Intervention de André Chassaigne

Réunion du 18 mai 2016 à 16h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne, rapporteur :

Je vous remercie Madame la Présidente, chers collègues, je voudrais tout simplement, dans cette présentation générale, revenir sur la philosophie du texte et le sens de ma démarche. Comme je l'ai souligné dans l'exposé des motifs, cette proposition de loi ne prétend pas apporter des solutions toutes faites pour remédier aux maux de notre agriculture. Elle s'appuie sur une réflexion collective établie avec les agriculteurs à différentes reprises au cours de l'année écoulée, et s'attache à avancer des pistes d'action pour retrouver une politique active en faveur des prix d'achat. J'ai, en effet, organisé des rencontres avec les organisations syndicales au coeur de la circonscription dont je suis l'élu et des rencontres à la ferme pour confronter mes propositions au monde agricole. C'est une forme de démarche citoyenne que j'essaie de privilégier. Il est ressorti une chose très forte de ces rencontres : la baisse de moral terrible des paysans avec pour eux un problème de dignité où ils ont le sentiment de ne pas être reconnus et que leur angoisse du lendemain n'est pas prise en compte. C'est extrêmement fort et je ne suis pas le seul à le constater ici.

Je crois sans m'avancer que nous partageons tous le constat selon lequel les prix d'achat des différentes productions agricoles ne couvrent aujourd'hui quasiment jamais les coûts de production moyens. Nous savons aussi quelles sont les conséquences durables de ce constat sur la structure de notre agriculture avec la disparition de milliers d'exploitations chaque année, et d'un quart des exploitations et des actifs tous les dix ans. Je voudrais, sur ce point, citer Aimé Césaire. Vous savez que j'aime beaucoup les citations et certaines d'entre elles sont fortes. Aimé Césaire écrivait : « Je n'aurais pas échappé à la malédiction d'être la dupe de bonne foi d'une hypocrisie collective ». C'est ce qui me fait dire face à ce drame hypocrite qu'est celui de nos agriculteurs et de nos paysans, qu'il faut chercher ensemble des chemins nouveaux.

Aussi une question vient alors immédiatement à l'esprit : avons-nous la volonté politique d'agir pour nous attaquer à la question des prix agricoles ? Et si oui, quelles propositions concrètes mettons-nous sur la table ?

C'est à ce travail de recherche de propositions d'actions concrètes que je me suis attaché avec, là aussi, un constat que je crois être partagé. L'absence, la suppression ou l'inefficacité des outils réglementaires et contractuels actuellement sur la table ne permettent pas de répondre à l'urgence de la situation agricole et alimentaire dans notre pays, comme en Europe. L'abandon progressif des derniers outils de régulation des marchés et des volumes au niveau communautaire a bien évidemment conduit à une mise en concurrence brutale des producteurs. Cette mise en concurrence, ce miroir aux alouettes de la compétitivité risque d'être toujours plus dramatique pour notre modèle d'exploitations familiales avec la perspective de traités de libre-échange particulièrement offensifs !

De même, la multiplication des plans de soutien et des plans d'urgence ne répond pas aux problèmes structurels de la formation des prix d'achat et des marges et aux rapports de force qui existent dans la répartition de la valeur ajoutée tout au long des filières. Nous débouchons aujourd'hui sur un véritable paradoxe : poursuivre l'objectif politique d'une agriculture vivante, productive, présente sur les territoires, riche en actifs, économiquement viable et écologiquement intensive tout en évacuant quasi-systématiquement du débat public la question centrale des prix payés aux producteurs ! Or, cette question des prix c'est la question essentielle.

Le comble du comble est que l'Union européenne continue à jouer dans la cour des grandes puissances agricoles au niveau international, tout en poursuivant la liquidation de toutes les protections et de tous les outils politiques d'intervention sur les marchés et les prix alors que les autres puissances avec lesquelles nous jouons les conservent, voire les renforcent. Je pourrais notamment citer les États-Unis, le Canada et de multiples autres États qui ont fait d'autres choix que ceux de l'Union européenne. Il faut donc avoir le courage de dire stop et de ne pas vouloir être plus libéraux que les libéraux. C'est tout le problème du libéralisme, que je qualifierais de doctrinaire, dans l'Europe agricole au nom d'une concurrence libre et non faussée.

Aussi, tout en rappelant ces quelques éléments qui me paraissent de bon sens, j'aimerais qu'en abordant l'examen de ce texte nous puissions être les plus constructifs possible en nous centrant véritablement sur l'enjeu fondamental et déterminant des prix et sur les leviers d'action que nous pouvons immédiatement construire. Je suis bien évidemment pleinement conscient des critiques qui peuvent être faites quant aux dispositifs proposés, notamment au regard de leur comptabilité avec le droit communautaire ou, devrais-je dire, avec l'interprétation qui est faite du droit communautaire. Pour autant, ces critiques ne peuvent pas contraindre la Représentation nationale à scléroser sa réflexion et sa volonté d'action au prix d'un abandon en rase campagne de nos agriculteurs. C'est dans cet état d'esprit constructif et ouvert que je vais vous présenter les trois articles, qui font d'ailleurs l'objet d'amendements de ma part afin de mieux coller au cadre réglementaire.

L'article 1er propose d'instaurer une conférence annuelle sur les prix par production. Cela a déjà été proposé dans d'autres propositions de loi et notamment dans celle des Républicains dont nous avons discuté il y a peu de temps. Cela a été présenté hier sous une forme assez proche à la commission des affaires économiques sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (Sapin II) et je sais que sur ces questions-là, notamment sur la conférence annuelle sur les prix, il y a une frilosité. Il y a d'ailleurs eu des amendements rejetés hier en commission mais je pense qu'il faut une vérité politique que nous pouvons affirmer. C'est pour cette raison que je vous proposerai un amendement qui permet de limiter les risques juridiques par rapport au texte de loi que vous avez étudié. Je précise que cette conférence annuelle sur les prix des productions est demandée par l'ensemble de la profession agricole, par les organisations agricoles et par les organisations syndicales. Je crois que ce serait un message et un signe très forts de pouvoir adopter cet article.

L'article 2 est plus complexe et j'en reconnais moi-même l'immense difficulté de mise en application. Le coefficient multiplicateur a été mis en oeuvre jusqu'en 1968 dans notre pays. Il était applicable et a été appliqué. Les obstacles ont été surmontés. Aujourd'hui, l'agriculture a évolué, l'agroalimentaire a pris une place plus grande et c'est pour cette raison qu'à la suite de ce que j'ai pu écouter, j'ai pris en compte les observations qui ont été faites et je vous présenterai un amendement limitant la mise en oeuvre de ce coefficient multiplicateur, aujourd'hui inscrit dans la loi pour les fruits et légumes, aux viandes et au lait de vache, c'est-à-dire des secteurs de production qui en permettent une application plus facile. Je précise que cette solution est proposée en période de crise ou en prévision des crises, comme c'est le cas aujourd'hui pour les fruits et légumes.

L'article 3 a été aussi l'objet de critiques que je comprends puisqu'il s'appuie sur le constat largement relayé par les agriculteurs et le monde agricole : celui d'être les seuls agents économiques qui sont susceptibles de vendre leurs productions à perte. Avec cet article 3, je souhaite inscrire dans la loi une interdiction d'un achat à perte. Il est vrai que des obstacles ont été formulés, en ce qui concerne notamment la variation des prix d'une exploitation à l'autre et la difficulté à fixer ces prix. Cela m'a été dit hier en particulier par notre collègue Mme Brigitte Allain qui constate que, souvent, l'agriculteur est conduit à vendre à perte. Interdire cette vente à perte pourrait poser de graves problèmes en termes de pérennisation de certaines exploitations.

Pour conclure, je voudrais dire mon souhait d'avoir un débat ouvert. Je voudrais affirmer ma volonté que soit passées au crible ces propositions, de prendre en compte sans dogmatisme les appréciations critiques et aussi de vécu de ceux qui sont aussi des agriculteurs et qui, dans leur quotidien, sont très informés des difficultés de l'agriculture. Je voudrais aussi tenir compte les auditions que j'ai effectuées. J'ai pleinement conscience des pierres qui entravent le chemin et je ne citerai ni Alexandre Vialatte, ni Louis Aragon, ni Paul Eluard ou René Char, des poètes que j'apprécie particulièrement. Je citerai tout simplement Winston Churchill qui était aussi un homme de lettres et qui a reçu le prix Nobel de littérature et qui disait : « Parfois les hommes trébuchent sur la vérité mais la plupart d'entre eux se relèvent et s'enfuient comme si de rien n'était ». Ce que je veux vous dire par là c'est que vos différentes interventions, les critiques que vous pourriez émettre, les obstacles que vous pourrez faire remonter, je suis tout à fait ouvert à en tenir compte et à respecter les votes que vous pourrez émettre sur les différents articles que je soumets à votre approbation.

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