Intervention de Charles de La Verpillière

Réunion du 11 mai 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCharles de La Verpillière, co-rapporteur :

Le Parlement européen devrait adopter en juin prochain le règlement instituant un corps européen de garde-frontières qui renforce considérablement les missions et les moyens de l'Agence Frontex pour parvenir à une gestion intégrée des frontières extérieures de l'Union européenne.

Marietta Karamanli vous présentera le texte proprement dit et pour ma part je voudrais faire le point sur la question des réfugiés en remontant quelques années en arrière. Vous verrez que les sujets du droit d'asile, de la crise migratoire et par conséquent la gestion des frontières extérieures de l'Union, vont devenir le premier sujet de préoccupation des institutions européennes et même représenter une menace pour la cohésion de L'Union européenne.

On peut distinguer six étapes, les dernières se succédant à un rythme de plus en plus rapide, sous la pression des événements.

La première étape dans les années 90 est bien entendu la mise en place de l'Espace Schengen, succès considérable et emblématique en ce qu'il supprimait les frontières intérieures mais Schengen n'avait pas innové en ce qui concerne les frontières extérieures. Encore aujourd'hui, les États membres ont une compétence souveraine sur les frontières extérieures, assistés, il est vrai, par l'agence Frontex.

Il aura fallu la crise migratoire qui a vu affluer plus de un million et demi de personnes ayant franchi irrégulièrement les frontières en 2015, pour qu'on prenne conscience de ce qui a posteriori apparaît comme une évidence : la décision de partager un espace commun de libre circulation ne peut se concevoir sans un contrôle efficace des frontières extérieures.

La preuve en est que la crise migratoire aux portes de l'Europe, a eu pour conséquence la réintroduction, en principe temporaire ; des contrôles à certaines frontières intérieures, voire même leur fermeture.

La deuxième étape a été en 2013 lorsque nous avons manqué de clairvoyance pour anticiper ces flux migratoires, lors de la réforme du paquet asile.

Le principe selon lequel il revient au pays où est arrivé le migrant, de statuer sur sa demande d'asile même si le migrant n'a fait que transiter dans ce pays de premier accueil n'a pas été remis en cause. Or il est inadapté à l'arrivée massive de migrants dès lors que tout le poids repose en fait sur deux États : la Grèce et l'Italie.

En soulignant ce manque d'anticipation, je veux faire preuve d'humilité car membre de la Commission des affaires européennes à ce moment-là, je n'ai pas été plus lucide que d'autres pour prévenir cette crise.

Dans un troisième point, je voudrais souligner que si l'Union européenne n'a pas engagé de réforme de fond, elle a cependant fait face à l'urgence en adoptant des mesures pragmatiques.

Face à cette situation d'urgence, l'Union européenne a apporté des réponses en renforçant tout d'abord ses opérations de sauvetage en mer des migrants, avec l'opération Triton à partir de novembre 2014, pour prendre la relève de l'intervention Mare Nostrum, initiée par l'Italie ; puis pour renforcer la lutte contre les passeurs, a été lancée l'opération Sophia en juin 2015, avec l'approbation du Conseil de sécurité des Nations Unies (résolution 2240 du 9 octobre 2015).

L'efficacité de ces opérations Mare Nostrum, Triton, Sophia, est néanmoins limitée par un principe fondamental celui du non refoulement des demandeurs d'asile.

Au-delà de ces actions opérationnelles, la Commission a en effet présenté un agenda européen sur la migration en avril 2015 et a mis en place un schéma de répartition intra européenne des demandeurs d'asile, les hotspots étant chargés du premier accueil des réfugiés.

Ces mesures sont fondées sur l'article 78§3 TFUE(1) qui permet dans une situation d'urgence migratoire, de prendre des mesures provisoires au profit du ou des États membres concernés.

Les États membres de premier accueil se voient ainsi aidés dans la prise en charge immédiate des migrants, lesquels peuvent ensuite être redéployés vers les territoires d'autres États membres. Au 1er février 2016, on dénombre six hotspots en Italie avec une capacité totale d'accueil de 2 100 personnes, et cinq hotspots en Grèce avec une capacité totale d'accueil de 6 229 personnes.

L'importance de ces hotspots, qui sont en réalité des centres d'enregistrement et de triage, ne doit pas être minorée : ils sont la seule réponse qui semblait possible face à l'ampleur du phénomène, là où le jeu ordinaire des règles européennes de Dublin III ne pouvait offrir de solution. Néanmoins en pratique, ils font reposer sur la Grèce et l'Italie la charge du premier accueil.

Le schéma de relocalisation a, quant à lui, fait l'objet de deux décisions du Conseil adoptées sur le fondement de l'article 78, § 3 TFUE précité. La décision du 14 septembre 2015, prévoit ainsi la relocalisation, à travers les États membres de l'Union, de 40 000 personnes se trouvant en Italie ou en Grèce (art. 4), sous réserve qu'elles aient introduit une demande d'asile dans l'un de ces deux États et qu'elles proviennent d'un État pour lequel le taux de reconnaissance de protection est supérieur ou égal à 75 % (art. 3), ce qui permet de ne pas réduire le mécanisme aux seuls ressortissants syriens, même s'ils en sont les premiers bénéficiaires. La décision du 22 septembre 2015 prévoit une relocalisation pour 120 000 personnes supplémentaires (art. 4), avec une clef de répartition par État membre fondée sur des critères socio-économiques ((). Ces mesures provisoires, qui prévoient la relocalisation de 160 000 personnes au total, sont applicables jusqu'en septembre 2017, soit pour deux années (art. 13, § 2).

Si ces mesures provisoires de relocalisation peuvent paraître constituer la solution la plus efficace, leur mise en oeuvre n'est pas à la hauteur des espérances. Selon les chiffres rendus publics par l'Union européenne elle-même, au 3 mai 2016, seules 1 440 personnes avaient effectivement pu bénéficier du mécanisme de relocalisation, sur les 160 000 prévues. Elles étaient réparties au sein de 18 des États membres – la France ayant accueilli ainsi, à cette date, 499 demandeurs d'asile venus d'Italie et de Grèce.

Tout récemment l'accord avec la Turquie a marqué une quatrième étape.

Compte tenu de la position stratégique de la Turquie qui conduisait de nombreux passeurs à convoyer à partir des côtes turques des embarcations de réfugiés jusqu'aux îles grecques, il a été décidé par l'Union Européenne de signer le 18 mars 2016, un accord avec la Turquie pour tenter de mettre fin à ces flux clandestins.

Je vous en rappelle les données essentielles :

Tous les nouveaux migrants en situation irrégulière partis de la Turquie pour gagner les îles grecques à partir du 20 mars 2016 devraient être renvoyés en Turquie. La Commission a souligné que ces retours se feront en totale conformité avec le droit de l'UE et le droit international, excluant ainsi toute forme d'expulsion collective. Tous les migrants seront protégés conformément aux normes internationales applicables et dans le respect du principe de non-refoulement.

Ainsi, les migrants arrivant dans les îles grecques seront dûment enregistrés et toute demande d'asile sera traitée individuellement par les autorités grecques conformément à la directive sur les procédures d'asile, en coopération avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Les migrants ne demandant pas l'asile ou dont la demande d'asile aura été jugée infondée ou irrecevable conformément à la directive seront renvoyés en Turquie.

La Turquie et la Grèce, avec l'aide des institutions et agences de l'UE, ont pris les mesures législatives nécessaires pour respecter les conditions de retour des réfugiés en respectant les exigences de la Convention de Genève. Côté turc, la situation juridique n'est cependant pas très claire. Après quelques réticences, la Turquie a adopté début avril une législation permettant d'accorder une protection temporaire aux ressortissants syriens. La situation juridique des autres réfugiés n'est pas clairement définie en dépit des assurances de la Turquie de leur offrir les mêmes garanties.

L'accord prévoit par ailleurs que pour chaque Syrien renvoyé en Turquie au départ des îles grecques, un autre Syrien sera réinstallé de la Turquie vers l'UE en tenant compte des critères de vulnérabilité des Nations unies.

La priorité sera donnée aux migrants qui ne sont pas déjà entrés, ou n'ont pas tenté d'entrer, de manière irrégulière sur le territoire de l'UE.

Le premier bilan de mise en oeuvre de cet accord a fait l'objet d'une Communication de la Commission Européenne le 20 avril 2016.

En tout, 385 personnes entrées clandestinement après le 20 mars et n'ayant fait aucune demande d'asile après cette même date ont été renvoyées de Grèce vers la Turquie. À ce jour, ce sont 1 292 migrants au total qui ont été renvoyés en 2016 dans le cadre de l'accord bilatéral de réadmission entre la Grèce et la Turquie, la plupart des opérations de retour ayant eu lieu en mars.

En contrepartie, 103 Syriens ont été admis dans le cadre de la réinstallation prévue par cet accord et ont pu gagner l'Allemagne, la Finlande, les Pays-Bas et la Suède dans un cadre légal.

Cependant, la Grèce doit faire un effort considérable pour gérer les réfugiés qui sont arrivés dans les différents hotspots et qui y sont retenus durant la période d'instruction de leur demande d'asile. La situation est assez critique et les hotspots sont devenus des centres de rétention qui sont largement saturés.

Cet accord avec la Turquie pose de multiples problèmes juridiques et politiques. Les ONG et le HCR font valoir aussi par exemple que la Turquie ne peut être considérée comme un pays tiers sûr compte tenu du sort qu'elle réserve à certaines minorités dans sa propre population. La Grèce a elle aussi fait l'objet de plusieurs décisions de jurisprudence défavorables de la part de la Cour de Justice estimant que les défaillances de cet État dans l'instruction des demandes d'asile rendaient impossible le renvoi de certains migrants dans ce pays en application de la Directive Dublin III qui prévoit que c'est le pays de premier accueil qui doit instruire la demande d'asile.

Les contreparties accordées à la Turquie à savoir la libéralisation du régime des visas pour les citoyens turcs pour autant que tous les critères de référence soient respectés et la relance du processus d'adhésion de ce pays à l'Union européenne, ont été considérées comme très, voire trop, favorables d'autant plus que l'Union s'est engagée à verser une somme de trois milliards pour l'accueil des réfugiés en Turquie et assurera le financement d'autres projets en faveur de personnes bénéficiant d'une protection temporaire dans ce pays. Le 4 mai dernier, la Commission a donné son accord pour la levée de l'obligation de visas pour les citoyens turcs sous réserve de derniers ajustements de la part de la Turquie. Mais le Président Erdogan ne souhaite pas modifier sa législation antiterroriste que l'Union européenne trouve trop extensive. L'accord sur les réfugiés pourrait être remis en cause suite à ce désaccord politique.

Même s'il semble fragile, cet accord semble au moins avoir dissuadé les passeurs, la Turquie ayant depuis montré plus de rigueur dans sa surveillance de ses côtes. Il est incontestable que les flux d'arrivées en Grèce se sont taris. Selon le HCR, du 1er au 23 avril 2 987 personnes sont arrivées alors que le chiffre était de 26 971 en mars, ce qui correspond à une arrivée journalière de 130 personnes contre 870 en mars.

Bien évidemment la grande inconnue demeure de savoir si les passeurs ne vont pas réorganiser les routes migratoires en passant par la Crète par exemple ou par la Libye.

Un cinquième aspect de la question migratoire porte sur le renforcement du dialogue avec les pays tiers d'où proviennent la majorité des migrants qu'ils soient des migrants économiques ou des réfugiés.

À ce titre il faut rappeler les engagements pris au Sommet de La Valette des 11 et 12 novembre 2015 sur les migrations. Il a été prévu la création d'un fonds d'aide à l'Afrique qui devrait, à terme, être porté à 3,6 milliards d'euros. Le plan d'action vise notamment à s'attaquer aux causes profondes de la migration irrégulière et des déplacements forcés de populations ; à intensifier la coopération concernant les migrations et la mobilité légale ; à prévenir la migration irrégulière, et à coopérer plus étroitement en matière de retour.

La Commission européenne considère que l'Union doit veiller au respect, par les pays tiers, de l'obligation internationale qui leur incombe de reprendre en charge leurs propres ressortissants en séjour irrégulier en Europe mais il faudrait que cette position se traduise en actes concrets. Il faudrait ainsi renforcer le lien entre partenariat économique avec ces pays d'origine des migrations et l'amélioration de la délivrance de laissez-passer consulaires.

Cette question est très importante dans une optique de moyen terme car l'Union européenne sera confrontée durant plusieurs années à ces flux migratoires. Elle a donc tout intérêt à lier aide au développement pour prévenir certaines formes d'immigration économique et régulation de l'immigration légale de travail.

Enfin, j'en arrive à mon sixième point qui porte sur la réforme du droit d'asile. Je ne dirai que quelques mots de la récente proposition de la Commission européenne concernant la réforme de l'Asile, la crise des réfugiés ayant démontré que le paquet asile de 2013 était totalement inadapté.

Alors que dans une Communication du 4 avril 2016, elle présentait des solutions alternatives, dont une très novatrice pour un régime d'asile géré entièrement par l'Union européenne avec un mécanisme permanent de quotas de réfugiés par pays, la Commission a finalement opté pour une révision plus limitée.

Le système restera fondé sur le principe d'instruction des demandes d'asile par le pays de premier accueil mais grâce à un mécanisme de répartition correcteur, un pays confronté à un nombre disproportionné de demandes d'asile pourra être aidé (mécanisme dit d'équité). La proposition prévoit un mécanisme de redistribution des demandeurs d'asile en cas de dépassement d'un chiffre « limite ». Ce chiffre de référence est établi pour chaque pays, selon sa taille et sa richesse. Le système prend également en compte le nombre de personnes en demande de protection issues d'un pays tiers et déjà admises dans l'État membre considéré.

Le palier est franchi lorsque les demandes dépassent 150 % du seuil de référence. Dans ce cas, toutes les personnes pouvant prétendre à l'asile seront automatiquement réparties dans l'Union, quelle que soit leur nationalité.

Si un État membre refuse participer à ce mécanisme, il devra verser une contribution de solidarité de 250 000 euros pour chaque demandeur dont il aurait autrement été responsable en vertu du mécanisme d'équité, au profit de l'État membre de relocalisation.

Il est probable que ce mécanisme de localisation remplacera celui défini par la Commission en septembre 2015 qui serait donc ainsi simplement annulé sans avoir d'ailleurs été respecté par les États membres.

La Commission entend aussi imposer de nouvelles obligations aux demandeurs d'asile qui ne pourront choisir leur pays d'installation et qui devront rester dans le pays de dépôt de la demande d'asile durant le temps de son instruction afin de limiter les mouvements secondaires de flux de migrants à l'intérieur de l'UE.

Pour gérer tout cela, le Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO) va être transformé en une Agence composée d'au moins 500 experts. Elle sera chargée « d'appliquer les nouvelles règles, de favoriser les échanges et la coopération entre les États membres, de veiller à la bonne répartition des réfugiés ».

La Commission prévoit également « l'adaptation et le renforcement » du système Eurodac pour faciliter la politique de « retour » et mieux lutter contre l'immigration illégale.

Il est peu probable que cette réforme limitée du droit d'asile suffise à rendre les politiques des États membres homogènes même si la Commission a annoncé vouloir harmoniser davantage les règles d'attribution du statut de réfugié et éviter que certains États soient plus attractifs que d'autres.

C'est pourquoi elle a annoncé qu'elle proposerait deux nouveaux règlements pour remplacer les deux directives actuelles (la première sur les procédures d'asile et la deuxième sur les critères de l'asile). Elle apportera en outre des modifications ciblées de la directive relative aux conditions d'accueil. Par ailleurs je rappelle qu'un projet de Règlement établissant une liste commune de l'Union de pays d'origine sûrs, pour l'octroi et le retrait de la protection internationale, est en cours de discussion au Parlement européen.

Comme vous le voyez, l'Union européenne n'est pas restée inactive face à la crise migratoire, mais dans ce domaine encore plus qu'en matière économique ou sociale, la lenteur et la complexité du processus européen de décision sont un handicap sans même parler du manque de solidarité entre les États membres. Jusqu'à présent, les événements ont toujours pris l'Union européenne de vitesse. L'Europe a toujours été dans la réaction ou la réparation plus rarement dans l'anticipation ou la prévention.

Je laisse maintenant la parole à Marietta Karamanli qui va vous présenter le règlement sur le corps européen de garde-frontières et de garde-côtes

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