Intervention de François Brottes

Réunion du 11 mai 2016 à 9h30
Commission des affaires économiques

François Brottes, président du directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE :

Nous devons en somme notre indépendance à l'Europe, et nous lui avons bien rendu, en étant un acteur européen particulièrement dynamique. J'ai déjà évoqué les quarante-huit liaisons transfrontalières, la dernière en date étant l'interconnexion France-Espagne, qui est une première mondiale sur le plan technologique. Elles placent physiquement la France au coeur de l'Europe de l'électricité. Dix-neuf pays, dont la France, sont aujourd'hui « couplés » – même si le terme est plutôt mal choisi lorsque l'on est dix-neuf partenaires… – par les prix du marché de l'électricité.

Il s'agit d'une véritable révolution silencieuse, qui s'accomplit grâce aux bourses de l'électricité et qui permet d'optimiser le mix électrique sur l'ensemble de la plaque européenne.

Les transactions sur le marché EPEX Spot ont augmenté de 57 % depuis l'année dernière, pour atteindre un volume historique de 100 térawattheures, car ce sont moins les phénomènes d'excédent ou de pénurie qui dictent la circulation des électrons sur le réseau que leur niveau de prix, qui varie d'un pays à l'autre. D'où le fait que, encouragé par la Commission européenne, RTE développe de nombreux projets d'interconnexions supplémentaires avec l'Italie, l'Angleterre, l'Espagne ou l'Irlande. Le maillage de l'Europe de l'électricité est donc en cours, pour mieux sécuriser l'ensemble des approvisionnements. Je veux d'ailleurs rappeler que RTE est le fondateur de référence avec l'Allemagne, les Pays-Bas et la Belgique, d'EPEX Spot, la société qui gère les marchés français, allemand, autrichien et suisse. C'est une bourse d'échanges plus qu'un lieu de spéculation. Des joint-ventures ont également été créées pour gérer les interconnexions entre pays, ainsi qu'un centre de coordination régional à l'échelle européenne, le CORESO – COoRdination of Electricity System Operators –, qui permet d'anticiper les besoins de consommation en Europe de l'Ouest.

L'Europe nous a de fait émancipés, mais elle pourrait freiner cet élan, car la Commission européenne a préparé un grand chantier d'évolution des règles du jeu dans notre secteur pour l'année 2016, qui sera une année charnière. À travers ses propositions de nouvelles directives, des évolutions décisives se jouent et des transferts de compétences se dessinent sur des sujets majeurs. La Commission partage en effet avec tous les acteurs le constat d'une crise du système électrique, les prix de marché en baisse retenant notamment les investisseurs de s'engager sur le long terme. Elle a donc mis sur la table une série de propositions, sur lesquelles je pourrai revenir si vous le souhaitez.

Pour répondre à ces trois défis, RTE a lancé l'élaboration d'un nouveau projet d'entreprise. Il est porté par la nouvelle équipe dirigeante, dont deux représentants sont présents à mes côtés aujourd'hui : Mme Valérie Champagne, directrice générale « Finances et achats », et M. Olivier Grabette, directeur général adjoint « Prospective, expertise et solutions ».

Dans les grandes lignes, plusieurs principes nous guident. Le premier est que notre réseau électrique doit devenir un réseau numérique, sachant que ce sont avant tout les données numériques qui nous permettent d'anticiper et d'optimiser le fonctionnement du réseau. Par exemple, prévoir la force du vent permet de prévoir qu'un câble pourra transporter davantage d'électricité que la norme le lui permet, car le vent refroidit les câbles.

D'autres dispositifs nous permettent de créer des lignes virtuelles, sorte de systèmes tampons qui allient électronique et technologies issues du monde du stockage et servent de relais lorsqu'une ligne rencontre des difficultés.

Bref, nous allons compléter le béton et l'acier par le silicium, le plastique… et la matière grise : RTE est l'une des entreprises où la R&D est la plus importante. Sans arrogance, nous n'hésitons pas à faire appel à des startups, que nous aidons à grandir, grâce à un petit fonds d'investissement dédié.

Nous faisons le pari de l'open data. Plus les données sont nombreuses et organisées meilleures sont nos capacités de gestion, d'anticipation et, in fine, les économies réalisées, ce qui a une double vertu : diminuer la facture du consommateur et réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Le deuxième principe est que nous allons restaurer un lien direct avec les territoires. Je vous renvoie ici à notre application Eco2Mix, dont nous avons inauguré la première version métropolitaine pour le Grand Paris, et qui permet notamment aux collectivités de suivre en temps réel leur consommation. C'est avec ce type d'instruments pédagogiques que l'on incite chaque acteur à modifier son comportement.

Nous avons ainsi développé en Bretagne et en Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) une application appelée EcoWatt, qui nous permet, en cas de difficultés sur le réseau, d'avertir la population par SMS, pour l'inviter à faire preuve de modération dans sa consommation. Les consommateurs jouent le jeu.

Concernant encore notre implication dans les territoires, RTE a payé 484 millions d'euros de taxes liées à son implantation territoriale.

Nous sommes également partenaires des projets de réseaux intelligents qui se développent en PACA, en Bretagne et dans les Pays de la Loire, où j'ai lancé, il y a trois semaines, avec Jean-Yves Le Drian et Bruno Retailleau le projet SMILE – SMart Ideas to Link Energies.

Nous mettons enfin en place dans les Hauts-de-France le poste électrique nouvelle génération. Ce poste, dit « poste intelligent », va permettre une exploitation beaucoup plus fine de l'ensemble du réseau électrique. Il s'agit d'une révolution technologique.

Quatrième et dernier principe : nous conserverons le même niveau d'exigence et de sécurité, qui ont fait la réputation de RTE.

Une partie des métiers que nous exerçons sont des métiers difficiles, exigeants, parfois dangereux et qui nécessitent prudence et vigilance. Mais travailler sous tension ne signifie pas nécessairement travailler en tension, et nous veillons à ce que nos équipes puissent travailler dans la sérénité, laquelle n'est pas toujours favorisée par les débats publics sur le sort de RTE.

J'ai donc été amené à rappeler que nous remplissions vingt-quatre heures sur vingt-quatre, seconde par seconde, une mission vitale, que nous exercions dans un cadre régi par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui impose qu'en sa double qualité de service public national et de monopole, RTE reste une entité publique, ce que précise la loi du 9 août 2004, relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, selon laquelle ses actionnaires ne peuvent être que des entités publiques. Ce cadre juridique préserve le caractère public du capital, détenu en totalité aujourd'hui par EDF, entreprise publique, bien que son capital ne soit pas public à 100 %.

Il ne vous aura pas échappé que les perspectives d'ouverture du capital inquiètent le corps social de RTE, qui n'est pas prêt à accepter n'importe quelle évolution pour une entreprise à laquelle il est fier d'appartenir, par attachement au service public. Ce sentiment est partagé par l'ensemble du directoire, et l'ampleur du mouvement social du 3 mai dernier montre que les inquiétudes des salariés justifient qu'on leur apporte une réponse satisfaisante. C'est la raison pour laquelle nous sommes associés aux discussions sur l'ouverture du capital, étant moi-même, en tant que président du directoire, garant du respect des principes que nous avons établis.

RTE est une entreprise forte et indispensable, et ce grâce aux femmes et aux hommes qui la composent – un accord sur l'égalité entre femmes et hommes a été signé avec l'ensemble des organisations syndicales.

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