Intervention de Sophie Béjean

Réunion du 2 mars 2016 à 16h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Sophie Béjean, membre du conseil d'administration de l'association « Femmes dirigeantes de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation », AFDESRI :

Je voulais vous remercier pour votre invitation et pour les propos que vous venez de tenir. Si notre association est récente, on aurait pu penser que c'est parce qu'il n'y a pas de sujet en termes d'inégalités pour ce qui concerne l'enseignement, la recherche et l'innovation. En effet, c'est un monde où l'on réfléchit, on observe les réalités, on les analyse et on cherche des solutions pour les transformer. On pourrait donc penser qu'il y a moins d'inégalités.

Mais en 2012, alors que la plupart des présidents d'universités ont été renouvelés, nous avons été quelques une à constater que nous étions passées à 10 % de femmes présidentes, c'est-à-dire moitié moins (six contre douze), et il était de plus en plus difficile d'avoir une femme dans le conseil d'administration de la Conférence des présidents d'universités (CPU). Il en va de même pour le bureau, dans lequel siègent trois personnes et où, deux fois de suite, les élus ont été trois hommes. Quelques rectrices, quelques présidentes et quelques directrices d'écoles ont donc pris l'initiative de créer notre association. Nous avons choisi dès le début de promouvoir la place des femmes dans les fonctions de direction, le nom de notre association l'assume.

Est-ce qu'il y a une spécificité concernant l'enseignement et la recherche ? En tout cas les stéréotypes sont là. Ils sont là dans le recrutement des enseignants-chercheurs, dans l'évaluation par les pairs et les parcours des carrières. Il y a aussi un plafond de verre comme dans d'autres domaines, qu'il s'agisse des postes de directions de laboratoires, de doyens ou de directeurs… Concernant les recteurs, la situation s'est toutefois un peu améliorée suite au mouvement annoncé ce matin en Conseil des ministres. Les objectifs que le ministère s'est fixés commencent à porter leurs fruits, mais ce qui se passe du côté des recteurs et rectrices masquent des situations bien différentes à d'autres niveaux.

Il y a quelques spécificités à notre domaine et, premièrement, l'évaluation par les pairs, c'est à dire que les carrières se font par eux. Il est alors plus difficile de faire passer des objectifs d'égalité, de mixité et de promotion de la place des femmes, quand nos évaluateurs disent se fonder uniquement sur des critères de performance. Seule la performance scientifique permettrait d'atteindre des postes de recteurs, de professeurs, de directeurs de laboratoires.

L'autre processus particulier dans l'enseignement et dans la recherche est qu'il y a un processus électoral pour accéder à des positions de responsabilité, qui rappelle le monde politique, en ce sens que les femmes se positionnent dans un mode de fonctionnement où elles doivent se confronter à des élections.

Une autre spécificité est la question de la violence faite aux femmes et du sexisme. Je dois dire que moi-même, ayant été présidente d'université pendant cinq ans, j'ai été interpellée par le Collectif de lutte antisexiste contre le harcèlement sexuel dans l'enseignement supérieur (CLASHES) sur les violences et le sexisme à l'encontre des femmes dans l'enseignement supérieur et la recherche. J'avais intégré une forme de déni de ces situations, mais en prenant du recul je me suis bien rendue compte que la relation qu'il existe entre un professeur d'université et son thésard ou sa thésarde est une relation de pouvoir et d'influence où le sexisme peut produire de la violence.

Malgré tout cela, il y a quelques espoirs d'évolutions et de transformations que je souhaitais évoquer : d'abord une charte d'égalité signée en 2013 par la CPU, le Centre d'études sur les formations et l'emploi des ingénieurs (CEFI) et la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Mme Geneviève Fioraso, la ministre Najat Vallaud-Belkacem, alors chargée des droit des femmes.

De plus, la loi du 22 juillet 2013 sur l'enseignement supérieur a permis d'introduire la parité dans les listes électorales, un point qui pourra probablement permettre de faire évoluer les choses. On peut noter que grâce à l'initiative d'une femme présidente, la CPU, qui a été très masculine ces quatre dernières années, est maintenant tenue d'avoir au moins une femme dans le bureau.

Je voudrais aussi signaler l'action très positive de la mission pour la place des femmes au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l'engagement très fort de son directeur général, Alain Fuchs, qui en a fait un engagement politique fort, tout comme le ministre Laurent Fabius au Quai d'Orsay.

L'engagement d'un homme peut-être un facteur important d'évolution et d'ailleurs c'est un exemple que l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) suit depuis peu puisque des femmes se sont réunies pour l'obtention de la mise en place d'une mission du même ordre.

Avant de conclure, je tenais à souligner l'existence d'un atout dans le secteur de l'enseignement supérieur : c'est de pouvoir s'appuyer sur la recherche. Comme l'ont dit certaines d'entre vous, quand on mobilise des chercheurs, on comprend mieux les situations, on peut les analyser, on peut trouver des solutions. Je vous disais aussi que l'évaluation par les pairs a pour incidence que certains disent que les femmes accèdent moins facilement à des hauts postes parce qu'elles sont moins brillantes. Or, précisément, des travaux ont montré que la menace des stéréotypes pour les femmes qui se présentent dans une situation où elles sont porteuses d'un stéréotype va diminuer ces performances. En revanche, si on les sensibilise avant qu'elles ne se positionnent à des entretiens de recrutement, leurs performances vont redevenir égales à celles des hommes. La recherche peut ainsi apporter une contribution précieuse pour progresser dans ce domaine.

Notre association toute récente a beaucoup de travail encore devant elle. Je voudrais simplement conclure en disant que l'entraide entre les associations et les réseaux féminins est effectivement un facteur très riche. Je crois moi-même en avoir tiré bénéfice puisque je viens d'être nommée ce matin rectrice de l'académie de Strasbourg et que si je n'avais pas écouté les conseils de Gwenola Joly-Coz sur la « petite musique » qu'il faut pouvoir faire entendre, je n'aurais peut-être pas été nommée, malgré mes compétences et mon expérience. En tout cas, j'en suis très heureuse et c'est un nouveau défi que je relèverai tout en continuant à me mobiliser pour l'association.

Lors du premier séminaire organisé par cette association en janvier dernier, il a été souligné que promouvoir la place des femmes, c'est aussi améliorer la situation des hommes. Mais il s'agit aussi d'un enjeu plus large, car ce n'est pas simplement une question d'équité pour les femmes, c'est aussi un facteur qui va améliorer la mixité, celle entre les sexes mais aussi la mixité sociale, celle à l'égard de l'autre. Et si l'on fait progresser la mixité dans la fonction publique, dans les postes à responsabilité, je crois que notre société ira mieux tout simplement.

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