Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 2 mars 2016 à 16h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Laurence Rossignol, ministre de la Famille, de l'Enfance et des Droits des femmes :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs les membres de la fonction publique, mesdames et messieurs de la société civile, je suis très heureuse d'être ici aujourd'hui pour ouvrir ce colloque. C'est ma première intervention ici en tant que ministre des droits de femmes. En outre, j'interviens à l'invitation de la Délégation aux droits des femmes, qui n'a pas toujours existé. J'ai connu le temps où il n'y avait pas de Délégation aux droits des femmes à l'Assemblée nationale, et où les députés essayaient de faire valoir les droits des femmes dans leurs différentes commissions.

Cette intervention ouvre une séquence qui est celle du 8 mars, et qui se poursuivra par d'autres colloques, d'autres temps forts, d'autres commémorations. Je remarque que tous les ans, on se demande s'il faut fêter le 8 mars et s'il ne s'agit pas d'une simple journée « bonne conscience ». Et en fin de compte, chaque année, on le commémore avec plaisir. Car c'est un temps de diagnostic partagé sur l'état des inégalités entre les femmes et les hommes, et sur la place des femmes dans la société. C'est le moment d'évoquer les avancées, pour montrer que nous progressons. Et heureusement, car sinon, nous découragerions les jeunes féministes de se joindre au combat que nous menons depuis tant d'années. Et puis, c'est le moment de pointer les obstacles et de les rendre visibles aux yeux de ceux qui en profitent le plus souvent.

Ce colloque va donc nous amener à identifier les freins que rencontrent les femmes dans la fonction publique, mais aussi les progrès réalisés. Dès ma nomination, j'ai exposé comment je concevais l'action de mon ministère au cours des quatorze mois qui me sont impartis, bref laps de temps qui limite quelque peu mes ambitions : alléger, soulager le poids du fardeau imposé aux femmes, ce sac à dos si chargé qui les empêche de partir sur un pied d'égalité avec leurs collègues masculins, d'avancer et de construire leur vie professionnelle sans renoncer à une vie familiale et personnelle, dans le respect de leurs choix et de leur liberté. Et je considère que si nous sommes ici ensemble, c'est parce que nous avons la volonté de donner aux femmes l'envie de construire, de se lancer et surtout, de ne jamais abandonner avant même d'avoir essayé.

Vous le savez, certains constats sont accablants. Ils ne peuvent être ni acceptés, ni relégués au second plan. Régulièrement, nous constatons que tout n'est pas acquis et que nous n'avons pas tout obtenu. Mais qu'est-ce que les femmes veulent encore, diront certains ? Eh bien, l'égalité justement. Voilà ce que nous voulons et voilà pourquoi nous sommes réunis aujourd'hui.

L'égalité est un principe qui fonde notre vie démocratique, notre vie en société, un principe qui fonde la République. Et nous devons régulièrement rappeler que ce principe inclut l'égalité entre les femmes et les hommes. En vertu d'un tel principe, l'exigence envers l'État est d'autant plus forte que celui-ci se doit d'être exemplaire : exemplaire en matière d'égalité homme-femme, bien sûr, et exemplaire parce qu'il doit appliquer à son propre fonctionnement l'exigence qu'il pose et qu'il impose à l'ensemble de la société. Il doit ouvrir la voie et servir de référence.

Faire le choix aujourd'hui d'aborder la place des femmes dans la fonction publique, c'est commencer par reconnaître que l'État n'est pas aussi exemplaire que nous le souhaiterions – Catherine Coutelle l'a évoqué dans son propos liminaire. C'est donc donner un coup de projecteur sur certains points.

Premier point : la fonction publique est féminisée, comme on l'a dit. Néanmoins, l'égalité des droits reste à construire dans les faits et tout au long des carrières. Les femmes rencontrent à mon sens trois grands obstacles quand elles exercent leur travail au sein de la fonction publique – et mes propos vont rejoindre le constat dressé à l'instant par Catherine Coutelle.

Premier obstacle : les écarts de rémunération. L'absence ou l'insuffisance d'éléments statistiques plus approfondis les concernant est regrettable. Parler d'écart global dissimule des situations très diverses et, dans les faits, occulte nombre de niches à inégalités. Le rapport annuel sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique constitue un outil statistique sur lequel nous pouvons nous appuyer, mais il mérite d'être encore travaillé et affiné.

Les écarts de rémunération constituent donc une première entorse. Dans la fonction publique d'État, l'écart est de 15 %. Il est plus faible que dans la fonction publique hospitalière, où il est de près de 22 %. Mais il est plus important que celui de la fonction publique territoriale, où il n'est « que » de 10,8 %.

Je tiens à ce que nous continuions à rappeler ces chiffres, pour inciter les femmes à connaître les rémunérations de leurs collègues masculins, afin de comparer leur situation et passer à l'action, ou plutôt à la négociation. Il n'est pas rare que les femmes, aussi bien dans le public que dans le privé, découvrent par hasard – parce qu'il a malencontreusement laissé traîner sa feuille de paie à côté de la machine à café – que le collègue qui fait exactement le même travail gagne 10 % à 15 % de plus qu'elles, sans explication possible. Pour moi, la transparence des rémunérations reste un objectif et un outil extrêmement efficace pour lutter contre les écarts de rémunération, mais aussi pour permettre aux femmes de les connaître, car elles ne s'en doutent pas toujours.

Deuxième obstacle : les femmes rencontrent davantage de difficultés que leurs collègues masculins à accéder aux responsabilités professionnelles. C'est un obstacle majeur, parce que c'est lui qui va déterminer, en fin de compte, bon nombre des discriminations que subiront les femmes tout au long de leur carrière.

Bien que les cadres A soient majoritairement des femmes dans les trois versants de la fonction publique, celles-ci accèdent peu et mal aux emplois de direction. Dans la fonction publique d'État, les emplois de direction sont occupés à 26 % par des femmes. Cela prouve que le plafond de verre résiste somme toute assez bien à la place importante qu'occupent les femmes chez les cadres de catégorie A.

Enfin, troisième obstacle : dans l'ensemble de la fonction publique, les femmes se trouvent plus souvent en situation de précarité. Elles sont proportionnellement plus nombreuses que les hommes à être non titulaires et à être à temps partiel.

Comment peut-on expliquer l'existence, ou du moins la persistance de ces différents obstacles ?

Comme toutes les femmes, celles qui travaillent dans la fonction publique font face à des contraintes liées aux stéréotypes de genre, à l'inégale répartition des corvées domestiques et des responsabilités familiales.

Par ailleurs, s'agissant des postes à responsabilité, elles n'échappent pas non plus aux contraintes liées au fonctionnement général du milieu professionnel. Il n'a échappé à personne que bien des décisions se prennent de manière informelle entre 19 heures 30 et 21 heures, l'heure à laquelle les femmes regardent leur montre en se demandant ce qui se passe à la maison.

Dans la fonction publique, les femmes rencontrent également des problématiques spécifiques. Si elles souhaitent accéder à des postes à responsabilité, elles doivent faire face au poids des nominations, à l'autocensure et aux stéréotypes qui constituent des freins considérables. Nathalie Loiseau, qui est aujourd'hui directrice de l'École nationale d'administration (ENA), raconte dans son livre l'anecdote suivante : au moment de nommer une femme qui rassemblait toutes les compétences requises pour un poste d'ambassadeur, ses collègues se rendant compte qu'aucune femme n'avait jamais occupé ce poste, ont fini par se demander si c'était possible et si elle « avait les épaules » pour cela. Mais dans ce cadre, que peut bien vouloir dire « avoir les épaules », sinon remettre en cause la ténacité et l'engagement de cette personne simplement parce qu'elle est une femme ?

Autre exemple : j'ai lu un article où l'on écrivait qu'hier, Myriam El Khomri avait été « indisposée ». La connotation de cette expression n'aura échappé à personne. Cela montre à quel point les messages subliminaux continuent de nous stigmatiser et de nous assigner à notre condition de femmes.

On l'a dit, l'arsenal législatif est aujourd'hui conséquent. Mais les inégalités femmes-hommes sont sournoises et se moquent de la loi. Nombre de femmes sont admirablement douées et performantes. Mais elles n'en subissent pas moins le poids des archaïsmes, des stéréotypes et des responsabilités familiales. Dans la fonction publique comme dans le privé, le fait que les corvées domestiques et les tâches familiales soient toujours réalisées à 75 ou 80 % par les femmes pèse sur tous les engagements professionnels et sur toutes les carrières. Et on le sait, pour réussir, une femme a besoin du soutien déterminant de sa famille, de son compagnon ou de sa compagne.

Depuis 2012, le Gouvernement est pleinement mobilisé sur un objectif : dépasser l'égalité formelle, et donc atteindre l'égalité réelle. La loi du 4 août 2014 a mis en place des mesures concrètes pour agir sur les inégalités là où elles se trouvent, notamment dans la sphère familiale avec la réforme du congé parental et la mise en place de la garantie contre les impayés de pensions alimentaires (GIPA).

S'agissant plus particulièrement de la fonction publique, il convient de souligner les progrès réalisés et l'action constante du Gouvernement. L'État, en tant qu'employeur, s'est lui-même attaché à suivre les obligations en matière d'égalité entre les femmes et les hommes.

Dès 2012, le Premier ministre a nommé un gouvernement paritaire. Et je tiens à souligner que cette parité résiste à la durée. En effet, l'histoire ne manque pas de quinquennats ou de septennats qui ont commencé par un gouvernement paritaire. Mais des quinquennats ou des septennats qui ont tenu la parité tout au long de la mandature sont beaucoup plus rares. C'est le cas de ce quinquennat.

Le Gouvernement a également veillé à une application volontariste de la loi Sauvadet. Les nominations aux plus hauts emplois de l'État sont désormais soumises à des quotas. Pour ma part, j'aime bien les quotas, ou du moins j'en apprécie l'efficacité. Et je pense que l'on en a encore pour un moment avec les quotas, dont les échéances de mise en oeuvre ont d'ailleurs été rapprochées, par rapport à la loi Sauvadet, par la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. Notre objectif actuel est ainsi de 40 % de femmes dans les flux de nomination aux postes de cadres dirigeants de l'État en 2017 plutôt qu'en 2018. Au mois de janvier 2016, nous en étions déjà à 33 %. Nous accélérons le mouvement car la dynamique ambitieuse qui est à l'oeuvre est allée au-delà de nos impératifs. En 2013, les objectifs fixés par la loi avaient d'ores et déjà été dépassés – 29 % pour une obligation de 20 %. Ce volontarisme est propice à notre objectif qui est de briser le plafond de verre. La contrainte législative a, là encore, démontré toute son efficacité.

Le Gouvernement ne relâche pas pour autant son effort. Nous menons actuellement une étude sur les nominations dans l'encadrement supérieur. Cette étude devra nous permettre d'identifier la cause de la persistance des inégalités de carrière entre les femmes et les hommes, hautes fonctionnaires et hauts fonctionnaires, et d'identifier des leviers d'action.

Un mouvement structurel a par ailleurs été lancé avec la signature du Protocole d'accord du 8 mars 2013 relatif l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique. Il repose sur le dialogue social et met en place des mesures concrètes, déclinées par chaque ministère, en faveur de l'égalité des rémunérations et des carrières, de l'articulation entre vie professionnelle, vie personnelle et familiale, mais aussi contre le harcèlement au travail. Ce dernier point est très important, car il ne faut jamais oublier de souligner que le harcèlement est un obstacle de taille à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Nous avançons donc. Le label « égalité professionnelle », qui correspond à un cahier des charges exigeant en matière de recrutement, d'accès à la formation et de gestion des compétences, fait d'ores et déjà l'objet d'un engagement fort de la part de cinq ministères.

Nous devons aussi agir à la source des inégalités. Lorsque l'on parle des inégalités femmes-hommes dans la fonction publique, on parle souvent des carrières des fonctionnaires, de la vie de la fonction publique. Mais les fonctionnaires le sont pour servir, et aussi pour servir des causes, et notamment celle de la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes, contre les violences et contre le sexisme.

Je souhaite donc que nous étudiions avec précision la place donnée à ces sujets dans les formations initiale et continue des fonctionnaires. Pour un certain nombre d'entre elles, nous les connaissons. Ainsi, dans la police, la formation à l'accueil des femmes victimes de violences a progressé. Mais je ne suis pas sûre que l'ensemble des fonctionnaires reçoivent une formation qui leur permette, dans l'exercice de leurs tâches et de leurs fonctions, de déployer une action publique au service de l'égalité et de la lutte contre les discriminations. Voilà pourquoi j'ai bien l'intention de m'intéresser aux nombreuses formations de la fonction publique.

Mais au-delà de son rôle d'employeur, ce gouvernement a fait de l'égalité entre les femmes et les hommes un réflexe, une évidence dans la construction des politiques publiques. De façon très concrète, un haut fonctionnaire en charge de l'égalité des droits a été nommé dans chaque ministère et les conférences de l'égalité, qui se tiennent tous les ans, permettent d'actualiser les feuilles de route de chaque ministère, afin que la promotion des droits des femmes irrigue l'ensemble des politiques publiques. Enfin, nous allons réunir le Comité interministériel aux droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous ne l'avons pas réuni chaque année, comme nous aurions probablement dû le faire. Je sais, madame la présidente, que cela vous préoccupe, et que les attentes sont grandes. Mais je m'emploie à y mettre un contenu à la hauteur de nos ambitions en matière d'égalité.

Vous pouvez le constater, la promotion des droits des femmes au sein de la fonction publique et dans l'action interministérielle se fait de façon méthodique. C'est une volonté de tous les instants, un engagement nourri pour des résultats concrets, bien au-delà des effets d'annonce. Le Gouvernement est pleinement mobilisé pour donner aux femmes les moyens de leur autonomie, pour que les cartes ne soient pas battues d'avance, mais distribuées justement.

Au-delà de l'aspect politique, il y a une véritable révolution culturelle à mener : celle de l'évolution des mentalités, à laquelle je vais consacrer les quatorze mois que j'ai devant moi en disant tout simplement aux femmes : ne cédez rien, ne vous laissez pas marcher sur les pieds ! Soyez sûres de vous, soyez ambitieuses. L'ambition est toujours reconnue comme une qualité pour les hommes, elle l'est tout autant pour les femmes. C'est la condition nécessaire à l'épanouissement personnel et à la réussite des grands et beaux projets pour le développement de notre société et de nos familles. Une mère de famille heureuse dans son travail et épanouie dans son activité professionnelle est une mère de famille heureuse et épanouie auprès de ses enfants.

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