Je ne suis nullement choqué, monsieur le président, que vous m'invitiez à présenter ce décret d'avance ; c'est tout à fait légitime. Vous soulevez des questions de forme qui méritent des réponses, et je suis à la disposition de la commission des finances de l'Assemblée nationale pour répondre à toutes ses sollicitations.
Le Gouvernement a engagé, en début d'année, des dépenses en faveur de l'emploi – c'est la masse principale – et des agriculteurs. À ma connaissance, personne ne remet en cause leur pertinence et elles doivent être financées, nous l'avons dit, par des économies. L'an dernier, nous avons financé toutes les mesures nouvelles par des économies. Nous ferons de même cette année, comme nous l'avons clairement annoncé dans le programme de stabilité qui vous a été présenté en avril. Vous avez rappelé le « surgel » des crédits reportés pour 1,8 milliard d'euros, dont vous avez été informés. Ce décret d'avance en est une nouvelle preuve : nous finançons les mesures nouvelles par des économies.
Le Gouvernement annule en effet 1,1 milliard d'euros de crédits pour financer les dépenses qui remplissent le critère d'urgence posé par l'article 13 de la LOLF. Les décrets d'avance ne peuvent couvrir que des dépenses urgentes Si nous ne mettons pas en place l'ensemble des mesures annoncées, c'est précisément parce que beaucoup peuvent attendre. Un autre décret d'avance pourra être pris au mois d'octobre – c'est assez habituel – si l'ensemble des dépenses annoncées ne semblent pas couvertes. Les dépenses urgentes couvertes par ce décret sont : une première tranche du plan emploi, pour 900 millions d'euros ; les ouvertures de crédit en faveur des agriculteurs, essentiellement liées aux crises aviaires, pour 64 millions d'euros ; enfin, des ouvertures de crédits pour le financement des dépenses relatives à l'allocation pour demandeurs d'asile, pour 158 millions d'euros, car il est urgent d'assurer le bon accueil des réfugiés.
Le détail, par mission et par programme, des économies dégagées pour financer ces dépenses figure dans le rapport de motivation et le décret, mais je voudrais préciser les grands principes.
Premier principe, à l'exception de celui de la défense, tous les ministères ont contribué aux annulations de crédits, c'est un principe de base de solidarité au sein du Gouvernement, tout à fait compatible avec notre volonté d'exonérer les dépenses prioritaires, en particulier celles en faveur de la sécurité des Français. Si le ministère de l'intérieur a été mis à contribution, nous n'en avons pas moins préservé l'ensemble des crédits de la police et de la gendarmerie, auxquels les crédits de ce ministère ne se résument pas – il y a aussi les crédits consacrés aux préfectures et aux services. Les crédits du ministère de la défense ne font l'objet d'aucune annulation et le strict respect de la loi de programmation militaire est garanti mais ils font l'objet d'un « surgel » de 470 millions d'euros. Par ailleurs, conformément à une pratique constante depuis deux ans, les dépenses du ministère de la culture en faveur du spectacle vivant sont préservées.
Deuxième principe, nous n'appliquons nul rabot, nous procédons par des économies ciblées sur les dépenses des ministères et des opérateurs. Des échanges interministériels nourris ont visé à assurer le meilleur ciblage.
L'examen détaillé, par ministère, des annulations confirme qu'il n'y a pas de rabot. N'y voyez là aucune magie budgétaire : comme l'an dernier, nous constatons une inflation nettement plus faible que prévu, ce qui dégage des marges de manoeuvre budgétaires. Le chauffage, les carburants coûtent moins cher, comme tous les autres achats, ponctuels ou dans le cadre de marchés pluriannuels dont les prix dépendent d'indices sectoriels eux-mêmes corrélés à l'inflation. Nous reprenons ces gains de pouvoir d'achat aux gestionnaires publics pour que leur capacité réelle à dépenser soit strictement celle votée en loi de finances initiale. Je rappelle que l'inflation anticipée était de 1 %.
Troisième principe, les annulations portent, dans leur quasi-totalité, sur des crédits dits « frais », c'est-à-dire hors réserve de précaution. Cette réserve, accrue de 1,8 milliard d'euros par le gel des reports de crédits, est préservée et nous permettra de financer le solde des dépenses nouvelles engagées sur 2016. L'augmentation de la réserve de précaution peut susciter des craintes mais, je le rappelle, cette réserve, comme son nom l'indique, est mise en place par simple précaution. Tous les crédits mis en réserve n'ont pas vocation à être annulés, loin de là. S'ils le sont, ce n'est que pour une raison : le risque que l'autorisation globale de dépenses accordée par le Parlement en loi de finances initiale ne soit pas respectée. Il y a beaucoup de fantasmes autour de cette réserve de précaution, dont la base juridique est d'ailleurs incontestable, mais les faits sont là : en 2015, nous n'avons annulé que 2,4 milliards d'euros de crédits gelés, soit à peine plus de 1 % des dépenses des ministères – et nous n'avions pas besoin d'annuler davantage pour respecter votre autorisation. Le respect de l'autorisation parlementaire est bien tout l'objectif de la réserve de précaution : si nous mettons de côté une partie des crédits en début d'année, c'est pour vous garantir qu'à la fin de l'année, la cible de dépenses que vous avez votée sera respectée.
Ce souci constant de respecter le Parlement est le quatrième et dernier principe sur lequel se fonde ce décret d'avance. Nous voulons procéder dans la plus grande transparence, afin de permettre à la représentation nationale de jouer son rôle de contrôle budgétaire de l'exécutif. Nous respectons bien entendu l'article 13 de la LOLF : vous disposez d'un délai de sept jours pour émettre un avis sur ce décret d'avance. Puis vous pourrez décider de ratifier ou de ne pas ratifier ces mouvements de crédits en loi de finances rectificative. Pour que vous puissiez émettre un avis en toute connaissance de cause, je suis aujourd'hui à votre disposition pour répondre de manière détaillée toutes vos questions, et mes équipes sont à la disposition de votre rapporteure générale pour lui apporter toute information utile.
Pour résumer, ce décret finance un milliard d'euros de dépenses engagées en faveur de l'emploi et des agriculteurs, dont l'urgence nécessite des ouvertures de crédits sans attendre le collectif budgétaire de fin d'année. C'est une première étape car, comme votre rapporteure générale l'a montré au moment du programme de stabilité, nous devons financer autour de 4 milliards d'euros de dépenses nouvelles.
Je sais que vous avancez des chiffres différents, monsieur le président.