En ce qui concerne Mme Timochenko et, plus généralement, la situation en Ukraine, je me suis rendu à deux reprises sur place depuis le début de l'année et j'ai fait deux fois le voyage de Kharkov, dans l'est du pays. La première fois, alors que j'avais obtenu l'autorisation de rendre visite à Ioulia Timochenko, on m'a indiqué au dernier moment, devant le portail de la prison, qu'elle était convoquée chez le magistrat, à l'insu de ses avocats eux-mêmes – ce qui en dit long sur la procédure pénale ukrainienne. Lors de ma seconde visite, j'ai pu entrer dans la prison mais je n'ai pas été autorisé à voir Mme Timochenko. J'ai demandé au directeur de la prison si je pouvais lui laisser un mot ; cela m'a été refusé. J'ai demandé de ses nouvelles ; on a refusé de m'en donner. J'ai également assisté à l'ouverture de son procès, dont son état de santé l'a tenue elle-même éloignée.
Même si je n'ai pu entrer directement en contact avec Mme Timochenko, la présence de la France n'est pas passée inaperçue. Toute la presse ukrainienne et russophone était là et la présence de votre serviteur a été une grande source de réconfort pour les défenseurs des droits de l'Homme en Ukraine.
Je n'en suis pas moins très pessimiste sur le sort de Ioulia Timochenko. N'oublions pas non plus celui des autres détenus à caractère politique, en particulier MM. Ivachenko et Loutsenko. J'ai également assisté au procès de ce dernier, qui a été très lourdement condamné sur un prétexte fantaisiste. L'Ukraine est l'un des seuls pays que je connaisse où un article du code pénal – l'article 365 – sanctionne comme un crime des décisions politiques jugées mauvaises alors même qu'elles ne constituent aucune infraction pénale au sens où nous l'entendons. Mme Timochenko fait en outre l'objet d'un acharnement judiciaire puisqu'à cette accusation s'ajoutent aujourd'hui de nouvelles poursuites pour fraude fiscale.
Plus généralement, l'Ukraine offre un tableau décevant. Voilà un pays qui avait goûté aux fruits de la démocratie et dont le recul depuis deux ans est assez impressionnant. On le compare souvent à la Biélorussie, ce qui est excessif car l'Ukraine est beaucoup plus ouverte que sa voisine. Mais, d'une certaine façon, le bilan y est d'autant plus décevant. Voilà qui doit nous inciter, nous, Européens, à nous interroger sur les limites de notre attractivité et de nos moyens d'influence : nos incitations, nos pressions alors que nous négociions des accords privilégiés avec l'Ukraine n'ont pas exercé un effet assez dissuasif sur un pays pourtant incapable de se passer de son partenariat avec l'Europe.
En ce qui concerne la Roumanie et la Hongrie, la situation à laquelle vous faites allusion est récente ; je ne me suis pas encore rendu dans ces pays. Vous le savez, c'est toujours avec une grande prudence que l'on se prononce à propos d'un État européen. Cela étant, qu'il s'agisse de l'Europe ou de la France, l'on ne peut rester prisonnier de l'idée que les diplomates, chargés de l'action extérieure, resteraient en quelque sorte au balcon. Dans notre monde ouvert, chacun doit rendre compte de sa propre situation auprès des autres. En d'autres termes, comment défendre les droits de l'Homme sur la scène extérieure si l'on ne peut répondre des problèmes qui se posent sur la scène intérieure, qu'elle soit européenne ou française ? Pour ces raisons, nous ne pourrons nous désintéresser bien longtemps de la situation qui prévaut en Roumanie et en Hongrie.
Quant au Turkménistan, je vous remercie d'en avoir parlé, car il fait partie, comme le Kirghizstan, des pays situés dans l'angle mort médiatique. « Ici, il n'y a pas de violations des droits de l'Homme puisqu'il n'y a pas de droits de l'Homme ! » Cette boutade que j'ai entendue là-bas comporte une part de vérité puisqu'une grande partie des conventions internationales n'ont été ni signées ni ratifiées par le Turkménistan.
Deux personnes y sont effectivement détenues pour avoir participé à un reportage réalisé pour l'émission Envoyé spécial. J'ai parlé de leur cas au ministre des affaires étrangères turkmène lors de ma mission sur place, il y a deux ans, mais je n'ai obtenu aucune réponse. L'entretien a d'ailleurs été assez vif, à la limite de l'incident. J'ai demandé à les voir ; on m'a répondu qu'ils étaient au secret. J'ai demandé à voir leurs avocats ; cela m'a été refusé. J'ai demandé à voir leurs familles ; cela m'a été également refusé. J'ai alors mis fin à l'entretien.