Intervention de Patrick Bloche

Réunion du 18 mai 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche, rapporteur, président :

Notre Commission est effectivement saisie aujourd'hui d'une proposition de résolution européenne sur la protection du droit d'auteur dans l'Union européenne, présentée par nos collègues Marietta Karamanli et Hervé Gaymard et adoptée par la commission des Affaires européennes le 3 mai dernier.

Notre Commission disposait d'un délai d'un mois pour déposer un rapport sur le texte. À défaut, cette proposition de résolution aurait été considérée comme adoptée tacitement. Nous mettons ainsi en oeuvre ce matin une procédure facultative et non obligatoire.

Devant l'importance des enjeux soulevés par les initiatives prises par la Commission européenne depuis plusieurs mois, nous ne pouvions nous contenter d'une telle adoption tacite. De la même manière qu'en 2013 nous nous étions saisis – avec quelle vigueur ! – de la question du respect de l'exception culturelle dans le cadre des négociations commerciales entre l'Union européenne et les États-Unis, il m'a semblé nécessaire d'apporter tout notre soutien à l'excellente proposition de résolution adoptée par la commission des Affaires européennes et de permettre ainsi à l'Assemblée nationale d'exercer pleinement ses prérogatives constitutionnelles en matière européenne.

Notre Commission a toujours été particulièrement attentive à la question de la protection des droits d'auteur au niveau européen ; je ne citerai qu'un exemple, récent : en juin dernier, nous avons publié, avec la Commission de la culture et des médias du Bundestag, une « Communication commune sur l'avenir des droits d'auteur en Europe », à l'issue de deux journées de travail à Paris, communication qui marque, au niveau parlementaire, l'unité du couple franco-allemand sur ces questions.

Comme vous le savez, la Commission européenne a fait de la révision du cadre du droit d'auteur l'un des vecteurs essentiels de la mise en place d'un marché unique numérique. Je ne reviendrai pas trop en détail sur les initiatives en cours, qui vous sont connues : communication de la Commission européenne pour une « stratégie pour un marché unique numérique », du 6 mai 2015, suivie d'un plan d'action pour « la modernisation du droit d'auteur », dévoilé le 9 décembre de la même année.

L'initiative communautaire qui avance le plus rapidement – et qui d'ailleurs pose moins de difficultés que d'autres – est la proposition de règlement sur la portabilité transfrontière des services de contenu en ligne, qui doit permettre aux citoyens de l'Union ayant acheté des contenus – qu'il s'agisse de films, de musique ou de livres électroniques – ou s'y étant abonné dans leur pays d'origine, de pouvoir continuer à y accéder lorsqu'ils se trouvent temporairement dans un autre État membre. Ce texte entend faciliter la vie de celles et ceux qui se déplacent souvent sur le continent, pour raisons professionnelles ou personnelles, mais il faut rester tout particulièrement vigilant – la proposition de résolution en fait mention – sur le fait que la portabilité soit bien temporaire et ne remette pas en cause le principe de territorialité des droits, principe auquel nous sommes très attachés.

La Commission européenne a par ailleurs annoncé son intention de travailler sur les exceptions au droit d'auteur à l'échelle européenne, par la révision de directive de 2001 sur la « Société de l'information ». C'est ce point qui concentre les principales difficultés, même si le projet de la Commission a été sensiblement assoupli par rapport aux orientations présentées par le nouveau président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker en 2014 ou aux propositions initiales du rapport de la députée européenne Julia Reda.

Mais il faut d'emblée garder en tête que, malgré cet assouplissement, la Commission n'a pas renoncé à certaines des perspectives de long terme qui figuraient dans ce rapport, telle l'instauration d'un code européen unique du droit d'auteur et d'un titre de droit d'auteur unifié ; il conviendra donc d'être particulièrement vigilant à l'avenir sur l'évolution du cadre réglementaire européen !

La Commission européenne privilégie donc désormais la voie de l'harmonisation des exceptions au droit d'auteur dans quelques domaines précis, notamment : la mise en oeuvre du traité de Marrakech de 2014 qui vise à faciliter l'accès des aveugles et déficients visuels aux oeuvres publiées ; la possibilité pour les organismes de recherche d'intérêt public d'appliquer les techniques analytiques automatisées de fouille de textes et de données, (dites « TDM ») aux contenus auxquels ils ont légalement accès à des fins de recherche scientifique ; l'application de l'exception à des fins d'illustration dans le cadre de l'enseignement aux utilisations numériques et à l'apprentissage en ligne ; la possibilité de consulter à distance, sur des réseaux électroniques fermés, des ouvrages conservés dans les bibliothèques ; la clarification de l'actuelle exception de l'Union pour « liberté de panorama » afin de prendre en considération les nouveaux canaux de diffusion. Ce dernier sujet nous avait bien occupés lors de l'examen pour avis, en première lecture, du projet de loi pour une République numérique.

La proposition de résolution qui nous est aujourd'hui soumise poursuit trois objectifs principaux. Le premier consiste à réaffirmer notre attachement aux équilibres de la directive de 2001, dont il n'est nullement prouvé qu'elle constituerait un obstacle à la constitution d'un marché unique numérique, l'émergence en Europe de nouveaux acteurs culturels majeurs depuis une quinzaine d'années étant d'ailleurs, s'il le fallait, la preuve patente du contraire.

La proposition de résolution rappelle, dans son alinéa 12, l'attachement de notre assemblée à ce que les initiatives de la Commission européenne n'aboutissent pas à l'uniformisation des modes de protection des droits d'auteur dans l'Union et, dans son alinéa 14, le caractère actuellement facultatif des exceptions en droit européen conférant aux États membres une souplesse suffisamment grande pour protéger les créateurs et assurer la circulation des oeuvres. Le texte marque, dans son alinéa 20, notre inquiétude devant une possible prolifération des exceptions obligatoires aux droits d'auteur. Il y a en effet, entre exceptions obligatoires et exceptions facultatives, un équilibre à trouver ou à maintenir.

Il marque également, dans son alinéa 15, notre attachement au respect du principe de territorialité des droits. La territorialité du financement de la création a permis l'émergence et le maintien de champions nationaux et européens ; la production culturelle française doit beaucoup au système de licences territoriales qui permet d'amortir des projets qui ne trouveraient pas nécessairement leur public à l'échelle européenne. Or, une harmonisation trop poussée du système de protection des droits d'auteur ne permettrait pas de maintenir ce principe. J'y insiste, car la territorialité est un élément déterminant du dispositif de financement de la création dans notre pays.

Le deuxième objectif de la proposition de résolution consiste à limiter au strict nécessaire les évolutions qui pourraient être apportées au régime européen de protection du droit d'auteur, dans le respect du principe de subsidiarité. En ce qui concerne l'exception pour les bibliothèques, la possible consultation à distance de livres numériques dans un circuit fermé apparaît comme une initiative heureuse, même s'il reste à trouver le bon point d'équilibre avec les intérêts des auteurs et le modèle économique des éditeurs, comme le rappelle l'alinéa 25 de la proposition de résolution.

En ce qui concerne la « liberté de panorama », déjà évoquée, la proposition de résolution rappelle que cette question est actuellement discutée en droit interne dans le cadre du projet de loi pour une République numérique, en cours de navette parlementaire. Les auteurs de la proposition de résolution ont estimé que, si cette liberté était reconnue en droit français, l'exception devrait faire l'objet d'une définition stricte dans un cadre européen, évitant tout risque d'insécurité juridique. Il s'agit en effet de bien distinguer entre usage marchand et non marchand, ainsi qu'entre exploitation commerciale et non commerciale, comme nous l'avions souligné au cours de nos débats il y a quelques mois.

La proposition de résolution réaffirme en outre notre attachement très fort au maintien du système actuel de copie privée. Je rappelle que vingt-six des vingt-huit États membres ont introduit une exception pour copie privée, seuls l'Irlande et le Royaume-Uni n'ayant pas prévu ce dispositif.

La proposition de résolution contient également une demande relative à la liberté de diffusion des résultats de la recherche, afin que les travaux financés par la recherche publique puissent être mis en circulation le plus rapidement possible, que leurs auteurs puissent bénéficier des retombées en termes de notoriété et de citations de leurs articles et que d'autres chercheurs puissent tirer parti des avancées de leurs collègues, selon un modèle dit de « voie verte ». Un tel système est actuellement prévu à l'article 17 du projet de loi pour une République numérique, qui permettrait aux chercheurs, s'il était définitivement adopté, d'archiver eux-mêmes le résultat de leurs recherches en ligne. Je salue l'initiative de notre rapporteur pour avis, Émeric Bréhier, sur ce sujet.

La technique « TDM » de la fouille de textes et de données, si elle apparaît intéressante pour la recherche scientifique, doit néanmoins être très strictement encadrée et n'entraîner aucune activité commerciale. Sur ce sujet, l'instauration d'une nouvelle exception au droit d'auteur envisagée par la Commission européenne n'est sans doute pas nécessaire, la voie contractuelle, plus souple et équilibrée, permettant très largement d'aboutir aux mêmes fins sans présenter les mêmes risques pour les ayants droit.

Le troisième objectif de la proposition de résolution vise à saluer les avancées promises par la Commission européenne dans la direction d'un meilleur partage de la valeur au sein de la chaîne culturelle.

La résolution plaide pour l'ouverture de réflexions destinées à redéfinir le statut et les responsabilités des hébergeurs dont le régime actuel, issu de la directive sur le commerce électronique de 2000, leur confère un statut général de non-responsabilité à raison des contenus hébergés. En effet, les hébergeurs ont-ils encore vraiment une activité uniquement et purement passive – qui justifiait ce régime en 2000 – dès lors qu'ils s'appuient désormais sur les données qu'ils hébergent pour orienter l'internaute, classer les informations, voire produire des revenus par la vente d'espaces publicitaires ou de données des utilisateurs ? Qu'il soit permis d'en douter…

Plus largement, la proposition de résolution invite, dans son alinéa 31, à « aboutir à un meilleur partage de la rémunération au sein de la chaîne de valeur culturelle, par une plus grande contribution des plateformes qui tirent un profit de la distribution des contenus en ligne ».

Enfin, dans la droite ligne de nos débats en deuxième lecture du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, j'ajoute que la réflexion qu'engagera la Commission européenne sur les agrégateurs d'actualité devrait lui permettre d'apporter une clarification souhaitable du droit européen sur la nature du lien hypertexte et les contours de la définition d'une communication à un public nouveau. Vous vous souvenez que le Sénat avait introduit en première lecture un article prévoyant une rémunération des photographes et plasticiens dont les oeuvres sont reproduites par des services de moteur de recherche et de référencement sur internet, article auquel notre Commission souscrivait sur le fond, mais qu'elle avait dû supprimer en raison de sa contrariété avec la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne. La réflexion annoncée par la Commission européenne constituerait une bonne occasion pour elle de se pencher plus précisément sur cette jurisprudence quelque peu incertaine, avouons-le.

En conclusion, je voudrais souligner une fois encore que la création européenne ne pourra être renforcée qu'en confortant l'apport essentiel des créateurs. C'est la raison pour laquelle nous devons porter une belle ambition : promouvoir la diversité culturelle, permettre l'accès aux oeuvres et assurer la juste rémunération de la création. Je vous remercie de l'attention que vous avez portée à ce sujet à la fois essentiel et technique, comme c'est toujours le cas lorsqu'il s'agit de propriété littéraire et artistique.

Je vous invite, mes chers collègues, à adopter la proposition de résolution, sur la base du texte adopté par la commission des Affaires européennes le 3 mai dernier.

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