Intervention de Marc Laffineur

Réunion du 17 mai 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarc Laffineur, co-rapporteur :

Madame la Présidente, chers collègues, dans le cadre de la poursuite de nos travaux sur les pratiques d'évasion et d'optimisation fiscales agressives, nous vous présentons aujourd'hui notre rapport sur le paquet anti-évitement fiscal publié par la Commission européenne le 28 janvier 2016.

Alors que la révélation au grand jour de plusieurs types de pratiques d'évitement fiscal s'intensifie, suscitant, dans l'opinion publique, de vives vagues d'émoi, les institutions européennes, au premier rang desquelles la Commission européenne, continuent et intensifient leurs actions dans la lutte contre l'évasion et l'optimisation fiscales.

Dans un contexte d'après crise, notamment caractérisé par de réelles contraintes budgétaires, les stratégies de planification fiscale mises en oeuvre par certaines entreprises constituent, pour les États, d'importantes pertes fiscales et apparaissent insupportables aux yeux des contribuables qui s'acquittent de leurs obligations fiscales. Si l'évaluation des phénomènes d'évasion et d'optimisation fiscales est, par nature, extrêmement difficile à réaliser, il est incontestable qu'ils permettent à des sommes colossales de revenus d'échapper à tout ou partie de la taxation qu'ils devraient générer. Les estimations connues font notamment état d'une perte annuelle comprise entre 160 et 190 milliards d'euros à l'échelle de l'Union européenne.

Ainsi, si les stratégies de contournement de l'impôt ont toujours représenté un enjeu des autorités nationales et constituent depuis près de vingt ans, une préoccupation centrale des institutions européennes comme de certaines enceintes de coopération économique, à l'instar de l'OCDE, c'est dans un contexte de sensibilité accrue à ces problématiques que la Commission européenne a présenté, le 28 janvier 2016, un paquet de mesures visant à lutter contre l'évitement fiscal.

Ambitieux, ce paquet fiscal se compose de mesures législatives et non législatives et précise, en la complétant, ou en la mettant à jour, la stratégie esquissée par l'Union européenne, en particulier après le scandale « Luxleaks », dans son plan d'action du 17 juin 2015 pour un système d'imposition des sociétés juste et efficace. Le principe fondateur de la stratégie européenne en la matière vise à recréer le lien entre le lieu de la réalisation d'activités générant des revenus et le lieu de la taxation, rompu lorsque sont mises en oeuvre des stratégies de planification fiscale agressive.

Je voudrais rappeler que la publication de ce paquet anti-évitement fiscal intervient après les travaux réalisés par l'OCDE sur l'érosion de la base fiscale et le transfert des bénéfices (plan d'action BEPS) et que nous avions abordés dans notre précédent rapport, assorti de conclusions le 6 octobre 2015.

Le paquet anti-évitement fiscal de la Commission européenne est un paquet conséquent et cohérent. Outre la communication chapeau qui expose les principes directeurs de l'action de l'Union européenne dans la lutte contre l'évitement fiscal, le paquet se compose :

– d'une proposition de directive visant à lutter contre l'évasion fiscale, qui comprend six dispositifs dont trois sont issus du plan d'action « anti-BEPS » de l'OCDE et en assurent la mise en oeuvre dans le droit de l'Union européenne ;

– d'une proposition de révision de la directive dite « coopération administrative », introduisant une obligation d'échange automatique et obligatoire d'informations en matière fiscale, qui a fait l'objet d'un accord politique lors du Conseil ECOFIN du 8 mars 2016 et qui devrait être formellement adoptée dans les prochains mois ;

– d'une mesure de « soft law », avec la recommandation concernant l'utilisation abusive des conventions fiscales ;

– et d'une communication sur la stratégie extérieure de l'Union européenne en matière fiscale, qui détaille notamment les mesures à prendre vis-à-vis des pays tiers.

Il convient également de signaler la proposition législative de la Commission européenne, publiée le 12 avril 2016, en marge du paquet anti-évitement fiscal mais venant le compléter. Dans ce texte, la Commission européenne propose d'étendre, par une modification circonscrite de la directive « comptable » de 2013, le champ des informations que certaines entreprises et succursales doivent rendre publiques.

Il faut enfin souligner le rôle central que joue le Parlement européen dans la lutte contre l'évitement fiscal alors qu'il s'agit d'un domaine régi par la règle de l'unanimité, dans lequel il n'est que consulté par les États membres. Force est, en effet, de constater que le Parlement européen a joué, depuis les révélations de l'affaire « Luxleaks », un rôle d'alerte et d'orientation particulièrement notable. Il s'est ainsi fait le relais de propositions ambitieuses et continue de le faire dans le cadre de la directive sur le reporting public du 12 avril dernier.

Particulièrement investi dans la lutte contre l'évasion et l'optimisation fiscales, le Parlement européen s'est montré réactif à la suite des différents scandales révélés par le Consortium international des journalistes d'investigations. Il a ainsi mené, sous la présidence d'Alain Lamassoure, des travaux dans le cadre de la commission spéciale TAXE relative aux rescrits fiscaux dont le mandat a été prolongé de 6 mois (commission spéciale TAXE II) et qui devrait rendre ses conclusions finales à l'été 2016. Le Parlement européen, enfin, récemment décidé de la constitution d'une commission d'enquête pour aborder la question des « Panama papers ».

Pour mémoire, je rappelle, s'agissant de l'affaire « Luxleaks », que les rescrits fiscaux sont des accords conclus entre des contribuables (souvent des grandes entreprises dans le cas de stratégies de planification fiscale agressive) et les administrations fiscales visant à préciser l'interprétation ou l'application de la législation fiscale au contribuable concerné. Si les rescrits ne sont pas problématiques en soi et constituent même un outil efficace dans un contexte marqué par la complexification des législations fiscales, les travaux du Parlement européen ont révélé que ces accords peuvent être appliqués en dehors du cadre légal dans le but de réduire la charge fiscale qui est normalement due.

L'affaire des « Panama papers » a, pour sa part, mis en lumière l'opacité et la complexité de certains montages juridiques mis en place en exploitant les failles ou asymétries dans les législations fiscales existantes et permettant à des contribuables de s'exonérer de tout ou partie de leurs obligations fiscales.

En matière de planification fiscale agressive, l'ingéniosité de certains montages financiers est particulièrement problématique dans un contexte où les législations nationales n'évoluent pas assez rapidement pour en limiter le développement et les effets négatifs.

Ainsi, de manière générale, les différents scandales, ont mis en exergue :

– le manque de transparence problématique, tant du point de vue du public que de l'efficacité des contrôles effectués par les administrations fiscales ;

– les insuffisances de la coopération administrative en matière fiscale, en dépit du cadre juridique existant et du renforcement des obligations pesant sur les administrations fiscales au cours des dernières années ;

– le besoin d'une approche plus cohérente en la matière et de l'urgence à agir.

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