussit pas si mal, une méthode qui est confrontée à la réalité ou, si l'on préfère, une réalité qui conduit à une méthode ; dans tous les cas, c'est une façon de faire que nous défendrons toujours.
Mais, vous avez raison, nous sommes à un tournant. Le champ du paritarisme est-il satisfaisant ? Faut-il l'étendre ? Faut-il le restreindre ? La réflexion sur le compte personnel d'activité (CPA), outil de sécurisation du parcours professionnel tout au long de la vie, nourrit ce questionnement. Pour autant, il est difficile de répondre à la question telle qu'elle est posée puisque, pour les salariés, le champ du paritarisme ne sera jamais satisfaisant et que le patronat le jugera toujours encombrant, lourd et contraignant. Mieux vaut donc s'interroger sur la légitimité du paritarisme. Là est peut-être la faiblesse des organisations syndicales, et aussi celle d'un État qui reconnaît cette légitimité dans les textes mais pas dans la pratique. Le dispositif n'est pas clair. Ainsi, la loi dit la légitimité du dialogue social, mais si la représentativité des organisations syndicales est mesurée depuis 2008, celle des organisations patronales ne le sera qu'à partir de 2017. Des décalages permanents de calendrier et la dispersion des instances de décision empêchent de dessiner, dans la sérénité, des schémas durables. Aussi, c'est sur le rôle réel du paritarisme qu'il convient de s'interroger, d'autant qu'il existe beaucoup d'accords interprofessionnels, des systèmes de paritarisme pur – tel celui de l'APEC –, des systèmes de paritarisme mixte, et encore des systèmes plus diversifiés, plus compliqués et certainement moins efficaces. Il y a aussi le niveau interprofessionnel et désormais le niveau régional, et l'on doit apprendre ; la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle y aidera.
En résumé, la légitimité du paritarisme n'est pas contestée, mais son application souffre de la dispersion de la prise de décision. Les partenaires sociaux créent des droits et savent les gérer, mais il vient un moment où tout le monde se prend les pieds dans le tapis en se focalisant sur les déficits des régimes gérés paritairement, observés sur une courte période. Il y a peu d'évaluation du paritarisme de gestion pur : on reporte toujours celle des accords nationaux interprofessionnels et des systèmes, et l'on s'en tient à une analyse faite par le petit bout de la lorgnette, en constatant le déficit d'un organisme paritaire – ce qui fâche l'État, car cela a un impact sur la dette publique. Mais les analyses faites par le Conseil d'orientation des retraites (COR) il y a trente ans sur la base de tables de mortalité sont toujours sensées, comme est toujours sensé le modèle de l'UNEDIC. On oublie que pendant certaines périodes la croissance fait défaut, ce qui entraîne des à-coups pour les régimes gérés paritairement, et l'on reproche aux partenaires sociaux ce qui s'explique par la conjoncture économique. Voyez ce qu'il en est pour l'UNEDIC : tout point de croissance supplémentaire entraîne la création de 145 000 emplois nets, et le modèle fonctionne. C'est pourquoi j'ai supplié le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) de ne pas toucher, en 2011, à la convention d'assurance-chômage, car je savais que la crise de 2008 allait entraîner de nombreux plans sociaux ; j'ai été entendue. De même, les partenaires sociaux vont maintenant mettre au point des modes de financement intelligents de l'accord sur l'indemnisation des intermittents du spectacle. Mais ils sont toujours soumis à des facteurs externes dont on les rend responsables alors qu'ils ne le sont pas. Pour mesurer le rôle qu'ils jouent véritablement, un minimum d'honnêteté s'impose dans l'analyse de l'équation sociale et économique. Les travaux de votre mission y aideront peut-être ; c'est une bonne chose, car il n'y a pas de lieu pour en débattre, singulièrement pour ce qui concerne la sécurité sociale. On pourrait aussi parler de l'inflexion de l'État, de son immixtion, des ponctions opérées à certaines époques sur le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels…
En résumé, le paritarisme a une légitimité ; ensuite, les résultats qu'il obtient doivent être mesurés. À cet égard, n'existerait-il pas que nous serions dans une situation semblable à celle qu'ont connue l'Espagne et l'Italie, pays dont les populations ont gravement souffert des conséquences de la crise. En France, le paritarisme a joué le rôle d'amortisseur social. Si chacun voulait bien en convenir, ce serait un acquis en soi.
Le paritarisme crée des droits, nés d'un accord initial dont le financement est décidé ensemble. Seulement, l'assiette des cotisations se réduit au fil des ans, car les cotisations sont toujours définies sur la base du statut salarié type alors que toutes sortes de statuts et de montages juridiques ont été inventés. Il n'est pas rare que l'on incite un salarié de 57 ans à s'inscrire au chômage tout en lui expliquant que l'on a besoin de ses compétences auprès de clients qui ne veulent avoir affaire qu'à lui ; en conséquence, on lui propose un contrat de six mois complété par du portage salarial et de l'auto-entreprenariat. Du fait de cette imagination débordante, l'assiette de la cotisation s'amenuise. Or les droits doivent être financés ; autant dire que si l'on envisage d'étendre le champ du paritarisme, il faut aussi élargir les assiettes de cotisation. Le CPA permettra que nous ayons ce débat. Dans des systèmes tels que l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), les caisses de congés payés ou Action Logement, nous ne pouvons pas intervenir : seul le patronat peut décider d'augmenter la cotisation temporairement pour sauver les salaires et de la baisser quand il y a de nouveau des créations d'emplois. Les choses sont particulièrement ardues pour ce qui concerne Action Logement : une réforme compliquée est en cours dans laquelle les partenaires sociaux sont impliqués, mais c'est l'État qui décide de la politique du logement et qui flèche les investissements.