Intervention de François Zimeray

Réunion du 11 juillet 2012 à 10h00
Commission des affaires étrangères

François Zimeray, ambassadeur de France pour les droits de l'Homme :

Oui : de l'infuser dans chacun de nos actes, ce qui demande une grande énergie.

Vous m'avez interrogé sur la manière dont je conçois ma fonction. Je suis personnellement convaincu de deux ou trois choses. Tout d'abord, je rejette l'opposition traditionnelle, quelque peu primaire, entre, d'une part, le monde de l'idéal et de la vertu, dont relèveraient les droits de l'Homme, et, d'autre part, le monde du cynisme et de la Realpolitik. La défense des droits de l'Homme est une politique des réalités. Les droits de l'Homme, ce n'est pas de la morale. Ce sont des droits qui existent ou qui n'existent pas, qui sont appliqués ou qui sont violés – le droit de ne pas être torturé, le droit à l'enfance, le droit à un procès équitable – et, au bout du compte, ce sont des hommes, des femmes et des enfants. C'est du point de vue de ces réalités que nous devons nous situer pour évaluer l'efficacité de nos politiques en nous gardant de la tentation narcissique de défendre les droits de l'Homme pour nous-mêmes, au nom de l'image que nous avons de nous-mêmes, individuellement ou collectivement. En d'autres termes, les droits de l'Homme ne relèvent pas du registre déclaratoire, mais bien de l'action – action patiente, parfois ingrate, toujours recommencée, jamais aboutie.

Si les droits de l'Homme constituent une dimension essentielle de l'action extérieure de la France, celle-ci ne s'y réduit pas. Il ne serait pas honnête de prétendre ignorer que nos ambassadeurs, chargés de soutenir les partisans des droits de l'Homme, ont aussi pour mission de défendre nos intérêts économiques, militaires, stratégiques, culturels et scientifiques. Or si l'on oppose les droits de l'Homme à ces autres missions, ils seront presque assurément perdants. Voilà pourquoi, de mon point de vue, il faut tenter de concilier autant que possible les droits de l'Homme et les autres intérêts que nous devons défendre, en évitant de tomber dans le piège qui consisterait à les opposer. Du point de vue personnel, narcissique, il peut être très satisfaisant de se refuser à prendre tel ou tel intérêt en considération, au nom des droits de l'Homme, de son éthique et de sa déontologie personnelles. Pour Jeanne Hersch, l'une des philosophes qui a le plus étudié les droits de l'Homme, ces droits sont absolus et insolubles, insolubles parce qu'absolus. Mais si la défense des droits de l'Homme est une politique des réalités, alors il faut bien qu'ils soient solubles, conciliables avec les autres dimensions de notre action extérieure.

Concrètement, cela implique d'abord d'être à l'écoute des ONG. Voilà pourquoi je veille pour ma part, je l'ai dit, à ce que chaque départ en mission soit précédé d'un briefing avec les ONG compétentes en matière de droits de l'Homme et suivi, au retour, d'un débriefing. Nos liens avec les ONG – nos juges et, bien que le terme soit sans doute impropre, nos « clients » – sont donc étroits et d'autant plus précieux que ces organisations ont considérablement gagné en professionnalisme et en rigueur méthodologique. Nous avons beaucoup à apprendre de ces partenaires indispensables de l'action extérieure de la France dans tous les domaines. Il s'agit donc d'insister sur cette dimension de notre action aussi au Quai d'Orsay, en lien avec nos partenaires extérieurs et avec les différentes directions, géographiques et transversales.

Cela implique également de suivre les situations individuelles qui me sont rapportées. Mon écran d'ordinateur est une sorte d'écran radar sur lequel vient s'afficher un concentré de toutes les violences et de toutes les souffrances du monde, individuelles et collectives. Et derrière mon poste, il y a au Quai d'Orsay, à Genève et à New York plusieurs dizaines d'agents très spécialisés et très actifs auxquels je veux rendre hommage, qui se lèvent le matin en pensant aux droits de l'Homme, qui se couchent le soir en pensant aux droits de l'Homme ; on le sait encore trop peu.

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