Intervention de Isabelle Bruneau

Réunion du 17 mai 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Bruneau, co-rapporteure :

Dans le contexte rappelé par M. Marc Laffineur, le paquet anti-évitement fiscal de la Commission européenne répond à trois objectifs principaux. Le premier objectif est d'établir un haut standard en matière de coopération administrative et de transparence. C'est là l'ambition des propositions de modification des directives existantes qui visent à instaurer un échange automatique et obligatoire de certaines informations relatives aux activités des entreprises (texte ayant fait l'objet d'un accord politique le 8 mars 2016) et une obligation de reporting public pour certaines entreprises (proposition législative du 12 avril 2016).

La révision de la directive « coopération administrative », proposée par la Commission européenne en janvier, vise à créer une obligation de reporting pays par pays dont les administrations fiscales sont les destinataires et à renforcer ainsi la transparence au service d'une meilleure coopération administrative. Ce texte a été rapidement adopté par le Conseil ECOFIN (le 8 mars 2016). Il ne présentait pas de difficulté particulière dans la mesure où il s'agissait d'étendre le champ des informations que les administrations fiscales doivent échanger de manière obligatoire et systématique et intervient après plusieurs extensions progressives du champ de la directive de 2011 qui établit le cadre de la coopération administrative. L'obligation de reporting pays par pays est un outil qui permettra d'orienter, le cas échéant, les contrôles fiscaux réalisés par les administrations nationales.

La proposition de modification de la directive comptable de 2013 propose, quant à elle, d'imposer à certaines grandes entreprises réalisant plus de 750 millions de chiffre d'affaires annuel au niveau consolidé, de rendre publiques un certain nombre d'informations concernant leurs activités en Europe et dans le monde. Si le principe d'une obligation de reporting public est relativement consensuel, les modalités pratiques font l'objet de vives discussions. Les propositions de la Commission européenne sont ainsi vivement contestées par le Parlement européen et certaines organisations représentant la société civile. Le seuil de 750 millions de chiffre d'affaires, qui est par ailleurs celui qu'a retenu l'OCDE dans son plan d'action anti-BEPS, permettrait, selon la Commission européenne, de viser au moins 5 000 multinationales opérant en Europe, dont 2 000 ont leur siège en Europe. Le Parlement européen estime, pour sa part, que ce seuil est trop élevé et se déclare favorable à un seuil de 40 millions de chiffre d'affaires annuel et un critère de 250 employés. Dans le cadre de nos travaux préparatoires, nous avons rencontré l'ONG OXFAM qui nous a indiqué soutenir les positions du Parlement européen en la matière puisqu'en réalité 80 % des entreprises ne seraient pas concernées par cette obligation.

Par ailleurs, la proposition de la Commission européenne retient une obligation de reporting ventilant les activités réalisées dans chacun des pays de l'Union européenne et une obligation de publication des données au niveau agrégé pour les opérations réalisées en dehors de l'Union européenne. Nous regrettons le « reporting à deux vitesses » qui résulte de ces obligations différenciées, dans un contexte où le besoin de normes internationales communes est plus que jamais nécessaire pour lutter contre l'optimisation et l'évasion fiscales. S'il convient de saluer le volontarisme dont font preuve les institutions européennes en la matière et qui feront de l'Europe un véritable pionner et modèle en matière de transparence, une démarche ambitieuse de promotion de ce nouveau standard à un niveau plus global nous semble devoir être menée.

Il conviendra de demeurer vigilant quant à l'évolution des discussions sur ce texte sur lequel le Parlement européen retrouvera d'ailleurs sa pleine capacité d'influence et de codécision dans le cadre de la procédure législative ordinaire.

Le deuxième objectif est de donner aux États membres des outils juridiques communs pour protéger leurs bases fiscales. Le coeur du paquet fiscal réside sans doute dans la proposition de directive visant à lutter contre l'évasion fiscale, qui sera examinée en Conseil ECOFIN d'ici la fin du mois de mai. Cette directive comprend six dispositifs, dont trois reprennent les préconisations de l'OCDE dans son paquet anti-BEPS et en assurent la transposition en droit de l'Union européenne. Il s'agit :

– d'instaurer un ratio de déductibilité du montant des intérêts visant à limiter les pratiques consistant pour les groupes à jouer sur les flux financiers intragroupes entre des filiales, localisées dans des pays à faible imposition, et la société mère, souvent implantée dans un pays à plus forte imposition, pour réduire artificiellement le montant global de la charge d'imposition du groupe ;

– d'améliorer le traitement des dispositifs hybrides qui résultent des différences données à un même instrument de paiement ou à une même entité par les systèmes fiscaux nationaux et qui aboutissent souvent à des situations de double déduction d'impôts ou de double non-imposition. La Commission européenne prévoit ainsi d'introduire une sorte de clause de reconnaissance mutuelle dans laquelle la qualification juridique du paiement ou de l'entité dans le pays d'origine et le traitement fiscal y afférent devront être reconnus par l'autre État membre ;

– de renforcer les règles applicables aux sociétés étrangères contrôlées (SEC). La pratique de planification fiscale incriminée consiste, pour une entreprise-mère, à déplacer une partie de ses profits vers une filiale située dans un pays à plus faible fiscalité. La Commission européenne propose de modifier les règles existantes en matière de SEC afin que les États membres puissent imposer les bénéfices transférés vers des SEC dans des juridictions à plus faible imposition dès lors que ceux-ci seront soumis à un taux d'imposition effectif inférieur à 40 % du leur. Cela nécessite également de définir un pays à faible fiscalité et cela sera sans doute une question délicate compte tenu des différences qui existent entre les États membres.

La proposition de directive comporte également trois dispositifs d'inspiration européenne, notamment repris du projet d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) et qui sont moins consensuels. Il semblerait, en effet, que l'avenir de ces trois dispositions ne soit pas certain, étant donné que certains États membres ont publiquement indiqué être défavorables à leur insertion dans la directive. Il s'agit des éléments suivants :

– l'introduction d'une clause de switch-over établissant un seuil en-deçà duquel les revenus seront considérés comme n'ayant pas été « suffisamment » imposés et feront, par conséquent, l'objet d'une taxation au sein de l'Union européenne. Le texte proposé par la Commission européenne retient ainsi un seuil de 40 % par rapport au taux légal d'imposition du pays d'origine ;

– l'imposition à la sortie qui permet de taxer les plus-values, même latentes, réalisées dans un État membre, avant que celles-ci n'en quittent le territoire ;

– la clause anti-abus générale qui est un moyen de lutter contre des pratiques fiscales abusives qui n'ont pas encore fait l'objet de réglementations spécifiques.

Le troisième objectif vise à élaborer une stratégie unique et cohérente vis-à-vis des États tiers. La philosophie de la Commission européenne sur ce point se résume de la façon suivante : « Une stratégie extérieure commune pour une fiscalité efficace doit reposer sur des critères de bonne gouvernance fiscale bien définis, cohérents et internationalement reconnus et qui sont appliqués de manière cohérente à l'égard des pays tiers ». C'est la raison pour laquelle la Commission européenne propose de réexaminer, pour les mettre à jour, les critères de bonne gouvernance en matière fiscale devenus, à certains égards, obsolètes et qui ne font pas l'objet d'une application uniforme de la part des États membres.

L'action de l'Union européenne vis-à-vis des pays tiers s'articule avec les objectifs de la politique de développement et vise à fournir aux pays qui en ont besoin une assistance particulière dans la sécurisation de leurs bases fiscales nationales.

Enfin, la Commission européenne a annoncé la création d'une liste européenne des juridictions fiscales non coopératives qui permettrait à l'Union européenne de parler d'une seule et même voix à l'égard des pays tiers. L'élaboration d'une telle liste, annoncée d'ici six mois, est indispensable pour assurer la cohérence de la lutte contre l'évasion et l'optimisation fiscales menée par l'Union européenne et nécessitera que des sanctions fermes et appropriées soient déterminées et ensuite appliquées vis-à-vis des juridictions non coopératives.

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