En premier lieu, je voudrais féliciter la France d'avoir des Républicains différents des Républicains américains et capables de voter pour la ratification de l'accord de Paris ! Il y a donc encore des Républicains qui rendent le monde heureux… (Rires) Je les félicite, car l'environnement ne connaît ni frontières ni couleur politique. Face à lui, l'opposition n'existe plus car, si on s'avisait de ne pas ratifier l'accord, demain des vagues de chaleur pourraient faire des victimes – la France a déjà connu cela –, et ces victimes pourraient être vos proches.
Je précise également que ce ne sont pas les journaux qui m'ont baptisée « championne du climat » mais le comité marocain d'organisation de la COP22, qui m'a désignée comme telle, à l'instar de Laurence Tubiana, elle-même désignée par Laurent Fabius. En tant que telle, je vais reprendre son flambeau et continuer de prêcher la bonne parole auprès des États, des entrepreneurs et de tous les acteurs concernés.
Je dois beaucoup à la France et je tiens ici à remercier d'une part votre Président de la République de m'avoir honorée du titre de chevalier de la Légion d'honneur à l'issue des travaux de la COP21, d'autre part Laurent Fabius de m'avoir remis le marteau qui a scellé l'accord de Paris, lequel ne m'appartient pas vraiment mais appartient au monde entier.
Les Objectifs de développement durable, signés sous l'égide de M. Ban Ki-moon en septembre dernier, visaient à rendre à tous les hommes leur dignité, en éradiquant la pauvreté, en garantissant l'égalité des genres et en donnant à chacun l'accès aux soins, à l'énergie et à l'éducation ainsi que le droit de vivre dans de bonnes conditions climatiques. Il ne s'agissait ni plus ni moins que de transformer la vie, et pourtant tous les États ont signé sans rechigner ces engagements beaucoup plus compliqués à tenir que l'accord de Paris. Tout simplement parce qu'il n'y avait ni enjeux économiques ni enjeux de pouvoirs immédiats. Si les négociations sur le climat ont mis tant de temps au contraire à aboutir, c'est d'abord parce qu'elles ont été confiées aux seuls ministres de l'environnement, qui ne sont pas toujours les plus puissants. On s'est ensuite rendu compte que l'environnement était avant tout une histoire de développement énergétique, et j'en viens ici au mix énergétique.
Vous m'avez interrogée sur les intentions du Maroc, mais c'est à l'échelle mondiale que la question se pose. Il a fallu trois jours de négociations à Paris pour parvenir à inscrire dans le texte la notion de « neutralité des émissions », préférée à celle de « décarbonation », qui signifie 0 % de carbone et qui était un objectif irréaliste pour les entreprises et les grandes puissances. Mais, du coup, la COP21 ne nous a pas donné de solution magique pour réduire la hausse des températures de 3,8 à 1,5 °C.
Permettez-moi cependant d'être un peu taquine, mais je suis malgré cela très optimiste : n'avons-nous pas deux championnes du climat, une secrétaire exécutive des Nations unies, une présidente de la COP21, et deux co-présidentes de l'accord de Paris ? (Sourires) Où sont les hommes ? Se sont-ils rendu compte qu'ils avaient mis l'avenir de l'homme entre les mains des femmes ? Je crois que l'on peut parler d'un moment historique… (Rires)
J'en reviens plus sérieusement à la question du mix énergétique, qui reste problématique. Une étude de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) montre qu'en 2050, dans un schéma construit sur la neutralité des émissions, la production énergétique mondiale se répartira toujours entre 28 % de charbon, 26 % d'énergies fossiles, 24 % d'énergie nucléaire et moins de 20 % d'énergies renouvelables. Comment cela pourrait-il changer quand le mix énergétique allemand comporte plus de 50 % d'énergies fossiles et que l'AIEA autorise 68 pays à construire des centrales nucléaires ?
Soyons réalistes : nous devons poursuivre deux objectifs. Le premier consiste à réaliser un mix énergétique qui permette d'atteindre la neutralité carbone, ce qui implique de parvenir à un équilibre mondial dans lequel le pouvoir va se redistribuer. À n'en pas douter, c'est surtout les pays du Sud qui vont développer les énergies renouvelables, avec une chance d'inventer un nouveau modèle de développement.
L'Afrique peut vous surprendre. L'un d'entre vous a évoqué ses ressources en eau, mais il n'y pas que l'eau : l'Afrique dispose de 80 % des mines mondiales et de 12 % du pétrole ; elle possède des forêts et un gisement de biodiversité exceptionnel. L'Afrique, qui exporte pour l'instant 65 % de sa ressource brute et qui est si vulnérable aux changements climatiques, peut, demain, devenir le laboratoire de la civilisation décarbonée, car le CO2, là-bas, n'est pas un enjeu économique. Mais chez vous ? En tant qu'environnementaliste de coeur et de métier, j'ai envie de rêver et d'y croire, mais il y a des chances pour que ce rêve se fracasse sur la puissance de l'argent.
Il y a ensuite la question du Fonds vert pour le climat, censé aider les pays en développement, qui ne sont pas responsables des émissions, à s'adapter au réchauffement climatique et à réussir leur transition énergétique vers une civilisation décarbonée. Un rapport de l'OCDE, paru l'an dernier, a montré que le montant des flux financiers orientés vers la lutte contre le réchauffement climatique s'élevait à 400 milliards de dollars. Or, sur ces 400 milliards, seuls 12 % vont aux États les plus vulnérables, dont moins de 3 % à l'Afrique ! Quant au Fonds vert, il ne pèse pour l'instant que 10 milliards de dollars et n'a jusqu'à présent financé que sept projets, pour un montant total de 168 millions de dollars, alors que les besoins de la seule Afrique sont estimés à 500 milliards de dollars par an. Il faut donc réinventer le monde et réorienter les flux financiers. La COP21 a commencé, la COP22 continuera. C'est dans cette perspective que Paris Europlace et Casablanca Finance City vont mener une réflexion conjointe sur la réorientation de la finance climatique.
Mais il faut descendre plus bas encore, jusqu'aux organismes de financement, jusqu'aux banques qui multiplient les critères d'obtention des financements. Un gros effort de simplification de ces critères d'éligibilité est nécessaire pour que les pays en voie de développement puissent avoir accès aux financements. Cela est aussi vrai pour le Fonds vert dont les engagements financiers restent trop faibles parce que les pays en développement n'ont pas la capacité de présenter des dossiers suffisamment solides et suffisamment argumentés. C'est la raison pour laquelle l'accord de Paris a instauré un processus de renforcement des capacités. C'est une priorité de la feuille de route marocaine, et une conférence mondiale sera organisée en amont du sommet de Marrakech pour réfléchir à la manière de matérialiser cette forme d'aide aux pays en développement.
En ce qui concerne les outils permettant de réguler les prix financiers, vous avez évoqué le prix du carbone. Un forum du carbone, auquel je vous convie, se tiendra les 15 et 16 juillet prochains à Marrakech, avec l'idée d'aborder la question de manière globale. En effet, les marchés du carbone sont actuellement des marchés nationaux ou régionaux, chacun ayant ses propres mécanismes et ses propres prix, l'argent n'y circulant qu'entre pollueurs et moins pollueurs d'une même zone. Ségolène Royal a demandé à Gérard Mestrallet de conduire une mission sur la mise en place d'un prix carbone à l'échelle européenne, mais établir un prix mondial se heurtera aux divergences d'intérêt. Qui taxer prioritairement en effet ? Pour les uns, il faudra pénaliser les pétroliers du Golfe, qui polluent la planète depuis une trentaine d'années ; pour les autres, c'est aux pollueurs historiques, qui polluent depuis deux cents ans, d'assumer leurs responsabilités. D'où la nécessité d'avoir du carbone une approche holistique, qui prenne en compte non seulement les émissions mais aussi la séquestration. Quant à la problématique du prix, elle doit intégrer la question des incitations ou de manque à gagner. Quoi qu'il en soit, la définition d'un prix du carbone ne pourra naître que d'un consensus multilatéral sur une valeur qui correspondra pour chaque pays au prix de sa responsabilité.
En ce qui concerne la vulnérabilité du Maroc, c'est une réalité, même si nous ne sommes pas le pays le plus vulnérable de l'Afrique. Quoi qu'il en soit, les discussions sur le changement climatique ne doivent pas opposer le Nord et le Sud, car le climat se réchauffe partout, ainsi qu'en témoigne la fonte des neiges et des glaciers. Reste que 75 % du territoire marocain est menacé par l'érosion et que notre déficit hydrique devrait atteindre 5 milliards de mètres cubes à l'horizon 2020. C'est pour cela que nous tentons d'anticiper grâce à la mise en oeuvre de politiques adaptées.
Je crois à la montée en puissance des pays en développement si seulement ils prennent conscience du fait qu'ils ne sont pas condamnés à être éternellement victimes d'une mauvaise gestion de leurs ressources mais doivent saisir l'occasion des changements climatiques pour devenir acteurs de leur propre développement, grâce à la mise en oeuvre de technologies innovantes.
C'est pour promouvoir cette idée que nous avons signé le mémorandum de Washington et organisons, avec Jeffrey Sachs, une conférence pour des solutions à faibles émissions. Il faut croire en l'innovation. La technologie d'aujourd'hui n'est plus celle d'il y a vingt ans, et personne n'aurait imaginé alors que la révolution des médias allait faire basculer des régimes dans l'ensemble du MENA– au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (Middle East and Northern Africa). Il faut résister aux climatosceptiques et agir, car des gens meurent chaque jour.
Le sous-secrétaire général chargé de la coordination des politiques et de la planification stratégique auprès de Ban Ki-moon, M. Orr, me racontait à Washington que sa fille était tombée dans un magazine sur un article au sujet de notre station solaire Noor, et qu'elle lui avait demandé : « Papa, quand les États-Unis deviendront-ils aussi développés que le Maroc ? » (Sourires) C'est la preuve que l'on peut rêver et que nos pays ont des occasions à saisir…
Quant à l'engagement des Marocains, il faut d'abord se souvenir que le Maroc est une jeune démocratie. Nous ne sommes indépendants que depuis soixante ans, et nous avons bâti en moins de quinze ans, sous le règne de Sa Majesté le roi, ce que nous n'avions pas fait dans les cinquante années précédentes. Aujourd'hui, le Maroc est en ébullition. Il reste beaucoup à faire, certes, en matière d'environnement, mais l'essentiel est que nous avons posé les fondements, sans lesquels rien ne peut se construire.
Avant mon arrivée au Gouvernement, le ministère de l'environnement n'existait pas, la politique environnementale n'étant pas au coeur des préoccupations de l'État – rares en effet sont les pays où, comme en France, la ministre de l'environnement est la troisième dans l'ordre protocolaire du Gouvernement. Je n'avais que deux solutions pour réussir dans mes nouvelles fonctions : démontrer d'une part que l'environnement pouvait créer des emplois et d'autre part qu'il pouvait faire gagner de l'argent aux Marocains. Et lorsque j'ai annoncé au chef du Gouvernement que j'avais fait gagner au Maroc, 1,2 milliard de dirhams par an en mettant en place une filière de recyclage des batteries et un système de consigne, il n'en revenait pas, mais c'est comme cela que le ministère est devenu crédible.
Il vous a fallu trente ans pour réduire la pollution de la Seine, et nous aurons, nous aussi, besoin de temps, d'autant que l'environnement est avant tout une histoire d'éducation. Les décideurs de demain et les ingénieurs doivent s'approprier les concepts d'environnement et de climat.
Quant à la place de l'entreprise dans ce combat, elle est primordiale, car les entreprises émettent 65 % des gaz à effet de serre. D'où l'importance de multiplier les entreprises exemplaires. Nous en avons au Maroc, certaines, même, qui sont des entreprises « zéro déchet ». Nous vous les ferons découvrir lors de la COP22.
J'en viens à la coopération. Sa Majesté a mis en place une politique visant à orienter notre économie vers le sud et à développer la coopération Sud-Sud, soulignant qu'il espérait que la COP22 serait l'occasion de célébrer cette coopération. Nous avons en effet beaucoup à apporter aux autres pays d'Afrique, à qui nous pouvons prouver qu'avec peu de moyens, un pays, même vulnérable, peut se développer.
Quant à la coopération triangulaire, c'est une évidence, car nous ne pouvons nous passer de la France. Non seulement nous sommes liés par des liens historiques et des liens d'amitié, mais les transferts de savoir-faire et de technologie sont d'une importance primordiale pour nous.
Un mot, pour conclure, sur les femmes. Nous avons organisé, dès 2015, avec Women's Tribune et Michèle Sabban, le premier forum « Femmes pour le climat » centré sur le fait que les femmes étaient les premières victimes du réchauffement climatique. La deuxième édition, au mois de septembre prochain, sera consacrée aux femmes en tant qu'actrices du changement, notamment lorsqu'elles sont à la tête de grandes entreprises ou occupent des positions de pouvoir. Nous devons faire en sorte que ces femmes de pouvoir puissent agir pour celles qui sont victimes et faire en sorte qu'un fonds climatique leur soit spécialement dédié. Nous espérons enfin qu'à Marrakech des résolutions seront prises concernant spécifiquement les femmes.