Monsieur le président, mesdames et Messieurs les députés, chère Catherine, c'est un honneur d'avoir été invitée une seconde fois à m'exprimer devant vous : cela veut dire que, la première fois, je n'ai pas déplu. (Sourires)
L'année 2015 a été historique, car c'est l'année où le monde a pris conscience du fait que, pendant longtemps, les leaders mondiaux s'étaient trompés de trajectoire, l'année où, à l'unanimité, la science a rendu son verdict, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) imposant ses vues par rapport à celles de climatosceptiques, de moins en moins nombreux, celle enfin où la communauté internationale a abouti, grâce au leadership de la France, au Président François Hollande, au ministre des affaires étrangères Laurent Fabius et à l'ambassadrice Laurence Tubiana, à l'accord de Paris, qui est un succès historique.
En 2015, la communauté internationale a pris conscience que le changement climatique ne connaissait pas de frontières et que l'on ne pouvait plus opposer le Nord et le Sud. Elle a aussi compris que l'avenir de la planète ne dépendait pas uniquement d'un agenda environnemental géré par des ministres mais qu'il s'agissait plus largement d'un agenda politique et économique construit autour d'enjeux touchant au développement et à la dignité humaine.
À cause du changement climatique, 600 millions de personnes n'ont pas accès à l'eau potable, 1,2 milliard de personnes n'ont pas accès à l'énergie, 1,4 million d'heures sont consacrées chaque jour par les femmes et les jeunes filles au ravitaillement en eau, alors que ces dernières pourraient aller à l'école, 4 000 Chinois enfin meurent quotidiennement pour des raisons liées à la dégradation de l'environnement.
À cause du changement climatique, les catastrophes naturelles deviennent la règle au lieu d'être l'exception, les États-Unis perdent près de 4 % de leur PIB, et 48 millions de personnes ont migré ces dix dernières années du Sud vers le Nord, tandis que, si rien ne change, ils seront millions à migrer d'ici à 2030.
Le changement climatique est une menace pour la santé, les droits humains, l'éducation, la stabilité régionale de certaines parties du globe, mais surtout pour la sécurité mondiale – et vous savez tous à quoi je fais allusion.
L'accord de Paris entérine au niveau mondial le principe de la neutralité des émissions. Nous devons maîtriser les émissions de gaz à effet de serre pour maintenir le réchauffement climatique en deçà de 2 degrés C d'ici 2050, ce qui implique que, demain, nous changions de modes de production, d'industrialisation et d'électrification, que nous révisions nos usages des énergies fossiles, bref que nous changions de civilisation.
Cela sera difficile et, si Paris a été un succès fulgurant, qualifié de plus bel accord multilatéral du siècle, que vaudra cet accord si l'on ne parvient pas à mettre en oeuvre les engagements qu'il comporte ? Je ne vous parlerai pas ici des enjeux techniques mais de la manière dont nous allons devoir nous y prendre pour changer de civilisation et de la façon dont il va falloir redistribuer le pouvoir pour accomplir la transition, car ce n'est plus la puissance économique qui peut conduire le changement, dans un monde où les puissances s'opposent les unes aux autres depuis toujours et où les producteurs de pétrole subventionnent chaque année à hauteur de 600 milliards de dollars les énergies fossiles.
Ce n'est pas parce que l'égalité entre hommes et femmes est inscrite dans de nombreuses constitutions qu'elle est effective ; ce n'est pas non plus parce que l'on a signé l'accord de Paris que, dans les faits, la transformation sociétale sera un succès. C'est donc à nous, citoyens du monde, d'agir. Si les plus grands pétroliers russes sont en train de réviser leurs politiques, si la Chine, qui construisait chaque année des dizaines de centrales à charbon, a changé de paradigme et accepté de signer un accord avec les États-Unis, c'est sous la pression des peuples. Les Chinois ont considéré ce que coûtaient 4 000 morts par jour, alors que la vie n'a pas de prix.
Nous devons néanmoins poursuivre les négociations et respecter l'agenda établi par l'accord de Paris, qui nous fixe des rendez-vous pour les années à venir. Dans cette perspective, la feuille de route établie pour le sommet de Marrakech nous fixe de répondre aux deux objectifs essentiels fixés par l'accord de Paris.
Nous devons, en premier lieu diminuer les émissions de gaz à effet de serre, ce qui concerne d'abord les pays les plus pollueurs, au premier rang desquels la Chine. Pour ce faire, chaque pays a présenté sa contribution nationale, ou INDC – Intended Nationally Determined Contribution –, c'est-à-dire l'ensemble des efforts nationaux et des politiques publiques mises en oeuvre pour diminuer les émissions. Mesdames et messieurs les parlementaires, vous êtes les premiers concernés, puisque c'est vous qui votez les lois et décidez de ce que sera notre avenir.
Les simulations réalisées dans le cadre de la COP21 ont néanmoins montré qu'en l'état les contributions nationales ne permettraient pas d'atteindre l'objectif d'un réchauffement climatique contenu entre 1,5 et 2 °C. Il fallait donc revoir nos ambitions à la hausse. Pour cela, et face aux réticences des pays développés touchés par la crise et peu enclins à faire des efforts supplémentaires, la France et le Pérou ont eu l'idée magnifique de mettre en place un « Agenda des solutions » regroupant toutes les initiatives de la société civile. Des territoires, qui ambitionnent de devenir territoires à énergie positive, aux entreprises, qui, en 2015, ont investi 56 % de leurs investissements énergétiques dans le renouvelable, l'engouement a été exceptionnel.
Nous avons assisté à une véritable prise de conscience chez la plupart des acteurs. Reste à convaincre ceux qui pensent qu'avec l'accord de Paris, les négociations sont terminées, alors qu'elles ne font que commencer et que les transformations nécessaires seront l'oeuvre de toutes les générations futures.
Quant à la présidence marocaine, elle compte surtout s'attacher au second objectif fixé par l'accord de Paris, à savoir l'aide aux pays les plus vulnérables. La tâche de la COP22 sera de ne pas trahir la confiance qu'a fait naître la COP21 en faisant fructifier la solidarité qui s'y est affirmée.
J'assume de le dire : la COP22 sera plus importante que la COP21, car il lui reviendra de répondre à toutes ses voix qui s'élèvent de l'Afrique pour dénoncer le manque d'eau, d'électricité, la faim et les 500 millions de terres dégradées que la sécheresse a rendues inexploitables, et d'apporter des solutions aux États insulaires menacés par la montée des eaux.
Pour cela, la feuille de route marocaine est axée sur les actions pré-2020 et l'Agenda des solutions ; c'est grâce à l'action en effet que l'accord de Paris restera crédible.
Comment le Maroc se prépare-t-il pour la COP22 ? Je vous avais expliqué, lors de ma première audition, comment, après s'en être tenu pendant longtemps à une politique réactive en matière de climat – construction de barrages ou mesures de restriction pour répondre à la sécheresse –, le Maroc avait désormais adopté une politique proactive. Le développement durable a été inscrit dans la Constitution, et nous avons mis en place une stratégie nationale appuyée sur des lois. Toutes les politiques publiques intègrent désormais la problématique du climat, ce qui ne figure pas dans l'accord de Paris, plusieurs pays ayant refusé de faire de la sauvegarde du climat une donnée structurelle de leurs politiques.
C'est donc à vous qu'il appartient de faire évoluer les choses, et nous devons pouvoir compter sur vous pour que le processus s'accélère et pour empêcher que l'accord de Paris ne subisse le même sort que le protocole de Kyoto et l'amendement de Doha dont, des années après, la ratification n'est pas achevée, sachant que, pour éviter le blocage de certains pays, comme les États-Unis, la COP21 a imaginé que l'accord de Paris pourrait non seulement être soumis à la ratification des États mais également faire l'objet d'une acceptation ou d'une adoption, les trois termes ayant, selon la convention de Vienne, une valeur contraignante.
Votre voix doit donc être entendue dans les négociations. Malheureusement, les parlementaires ne font pas partie des neuf collectifs d'observateurs qui agissent au sein de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). C'est la raison pour laquelle, nos députés ont formé avec les vôtres une commission qui entend présenter à la CCNUCC une résolution tendant à reconnaître les parlementaires comme un dixième collectif d'observateurs.
Nous voulons qu'à Marrakech soient impliquées le plus grand nombre de nations et que soient entreprises le plus grand nombre d'actions en faveur du climat. Mais nous voulons surtout être exemplaires. Le Maroc, petit pays par ses ressources pétrolières et gazières, veut être un grand pays par l'exemple. C'est en partie chose faite grâce à l'intuition de Sa Majesté le roi, à qui nous devons d'avoir réalisé la plus grande centrale solaire du monde, baptisée Noor, ce qui veut dire « Lumière ». C'est cette lumière qui guidera, nous l'espérons, nos pas sur la voie de l'innovation. Tous, de l'industriel à l'ingénieur, du bâtisseur au charpentier, doivent s'unir pour transformer la vie et faire en sorte que l'accord de Paris ne reste pas lettre morte, que le développement durable conserve sa dignité à l'homme : on peut en effet négocier avec les hommes, mais on ne négocie jamais avec la nature. (L'ensemble des commissaires applaudissent Mme El Haité.)