Intervention de François Zimeray

Réunion du 11 juillet 2012 à 10h00
Commission des affaires étrangères

François Zimeray, ambassadeur de France pour les droits de l'Homme :

Vous posez la question de la cohérence de notre politique, qui est la condition de notre crédibilité. Cohérence d'abord entre ce qu'on s'impose à soi-même et ce qu'on attend des autres. À cet égard, j'organise depuis plusieurs années des visites des prisons françaises pour nos diplomates – lesquels sont amenés à se rendre dans celles des pays où ils se trouvent en poste et à dénoncer parfois des conditions de détention arbitraires ou indignes, voire des procès inéquitables –, sachant que la France a elle-même été condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme à ce sujet. Cohérence aussi dans notre action vis-à-vis des différents pays, ce qui est le plus difficile, dans la mesure où l'on se heurte à la réalité subjective de nos liens historiques avec tel ou tel : ma fonction sert aussi à cela, en contrariant au besoin les pentes de l'amitié ou de relations économiques fortes. Autrement dit, ce n'est pas parce que nous avons un programme militaire avec la Russie que je ne vais pas aller en Tchétchénie. La polémique au sujet de l'affaire du Mistral et de la construction de navires de guerre russes en coopération avec la France ne m'a ainsi pas empêché d'aller trois ou quatre fois en Russie, d'être le premier à me rendre en Tchétchénie, d'être présent au procès de Khodorkovski – ce qu'aucun autre ambassadeur occidental n'avait fait –, d'organiser au Quai d'Orsay un grand événement pour donner le nom d'Anastasia Babourova – jeune journaliste de 24 ans abattue en février 2008 dans les rues de Moscou avec l'avocat Stanislas Markelov – à une promotion de jeunes journalistes, d'aller au siège du journal d'opposition Novaya Gazeta ou apporter notre soutien à la Fondation Memorial à Moscou. Nous avons aussi développé avec l'administration pénitentiaire russe un travail conjoint sur la détention des mineurs, qui permet d'aborder des questions très concrètes telles que l'armement des gardiens ou le changement éventuel de régime pour les mineurs accédant à leur majorité. Les organisations défendant les droits de l'Homme et le barreau de Moscou ont d'ailleurs pris part à des séminaires organisés à cet effet.

Il faut faire preuve de beaucoup de volontarisme, lequel consiste non à proclamer que lorsqu'il y a une volonté il y a un chemin, mais que lorsqu'on trouve un chemin, si ténu soit-il, il faut qu'il y ait la volonté. En l'occurrence, le chemin, pour moi, était de favoriser ce travail sur la détention des mineurs.

S'agissant de la Chine, s'il est difficile d'évoquer publiquement des questions liées aux droits civils et politiques, des actions plus discrètes peuvent être conduites. On y constate aussi certains progrès : alors que ce pays est un de ceux où l'on enregistre le plus grand nombre de personnes exécutées, l'an dernier, la cour suprême chinoise a réduit le champ des incriminations susceptibles d'être punies de mort. Je n'exclus pas dans ces conditions qu'il abolisse cette peine avant les États-Unis !

Au sujet de l'affaire du lait frelaté ou des écoles du Sichuan s'effondrant parce que construites par des entrepreneurs corrompus avec des bétons de farine, les victimes ne sont pas mortes d'une catastrophe sanitaire ou naturelle, mais d'un effondrement du droit ! Nous, qui échangeons beaucoup avec la Chine, pouvons montrer que l'avantage de nos produits est de se conformer à certaines normes françaises et européennes attestant un respect des consommateurs, de la santé publique, des origines, des matières ou de la propriété intellectuelle. Le commerce peut donc aussi être une façon de promouvoir les droits de l'Homme. Avec certains pays, quand on ne peut entrer par la porte, il faut le faire par la fenêtre ! Et l'on trouve toujours des interlocuteurs pour parler de ces sujets…

Cela étant, nous avons aussi commis des erreurs. Si nul ne pouvait prévoir les printemps arabes, nul n'aurait dû les exclure, notamment chez nous, qui sommes si proches. La leçon que j'en tire est que nous devons être au contact des réalités et ne pas avoir peur de dire les choses, ce qui ne passe pas forcément par l'offense ou la déclaration publique !

Ce qui a nui à l'image de la France au cours des vingt dernières années, ce sont avant tout nos silences – alors que les paroles peuvent toujours se corriger. Je me bats pour que nous ne soyons pas prisonniers de la peur du faux pas, que les diplomates ont tendance à redouter, ce qui est normal.

L'existence de la peine de mort aux États-Unis et la force des liens que nous avons avec ce pays ne nous ont ainsi pas empêchés d'organiser ici des manifestations pour Troy Davis, d'aller rencontrer plusieurs fois son avocat à Washington et à New York ou de recevoir sa soeur Martina au Quai d'Orsay.

La force des liens que nous avons avec un pays ne doit donc pas être un obstacle à un discours sur les droits de l'Homme mais au contraire le conforter. A contrario, il faudrait beaucoup d'orgueil pour imaginer que notre voix serait entendue de pays avec lesquels nous n'aurions pas d'intérêts communs : elle ne peut l'être que si on compte pour eux ! Pour cela, il faut créer de l'interdépendance, sur tous les plans – culturel, scientifique, économique – et profiter de celle-ci pour donner sa force à un dialogue sur les droits de l'Homme.

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