Intervention de Rémy Rioux

Réunion du 18 mai 2016 à 9h15
Commission des affaires étrangères

Rémy Rioux :

Madame la présidente, madame et messieurs les vice-présidents, mesdames et messieurs les députés, je suis très honoré de me présenter aujourd'hui devant vous pour exprimer la vision et le projet que je porte pour l'Agence française de développement.

Mon projet est simple : je veux une agence plus grande, plus partenariale, plus agile et plus innovante.

Pourquoi bâtir une AFD plus grande ?

D'abord, la situation économique, sociale et financière internationale l'exige. Les prochaines années s'annoncent très tendues. Le PIB nominal mondial s'est contracté de 6 % l'année dernière. À cause du climat, 100 millions de personnes pourraient rebasculer en dessous du seuil de pauvreté d'ici à 2030. Le taux de chômage dépasse 20 % dans les quatre départements français d'outre-mer. Les questions de sécurité et de migration doivent être traitées en profondeur, avec force et humanité.

Il y a ensuite urgence, effectivement, Madame la présidente, à agir dans certaines zones décisives, celles où se fera demain la différence. Je pense bien sûr à l'Afrique, et en particulier au Sahel, je pense au Proche-Orient, prioritaire, je pense aussi à l'Asie où la transition écologique est absolument impérative.

Les institutions de développement, et l'AFD en particulier, auront un rôle majeur à jouer. Elles luttent pour les biens communs et contre les inégalités économiques et sociales, ainsi que les inégalités entre les hommes et les femmes. Elles sont attentives à la quantité, mais aussi à la qualité des financements. Je constate d'ailleurs que ces institutions se renforcent partout dans le monde, à mesure que l'aide au développement repart à la hausse. J'ai constaté lors de la COP 21 la demande extrêmement forte de nos partenaires d'une hausse et d'un accès plus aisé aux financements promis par la communauté internationale, et d'une mise en oeuvre beaucoup plus rapide des projets.

Disposer d'un outil plus puissant, c'est aussi le mandat qui a été fixé par les pouvoirs publics. C'est le sens de votre loi d'orientation du 7 juillet 2014, qui a fixé le cadre stratégique de l'Agence. C'était aussi le sens de vos débats – animés – l'automne dernier, lors de la discussion de la loi de finances.

C'est aussi la réponse qu'a donnée le Président de la République à l'espoir qui est né à Addis-Abeba, à New-York puis à Paris, en décidant de relancer notre politique de développement et de lutte contre le changement climatique, et de la renouveler en rapprochant l'Agence française de Développement et la Caisse des Dépôts et Consignations. Je tiens aussi à souligner la grande ambition du Gouvernement pour les outre-mer, qui s'exprimera prochainement dans un projet de loi.

Des décisions financières et budgétaires importantes seront bientôt soumises à votre vote, à partir de cet automne, pour transformer l'AFD. Je pense au doublement de ses fonds propres dès la fin de cette année, au changement de son statut prudentiel ainsi qu'aux perspectives budgétaires jusqu'en 2020 : près de 400 millions de dons supplémentaires, selon le Gouvernement, et sans doute un doublement des crédits de bonification des prêts – en commençant, je l'espère, par une marge significative dès le budget pour 2017.

Ces ressources en dons bilatéraux sont indispensables pour faire plus au Sahel, dans les pays les moins avancés, dans les pays en crise, pour l'adaptation au changement climatique et pour la préparation des projets. Il faudra résister à notre tropisme multilatéral.

Ces décisions permettront à l'AFD de tenir les engagements de la France : 4 milliards d'euros supplémentaires, dont 2 milliards pour le climat et un pour l'adaptation en 2020 ; 20 milliards d'euros en Afrique de 2014 à 2018, dont 2 milliards pour les énergies renouvelables. Je pense aussi à nos engagements outre-mer, qui seront certainement revus à la hausse à la faveur de cette réforme.

C'est un très grand défi, enthousiasmant pour l'AFD, qui va pouvoir se saisir des objectifs du développement durable en bâtissant sur ses points forts : envisager des géographies nouvelles d'intervention et pousser ses analyses et actions jusqu'aux territoires infra-étatiques, parfois les plus pertinents ; imaginer de nouveaux métiers, notamment à la faveur du transfert de la compétence « gouvernance » ; inventer de nouveaux instruments, une facilité pour les pays en crise, plus de fonds propres et plus de garanties. L'objectif est d'avoir les instruments de notre politique et de ne pas faire la politique de nos instruments.

Au total, il s'agit pour l'AFD de redéfinir son cadre stratégique, de retrouver tout le sens de son action, et de changer de rythme. L'Agence a accru son activité de 15 % dans les États étrangers depuis cinq ans. Elle devra croître de 50 % dans les cinq prochaines années et même de 70 % pour ses activités liées au climat, et faire plus et mieux pour les outre-mer.

Deuxième axe : une AFD plus partenariale.

Je veux ici saluer bien sûr le chemin parcouru par l'Agence depuis quinze ans. Sous l'impulsion d'Antoine Pouillieute, de Jean-Michel Severino, de Dov Zerah puis d'Anne Paugam, et grâce au travail de toutes ses équipes, souvent dans des conditions d'intervention difficiles, l'Agence s'est hissée dans la cour des grands. Pas de crainte : elle va y rester.

Elle peut, à présent, approfondir d'autres partenariats en se tournant vers la France. Je veux que l'AFD devienne une ruche, le lieu de cohérence de la coopération française et de l'impulsion d'actions et de réflexions en matière de développement. Pour y parvenir, elle doit accueillir tous ceux qui se tournent vers elle. Ce n'est pas seulement une question d'attitude, c'est la condition même de son succès, car nous ne ferons pas 4 milliards d'euros de financements supplémentaires par an tout seuls.

Il faut inverser la logique actuelle. La question n'est pas seulement de bénéficier des financements de l'AFD. L'enjeu est de faire émerger ensemble un nombre beaucoup plus élevé de projets de qualité. J'ai envie de dire aux partenaires de l'Agence : ne vous demandez pas seulement ce que l'AFD peut faire pour vous, demandons-nous ce que nous pouvons faire ensemble pour le développement. La préservation des biens communs mondiaux, le climat, la biodiversité, la santé, la sécurité supposent la réunion de tous. Il faut donc aller plus loin dans la mobilisation des acteurs français.

Quand ils se tournent vers elle, les clients de l'AFD cherchent un accès aux ressources de notre pays, qui ne sont pas que financières. Inversement, toutes les institutions françaises savent désormais que leur projet ne peut se limiter à l'hexagone. Les ONG et les entreprises le savent depuis très longtemps. Les institutions publiques y viennent également progressivement. L'AFD doit susciter et accompagner ces ambitions et les mettre au service du développement.

Bien sûr, Madame la présidente, je pense d'abord à la Caisse des Dépôts et Consignations, qui va se rapprocher de l'AFD, et qui sera son sésame vers nos territoires. J'étais venu vous en parler en janvier dernier.

Nous restons totalement mobilisés avec la direction générale de la Caisse des Dépôts pour avancer sur les projets communs identifiés dans mon rapport de préfiguration. Une convention viendra cet automne encadrer ces projets. Elle traitera des convergences stratégiques entre l'AFD et la CDC. Elle explorera et fixera les projets communs. Elle définira les modalités de mobilité du personnel et le travail en commun des réseaux. Je ne doute pas que vous m'interrogerez plus avant sur ce point.

Je pense aussi aux partenariats avec les collectivités locales, en particulier aux nouvelles régions et métropoles, pour lesquelles il faut un point d'appui beaucoup plus fort au sein de l'AFD et qu'il faudrait intégrer dans la gouvernance de l'Agence.

Je pense aux ONG, dans le cadre du doublement des ressources qui transitent par elles. Là aussi, il faut dépasser la logique du simple guichet et construire ensemble davantage de projets.

Je pense aux entreprises. Il ne faut pas dire non à une entreprise qui porte avec un partenaire local un projet positif pour le développement. Nous allons notamment bâtir un grand dessein autour de Proparco, dont nous fêterons le quarantième anniversaire l'année prochaine, pour que les entreprises soient encore plus des acteurs du développement. De nouveaux instruments bilatéraux seront ici nécessaires.

Je pense aussi aux autres institutions publiques : les hôpitaux, les universités, les agences de l'eau, les autres opérateurs, qu'il faut aller chercher et aider à se projeter plus encore.

Et puis, il faut plus d'Europe et plus de collaboration avec le reste du monde. Je serai bref ici. Je suis frappé par l'intérêt de nos amis allemands pour l'Afrique. Avons-nous pris toute la mesure du fait que l'APD, en volume, de l'Allemagne est aujourd'hui le double de l'APD française ? Nos collègues italiens affichent aussi de belles ambitions. Nous devons travailler avec eux. La Commission européenne est essentielle, ainsi que la Banque européenne d'investissement (BEI), avec lesquelles on peut encore progresser.

Je pense aussi au travail avec les multilatéraux, les autres bilatéraux, les candidats à des partenariats avec la France dans des pays tiers, en particulier la Chine. Je pense à la coopération de nos outre-mer avec leurs voisins. Je crois à la francophonie.

Enfin, troisième axe : je veux rendre l'AFD plus agile et plus innovante.

Là aussi, nous aurons à tirer les conséquences de la nouvelle ambition de notre politique de développement. Passer de 8 à 12 milliards d'euros de financement annuels sans sacrifier la qualité des interventions appelle quatre évolutions.

Il faut investir maintenant dans l'AFD. Nous passons d'un projet de stabilisation de l'Agence, qui a conduit à dégager depuis six ans des gains de productivité significatifs, à un projet de croissance. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a plus de réforme interne à conduire.

Le chantier des ressources humaines est prioritaire, et je sais qu'un programme de recrutement a déjà été lancé. Ces renforts sont indispensables pour compléter les compétences de l'Agence, renforcer son réseau et susciter plus de projets.

Je ne siège plus dans les instances de l'Agence depuis 2012, mais j'ai l'impression que la lourdeur des procédures s'est nettement accrue, et que de nombreux personnels ont le sentiment d'y perdre le sens de leur action. Nous devrions revoir tout cela et introduire un principe de différenciation selon les géographies, y compris l'outre-mer, selon les secteurs et les types de projets, de façon à aller plus vite et à réallouer les capacités humaines là où elles ont le plus d'impact, de façon à toujours innover.

L'AFD a toujours été une force d'innovation pour le développement, qu'il s'agisse de l'appui au secteur privé, du financement des collectivités locales ou de la lutte contre le changement climatique.

Quelles sont aujourd'hui les nouvelles frontières où placer l'Agence ? L'adaptation au changement climatique, sans doute, la sécurité et le développement, assurément, la jeunesse et le numérique pour les plus pauvres.

Et quelles sont les structures qui permettront de faire éclore cette R&D pour les pays qui n'en ont pas ? Je fonde ici de grands espoirs sur le rapprochement avec BPI France, qui est la clef d'entrée pour la « French Tech », ainsi que sur le partenariat avec l'Institut de recherche pour le développement (IRD), et davantage qu'auparavant sur les acteurs du Sud.

Enfin, je crois qu'il faudrait diriger et gouverner l'Agence autrement. C'est un chantier complexe et il faudra le temps de l'objectiver. Car une agence de 12 milliards d'euros par an ne peut pas être dirigée et gouvernée comme une agence de 8 milliards par an.

Certains s'interrogent, je crois, en particulier vos représentants au conseil d'administration, sur l'encombrement des instances, sur leur composition et sur la nécessité de débats plus stratégiques. Il faut retrouver plus de rapidité et de verticalité dans l'action de l'Agence.

Évidemment, cette transformation de l'AFD supposera beaucoup de dialogue social, de médiation et une très grande attention à la qualité de vie au travail pour les personnels de l'Agence, dont nous connaissons le professionnalisme et l'engagement. Si vous me faites confiance, j'en serai personnellement le garant.

Mesdames et Messieurs les députés, un comité interministériel, un contrat d'objectifs et de moyens et d'autres documents viendront exprimer à l'automne ce nouveau projet et les moyens pour le mettre en oeuvre. Il faudra fixer des priorités et programmer la montée en puissance. Si vous m'accordez votre confiance, vous pouvez compter sur moi pour associer pleinement le Parlement à leur élaboration via vos représentants au conseil d'administration de l'agence, que je salue, et plus largement par nos échanges que je souhaiterais aussi rapides, réguliers, informels et fréquents que possible, à Paris comme à l'étranger.

Mon expérience des questions de développement et de climat, ma passion pour l'Afrique, ma connaissance des institutions et des entreprises françaises me semblent correspondre au projet que je viens d'évoquer pour l'AFD. Et je sais aussi l'histoire lumineuse de cette grande maison de la République, qui fêtera bientôt le soixante-quinzième anniversaire de sa création, à Londres, par Pierre Denis et André Postel-Vinay, dans le bureau voisin de celui du général de Gaulle. Je suis fier des valeurs qu'elle porte.

Vous me permettrez, Madame la présidente, pour conclure, une remarque de nature encore plus politique : ma conviction est que l'Agence française de développement peut et doit devenir un lieu essentiel pour parler du monde à nos compatriotes, sans fard et toujours avec générosité, leur dire simplement, sans jargon, que ce qui se passe là-bas nous concerne ici, et inversement, et lutter ainsi contre le repli. Depuis quinze ans et la réforme de notre dispositif de coopération, c'est une préoccupation de l'Agence. Il faut en faire l'une de ses missions, en lien étroit avec la représentation nationale dont c'est le rôle.

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