La difficulté qui nous est apparue lors de nos auditions et qui est aussi la raison pour laquelle, depuis tant d'années, dans notre pays, la politique de la ville a du mal à être efficace est la suivante : la volonté politique du gouvernement existe, les ministres ont fait ce qu'il fallait, la volonté du Parlement est elle aussi affichée au travers de cette loi ; on sait ce que l'on veut et on sait à peu près ce qu'il faut faire ; mais ensuite, – je vous donne un avis personnel – on se heurte à la lourdeur des administrations. Je n'ai pas été surpris car je m'y attendais un peu, mais j'ai eu confirmation que la haute administration est dans l'incapacité de nous dire ce qu'elle fait vraiment pour ces quartiers prioritaires lorsqu'on lui demande quel est le droit commun dans ces quartiers, quel est le plus qu'elle apporte. On comprend pourquoi les annexes financières ne sont pas remplies. Les responsables sont en mesure de nous dire quels sont les instruments spécifiques mobilisés, mais pour les moyens de droit commun, ils n'ont pas les outils, y compris statistiques, pour répondre. Les choses toutefois s'améliorent et vont dans le bon sens, un observatoire va être mis en place. Je ne suis pas en train de dire que rien n'est fait mais l'administration souffre d'une incapacité à analyser ce qui est vraiment fait. Donc, elle reproduit ce qu'elle a déjà fait. La grande nouveauté de la loi Lamy tenait précisément à l'obligation de distinguer dans le contrat de ville les moyens de droit commun mobilisés. Les administrations ont du mal à le faire.
L'exemple le plus criant de cette incompréhension est évidemment que la géographie prioritaire de l'Éducation nationale a été reformée quelques mois avant la signature des contrats de ville. Or, la logique aurait voulu que l'administration se mette autour de la table avec les élus et les acteurs locaux, y compris les conseils citoyens, pour déterminer ensemble quels étaient les établissements prioritaires et les inscrire dans le contrat de ville. L'Éducation nationale a choisi seule, sans concertation, les établissements prioritaires, alors qu'un dialogue s'engageait avec les habitants et les élus sur la politique de la ville. C'est révélateur soit d'une volonté de ne pas faire et accessoirement de ne pas appliquer la loi, soit d'une incompréhension de ce que sont ces quartiers et de ce qu'il faut y faire. Le Commissariat général à l'égalité des territoires, rattaché directement au Premier ministre, doit, grâce à sa fonction interministérielle, peser de tout son poids auprès des ministres concernés pour leur demander d'appliquer la règle et vaincre les réticences de l'administration. Cela avance petit à petit.
Je reviens sur l'exemple des hôpitaux. Lorsque l'AP-HP à Paris doit décider de la fermeture d'hôpitaux, elle le fait en priorité dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, ce qui est la négation complète de la loi que nous avons votée. S'il y a des quartiers dans lesquels ne pas fermer l'hôpital, ce sont bien ceux-là puisqu'ils sont prioritaires. Malgré la volonté politique du Gouvernement, quel qu'il soit d'ailleurs, et la volonté du législateur, la lourdeur de la haute administration aboutit à de tels résultats.
Comment peut-on arriver à faire les choses ? C'est l'intérêt des fameuses annexes financières dans lesquelles les services déconcentrés de l'État doivent renseigner des chiffres. La loi les y oblige. Peut-être les ministres doivent-ils insister de nouveau auprès des préfets de département et des préfets à l'égalité des chances, lorsqu'il y en a, pour que ces annexes financières soient enfin publiées. Nous pourrons alors nous appuyer sur un état des lieux. C'est la priorité, l'urgence, sinon nous retomberons dans les travers du passé : nous aurons signé de magnifiques contrats de ville et voté une belle loi – je ne suis pas en train de dire que la politique de la ville ne sert à rien, il se passe des choses très importantes, les services déconcentrés font du travail dans ces quartiers, les élus sont impliqués. Il faut aller plus loin, c'est-à-dire disposer au moins d'un état des lieux afin de pouvoir mobiliser les moyens de droit commun pour ces quartiers.
Monsieur Daniel Goldberg l'a dit, la concertation avance, plutôt bien d'ailleurs ; les expériences sont plutôt enrichissantes, mais les conseils citoyens posent deux questions : la formation et, très vite, puisque de nombreuses réunions sont organisées dans la journée, les participants font valoir qu'ils travaillent, qu'ils n'ont pas d'autorisation d'absence auprès de leur employeur et qu'ils ne sont pas rémunérés ou défrayés. On ne peut pas demander aux gens de s'impliquer dans la vie citoyenne et de participer sans apporter de réponses aux problèmes matériels qui se posent.
S'agissant des contrats de ruralité, qui ne sont pas de notre domaine de compétence, je pense, à titre personnel, à l'instar des contrats de ville, que les contrats de ruralité ont du sens, qu'il y a un intérêt à mettre les acteurs autour d'une table pour déterminer quelles sont les politiques efficaces pour l'avenir d'un territoire. On l'a fait pour la ville, on peut le faire aussi pour la ruralité.