Je voudrais faire passer quelques messages. Tout d'abord, chacun sait comment fonctionnent les propositions de loi, notamment celles qui sont examinées lors des niches parlementaires : dans un cadre si limité, elles ne peuvent être que très compactes, et n'abordent les questions que de façon partielle – ce qui conditionne leur pertinence à des réformes plus larges, en l'occurrence de la politique agricole. C'est la difficulté d'un groupe parlementaire comme le mien, qui ne dispose que d'une journée de niche par an, et qui doit utiliser ce format pour présenter quatre propositions de loi.
En outre, parmi ces propositions de loi soumises au format de la niche, certaines peuvent effectivement aboutir. Cela a été le cas, l'année dernière, de la proposition de loi relative à l'entretien et au renouvellement du réseau des lignes téléphoniques, à l'unanimité des députés en commission comme en séance. Mais d'autres propositions de loi – comme en l'espèce – ont plutôt pour objet de faire émerger des débats, et de poser des questions de fond. À ce titre, je serai bien présent lors des débats du projet de loi Sapin II en séance, et je ne manquerai pas de décliner, dans mes interventions et sous forme d'amendements, mes propositions.
Sur la question européenne, je suis conscient de l'exigence de « l'eurocompatibilité ». Dans les propositions que nous pouvons porter, nous sommes alors le nez contre la vitre, que nous découvrons incassable. Mais toute l'histoire de notre activité parlementaire montre que nous avons pu faire bouger des lignes, même lorsque certains bancs de l'Assemblée vouaient aux gémonies l'absence d' « eurocompatibilité » de nos propositions. Je rappelle qu'il y a quelques années, nos débats ont fait émerger la volonté de faire adopter, dans la loi française, un coefficient multiplicateur sur les fruits et légumes. Il nous a été rétorqué que cela était impossible. Nous l'avons tout de même voté ! Même s'il n'a jamais été mis en oeuvre, il fonctionne comme une épée de Damoclès : les fruits et légumes n'ont ainsi pas connu la situation catastrophique de certaines années passées.
Quand on étudie le rapport 2016 de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires sur l'exercice 2015, on voit que les fruits et légumes n'ont pas connu la situation catastrophique qui a été vécue au cours des années précédentes. On voit par-là que, quelquefois, un outil qu'on inscrit dans la loi en prévision de crises, ou comme une menace par rapport à ceux qui liquident le devenir de certains producteurs, a sa valeur. Nous avons réussi à l'inscrire, même s'il n'a jamais été actionné. J'ai bien conscience que le coefficient multiplicateur peut présenter des difficultés d'application, y compris sur des produits comme le lait, lorsque l'on voit qu'il y a les laits de grande consommation, les laits transformés en yaourt ou en fromage, d'autres transformés en poudre, d'autres qui partent sur le marché mondial, notamment dans le cadre de nos relations commerciales avec la Chine. Pour autant, je suis persuadé que l'étendre à la viande et au lait pourrait être un levier pouvant être actionné en cas de crise grave ou en perspective d'une crise grave. Je sais bien que ce n'est pas la solution miracle : vos interventions ont montré que les leviers d'action sont multiples et qu'un seul ne peut résoudre les problèmes structurels de notre agriculture.
Ensuite, quel doit être notre positionnement vis-à-vis de l'Europe ? Madame Brigitte Allain a donné le bel exemple du Portugal. Est-ce qu'on considère que les choix de l'ultralibéralisme et de l'hypercompétitivité en matière agricole sont gravés dans le marbre et qu'on n'y changera rien ? Dans de nombreux pays européens monte pourtant cette exigence d'organiser l'agriculture différemment ! Il y a quelques années, nous avions constitué des binômes de députés, l'un de la majorité, l'autre de l'opposition, et fait le tour des capitales européennes pour expliquer quelle était notre conception de l'agriculture, et que l'intérêt des agriculteurs français pour maintenir des paysans sur les territoires pouvait être convergent, à moyen terme, avec celui d'agriculteurs d'autres pays européens, qui font aujourd'hui le choix de l'ultralibéralisme. Cela signifie qu'il faut une volonté politique forte : si des pays ne cherchent pas à faire bouger les lignes, les lignes ne bougeront pas au niveau européen. Plus récemment, lors du débat que nous avons eu sur l'étiquetage lors de l'examen de la loi relative à la consommation, les premières réponses que nous avions eues consistaient à dire que l'Europe ferait un blocage complet et que nous ne parviendrions jamais à l'obtenir au niveau européen. Or, grâce à notre volonté politique, l'étiquetage a évolué sur l'ensemble des viandes, et un décret qui permettrait de rendre obligatoire l'étiquetage de la viande transformée doit être publié en France. Dans l'état actuel des choix politiques de l'Europe, même si nous prenons, en France, la décision d'instituer l'étiquetage des viandes transformées, cela ne veut pas dire que ce choix sera fait rapidement au niveau européen, mais nous aurons, du moins, commencé à faire grandir l'exigence de traçabilité sur les produits alimentaires.
La proposition que je porte ne s'inscrit pas dans une posture de repli sur soi ou de sortie de la politique agricole européenne. Je suis pour une politique agricole européenne, mais je pense qu'il faut faire évoluer ses orientations fondamentales. Pour ce faire, il faut que des pays commencent à bouger, même si cela peut apparaître comme de l'affichage dans un premier temps. Cela revient à dire, politiquement, qu'on peut rassembler les agriculteurs de l'Union européenne. Je suis d'ailleurs convaincu que si on ne réagit pas, si on se laisse aller dans cette espèce de flot du libéralisme, qui devrait de lui-même, Monsieur Antoine Herth, réguler la production agricole, ce sera la catastrophe : des territoires entiers vont mourir. En conséquence, j'assume le caractère idéologique de certaines de mes propositions. Ce n'est pas pour autant que je suis un défenseur acharné de l'agriculture administrée, mais je pense que dans l'agriculture, il faut plus d'administration, et donc de régulation. On ne peut pas dire que la question des prix et de la régulation est primordiale et dire ensuite qu'il faut aller vers le libéralisme et dire que la recherche de régulations c'est de l'agriculture soviétique. Il faut apporter des réponses, même imparfaites. Celles que je propose sont même tellement imparfaites que je porte des amendements qui en réduisent la portée, parce que j'ai pris en compte des observations faites lors des auditions et par les 140 agriculteurs avec lesquels j'ai organisé trois rencontres à la ferme. Mes amendements en découlent. Certains collègues ici ont un vécu d'agriculteur et de paysan. Ceux-là ont un regard pratique qui leur permet de voir les problèmes que des propositions risquent d'avoir pour les producteurs. J'ai eu suffisamment de démons de la vérité qui m'ont hanté pendant des années pour dire, aujourd'hui, qu'on peut co-construire des choses et essayer d'apporter des réponses réfléchies et partagées sans s'enfermer derrière des digues qui consisteraient à dire que certains détiennent la vérité suprême et que d'autres ne voient dans ces idées que des relents d'une période aujourd'hui révolue.
Bien évidemment, je porterai cette proposition de loi dans le cadre de la niche, ne serait-ce que pour le débat qu'elle va engendrer avec le ministre de l'agriculture, et j'interviendrai sur la loi Sapin II en déclinant par voie d'amendements, avec la détermination que vous me connaissez, les propositions modifiées que je vais vous présenter.