Intervention de Thomas Fatome

Réunion du 12 mai 2016 à 10h00
Mission d'information relative au paritarisme

Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, merci de me donner l'occasion d'évoquer ces différents sujets, peut-être en précisant d'emblée le rôle de la direction de la sécurité sociale (DSS), qui est triple en la matière.

Nous proposons à nos ministres ou au Parlement le cadre juridique législatif et réglementaire du paritarisme et les évolutions des règles de gouvernance, qui ont été régulières ces dix ou quinze dernières années.

Nous exerçons la tutelle des organismes, à la fois au niveau national et au niveau local, à travers la Mission nationale de contrôle et d'audit des organismes de sécurité sociale (MNC), un service à compétence nationale. Celle-ci a réuni des équipes qui étaient historiquement dans les directions départementales (DDASS) et régionales (DRASS) des affaires sanitaires et sociales, et qui relèvent maintenant de la direction de la sécurité sociale. Ce sont « les yeux et les oreilles » de la DSS vis-à-vis des caisses au niveau local.

Enfin, et cela a pris de l'ampleur, nous animons la contractualisation et le partenariat avec les caisses nationales au travers des conventions d'objectifs et de gestion (COG), qui sont un pilier central des relations entre l'État et les caisses de sécurité sociale.

Les sujets que vous abordez sont évidemment très larges. Comme l'ont observé nombre d'acteurs lors des auditions précédentes, quand on parle de paritarisme et de partenaires sociaux, la situation se présente de façon très différente selon qu'on vise l'AGIRC-ARRCO, l'UNEDIC ou la sécurité sociale, voire au sein de la sécurité sociale elle-même, selon que l'on vise l'assurance maladie ou d'autres branches. Ainsi, depuis 2004, les conseils d'administration de l'assurance maladie ont été transformés en conseils et le directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) et de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM), qui est la même personne, s'est vu attribuer des pouvoirs importants. Dans les branches famille, recouvrement et vieillesse, les partenaires sociaux conservent un rôle important en matière de gestion, même si – et c'est là où j'aurais pu reprendre le terme de « tripartisme asymétrique masqué » – c'est bien l'État qui définit le contenu des risques, les prestations associées et les règles du recouvrement.

Si l'on regarde un peu finement les chiffres, on s'aperçoit malgré tout que les partenaires sociaux ont une responsabilité directe, en termes de gestion, sur tout ce qui relève de la gestion administrative et des prestations extra-légales. Les montants sont relativement faibles par rapport à l'ensemble des prestations, mais il n'empêche que le fonds d'action sociale de la branche famille – qui a un rôle majeur en matière, notamment, de création de places et d'animation d'un certain nombre de politiques publiques – dépasse 5 milliards d'euros. C'est un des secteurs où les partenaires sociaux, au sein des conseils d'administration – à la fois au niveau national et local –, ont un rôle de gestion directe très significatif.

Parlons maintenant des évolutions, comme vous m'y avez invité.

J'évoquerai deux types d'évolutions, qui ne sont pas révolutionnaires, mais qui ont tout de même marqué ces dernières années.

Premièrement : l'affirmation du rôle des caisses nationales et, de fait, des directeurs dans la gestion quotidienne et opérationnelle du service public de la sécurité sociale, dans le cadre des orientations fixées par les conseils ou les conseils d'administration.

Historiquement, la sécurité sociale s'est construite autour des caisses locales, qui bénéficiaient d'une autonomie assez forte. Cette autonomie subsiste mais, ces dix ou quinze dernières années, elle a cédé la place à une animation de réseau. Les exigences de qualité de service, la transformation des systèmes d'information, les contraintes touchant à la maîtrise des coûts de gestion et au respect du principe d'égalité devant le service public ont fait des caisses nationales des opérateurs de réseau. Et si l'on analyse la répartition des rôles, le curseur s'est un peu déplacé vers le niveau national qui, en outre, signe une convention avec l'État et la décline ensuite entre le niveau national et les caisses via les contrats pluriannuels de gestion (CPG), cadre dans lequel agissent les caisses locales.

Les règles de nomination des directeurs au niveau local ont également évolué, en 2004 pour l'assurance maladie, en 2009 pour les autres branches. Elles se sont traduites par un renforcement du rôle du directeur de caisse nationale, en concertation avec les conseils d'administration au niveau local – qui peuvent s'y opposer dans des conditions définies. Ce sont des changements significatifs.

Deuxième évolution : le renforcement du rôle de l'État.

Il s'est fait grâce à deux outils, la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) et les COG, qui sont des éléments structurants : pilotage financier à travers la loi de financement, animation du service public de la sécurité sociale à travers les COG.

Les COG sont un outil central. Il ne faut pas oublier qu'elles sont signées, du côté des caisses, à la fois par le directeur de la caisse nationale et par le président. Ce n'est donc pas seulement un outil technique entre les mains des directions du ministère et des directeurs de caisse. C'est aussi un outil politique entre les mains de l'État, des caisses et de leur gouvernance, même si les points d'accord sont parfois difficiles à atteindre, notamment parce que la contrainte en termes d'économies de gestion s'est renforcée ces dernières années. Par ailleurs, les COG se déclinent au niveau des CPG, qui sont signés au niveau national et au niveau des caisses par les présidents et les directeurs.

Ce sont des outils qui impliquent à la fois les partenaires sociaux et les directeurs. Cela participe d'une responsabilité partagée, qui fait que les caisses emmènent leurs agents ou leur réseau dans une direction qui a été partagée par au moins une majorité des conseils ou des conseils d'administration. On aurait pu être tenté de décider entre techniciens, entre soi, en éloignant les partenaires sociaux et en réduisant leur responsabilité. Ce n'est pas le choix qui a été fait, même à l'assurance maladie où, depuis 2004, le directeur général a vu ses compétences propres renforcées : le président de la CNAM signe la COG, et je pense que c'est un élément de contractualisation extrêmement important.

Maintenant, est-ce que le système fonctionne ?

Il est de bon ton de dire qu'il est complexe, peu transparent, etc. Au risque de passer pour conservateur, ou de sembler faire un plaidoyer pro domo, je considère que ce système un peu original de gouvernance a de nombreux d'atouts, qui se démontrent au quotidien. Les caisses absorbent des transformations très significatives ; par exemple, la branche famille est en train d'absorber la prime d'activité dans des délais resserrés et dans d'assez bonnes conditions, même si la situation peut parfois se tendre dans certaines caisses. La sécurité sociale s'est profondément transformée ces dernières années, dans son organisation comme dans son offre de services, significativement élargie. Nous sommes en train de réussir la déclaration sociale nominative, qui est aussi une oeuvre collective de l'État et des caisses. Inutile de revenir sur la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE), sur le chèque emploi service universel (CESU) ou sur la carte Vitale. Et aujourd'hui, vous pouvez obtenir, sur internet, un rendez-vous en moins de sept jours dans une caisse d'allocations familiales (CAF).

Je pense donc que le système fonctionne et qu'il est agile, précisément en raison de la répartition des rôles que je vous ai décrite. Nous n'avons pas en face de nous 90 000 opérateurs, une entreprise unique côté CNAM, et 30 000 personnes côté famille. Nous avons des têtes de réseau et des organismes locaux responsables et autonomes, des conseils d'administration au niveau local, des directeurs. Ce n'est pas forcément toujours simple, le système peut se gripper – c'est rare – mais il permet de concilier souplesse et réactivité et il assure une capacité de transformation qui est intéressante dans l'univers public que nous connaissons.

Dans un tel système, et je réponds là à l'une de vos questions, quelle est la place de l'État ?

La place que nous occupons au travers des COG ne nous installe pas dans un régime de tutelle, au sens que ce mot avait au XIXe siècle, mais fait de nous des partenaires. Les COG sont un outil très intéressant. Nous contractualisons sur les moyens pluriannuels, ce qui nous fait échapper un peu à la rigueur budgétaire annuelle. Nous fixons des objectifs et des indicateurs, ce qui permet aux caisses de planifier des chantiers lourds. Ensuite, nous suivons ces objectifs et ces indicateurs. En effet, la COG ne se termine pas une fois qu'on l'a signée. Nous sommes en ce moment même en train de faire le bilan des COG 2015 ; nous le ferons demain avec l'assurance maladie et la branche vieillesse. J'ajoute que cet outil a essaimé au fil du temps dans la gestion publique. Cette logique de contractualisation avec des opérateurs de l'État s'est en effet progressivement imposée.

Vous m'avez également demandé s'il fallait transformer le système de sécurité sociale, avec une nouvelle répartition : d'un côté ce qui relève de la solidarité et de l'impôt, de l'autre ce qui relève du concurrentiel et du contributif.

Tout cela est très intéressant, mais je vous avoue que je suis un peu sceptique, car ce serait méconnaître ce qu'est la sécurité sociale. La sécurité sociale n'est ni un système contributif, ni un système solidaire. C'est un système mixte, qui repose sur une part de financement par des cotisations, sur une part de financement par l'impôt, sur une part de prestations qui relève d'une logique contributive et sur une part de prestations qui relève d'une logique universelle. Je pense que c'est ce qui fait sa force et qui lui permet de susciter une forte adhésion de nos concitoyens, même si elle doit évidemment faire face à des défis.

Honnêtement, je considère que procéder à une telle répartition serait relativement inopérant et que nous y perdrions beaucoup.

La ministre nous a demandé, et cela a été voté dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, une réforme substantielle de la protection universelle maladie (PUMa), qui traduit cette logique universelle de l'assurance maladie. Certes, une prestation en espèces renvoie davantage à une logique contributive, mais faut-il séparer les deux ? À quoi cela mènerait-il, dans un système où l'assuré reçoit de la caisse d'assurance maladie une part de prestations en espèces et une part de prestations en nature ?

Venons-en aux retraites. Une part du système de base s'appuie à la fois sur des validations de trimestres et sur des prises en charge de cotisations, les deux relevant d'un système de solidarité. On a d'ailleurs construit le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) pour essayer de distinguer ce qui relève de la CNAV et du régime général et ce qui relève de la solidarité. Mais en réalité, chaque fois qu'on fait le bilan, y compris financier, on regarde les deux ensemble. Je comprends donc le modèle théorique pur. Mais j'en vois mal l'intérêt ainsi que la faisabilité.

Cela amène à s'interroger sur les doubles niveaux. Car c'est une particularité de notre système d'avoir, pour la maladie et la retraite, un niveau « de base » et un niveau « complémentaire ».

Ce constat recouvre en fait deux réalités différentes. Le système complémentaire de retraite constitue véritablement un deuxième pilier, qui s'imbrique avec le système de base, même si le pilotage est différent pour l'un et pour l'autre. Le système complémentaire de l'assurance maladie est construit avec des opérateurs privés, sur un champ de dépenses privées et de cotisations privées. Cela étant, la généralisation apportée par l'accord national interprofessionnel et la loi de sécurisation de l'emploi amène à se demander si nous ne sommes pas en train d'aller vers un deuxième étage obligatoire.

Il est exact que ce système à deux étages présente deux faiblesses.

D'abord, leur existence aggrave les coûts de gestion, qui doublent. Ainsi, le coût de gestion de la CNAV est d'environ 1,3 milliard d'euros, et celui de l'AGIRC-ARRCO d'environ 1,7 milliard d'euros. Cette double gestion nous pénalise par rapport aux autres pays européens.

Quant aux coûts de gestion de notre système de santé, ils additionnent des coûts privés et des coûts publics. C'est un peu différent, mais, quand on empile les deux, cela peut faire des montants importants.

Il convient tout de même de rappeler que l'une des forces de la sécurité sociale est la modicité de ses coûts de gestion : moins de 3 % ; c'est l'intérêt d'un « monopole ». Ceux-ci sont même en diminution constante grâce aux économies réalisées par les caisses, y compris dans la période actuelle.

Par ailleurs, il est vrai qu'en termes de pilotage, notamment du système de retraite, ce double système peut engendrer des coûts de coordination.

Pour ma part, j'ai tendance à considérer que les partenaires sociaux et l'État trouvent à chaque fois des solutions. Quoi qu'il en soit, la direction de la sécurité sociale n'envisage pas de remettre en cause le rôle des partenaires sociaux dans cette gestion. Je pense que cette responsabilité est assumée au bon niveau. Les points d'articulation se trouvent et je ne crois pas que les problèmes soient insurmontables.

Sur la complémentaire santé, je signale à nouveau que – comme l'ont établi un certain nombre de travaux, notamment ceux de Brigitte Dormont et d'Antoine Bozio – la couverture complémentaire santé représente grosso modo 30 milliards d'euros. Imaginons que quelqu'un ait l'idée de réunir les étages de base et complémentaire : souhaitons-nous augmenter au passage les prélèvements obligatoires de 30 milliards d'euros, et les dépenses publiques d'autant ? N'oublions pas non plus que nous avons en face de nous des opérateurs privés qui exercent une activité commerciale sur un marché. Tout cela est loin d'être anodin.

Cela me renvoie à la question que vous m'avez posée sur le rôle de la direction de la sécurité sociale.

D'une part, nous sommes l'acteur technique de l'État qui définit le cadre juridique de ce qui touche à la complémentaire santé – et aux organismes complémentaires de retraite. De ce fait, nous avons été très actifs dans la mise en oeuvre de l'ANI et de la loi de 2013 sur la sécurisation de l'emploi, notamment pour la généralisation de la complémentaire santé dans ses différentes étapes – qui ont rencontré quelques difficultés devant le Conseil constitutionnel, s'agissant des clauses de désignation.

D'autre part, nous animons depuis le début de l'année le Comité de suivi de la généralisation de la complémentaire santé en entreprise, qui rassemble les partenaires sociaux au niveau interprofessionnel, avec la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), l'Union nationale des professions libérales (UNAPL) et les organismes complémentaires – donc les trois familles. Nous avons créé ce comité, précisément pour réunir les acteurs de cette complémentaire santé, pour suivre dans la durée sa mise en oeuvre et pour partager nos idées dans le cadre de l'élaboration des textes réglementaires. Il faut dire que le cadre a beaucoup bougé – remplacement des clauses de désignation par des clauses de recommandation, contrats responsables, dispositif du chèque santé, etc. Nous avons tenu une deuxième réunion hier. Je crois que c'est une instance intéressante.

Enfin, nous allons produire ce que nous appelons le « guide de la protection complémentaire en entreprise » car, là aussi, les curseurs ont beaucoup bougé. Aussi bien les entreprises que les syndicats souhaitent que l'on rassemble au sein d'un même document le corpus juridique et ses conditions de mise en oeuvre. Nous sommes en train de relire ce guide pratique. Je crois que cela participe d'une interface entre l'État et les différents acteurs de cette généralisation.

Je terminerai sur la thématique d'une gestion de la protection sociale intégrée autour de la personne, en lien avec la question de la portabilité et celle du compte personnel d'activité (CPA), en soulignant deux points.

Premièrement, nous sommes un acteur technique du CPA, au moins sur les briques qui en constituent le coeur, c'est-à-dire le dialogue et l'interface entre compte pénibilité et compte formation. Nous suivons en effet avec nos amis de la direction générale du travail (DGT) le sujet de la pénibilité et nous avons participé aux travaux que France Stratégie mène à ce propos.

Deuxièmement, nous travaillons à une logique de plateforme ou de portail des droits sociaux – qui est aussi en lien avec le CPA – pour donner aux assurés une vision plus transversale de leurs différents droits. Mais ce sur quoi je voudrais insister, c'est le fait que, en matière de portabilité des droits, la sécurité sociale a un temps d'avance. Grâce à la sécurité sociale, vous ne perdez pas votre couverture maladie quand vous changez d'emploi ou quand vous le perdez. Vos prestations familiales sont universelles depuis longtemps. Et votre système de retraite de base va également vous suivre.

Nous allons même plus loin, puisque nous faisons la protection universelle maladie, qui va permettre de simplifier la gestion des droits des assurés, qui sont les mêmes quels que soient les régimes : à part quelques régimes spéciaux, le socle est maintenant universel.

Enfin, nous sommes en train de préparer la liquidation unique des retraites. Cela signifie que, pour les polypensionnés, il y aura une seule liquidation, quel que soit leur parcours de carrière.

Je ne prétends pas qu'il ne faille pas aller plus loin dans les réflexions sur la gestion des droits ou sur les systèmes de fongibilité. Je remarque simplement que, s'il est important d'avoir une complémentaire santé, il est important aussi d'avoir un système maladie de base qui vous couvre à 75 %, et même à 100 % en cas de pathologie chronique ou d'actes coûteux. Ce socle est extrêmement intéressant, il ne faut pas l'oublier.

Cela n'empêche pas que des assurés nous disent : « quand je fais une démarche vis-à-vis des organismes de sécurité sociale, est-ce que je peux ne la faire qu'une seule fois ? » Ou bien : « je voudrais ne déclarer ma grossesse qu'une seule fois et que la déclaration aille à la fois vers la CAF et la CPAM ». Ou encore : « je veux liquider ma retraite, mais je ne veux faire qu'une seule demande », etc. Sur tous ces sujets, nous avons beaucoup fait ces dernières années pour simplifier la vie des assurés. Nous devons bien évidemment continuer pour rendre la gestion des droits plus facile et plus accessible.

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