Intervention de Jean-Paul Bacquet

Réunion du 18 mai 2016 à 9h15
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Bacquet, rapporteur :

Le texte dont nous sommes aujourd'hui saisis, la convention du Conseil de l'Europe sur « la contrefaçon des produits médicaux et les infractions similaires menaçant la santé publique », dite « convention Médicrime », a été signé à Moscou le 28 octobre 2011.

Fruit d'une initiative française, c'est le premier instrument international dans le domaine du droit pénal dont l'objectif est de prévenir et combattre spécifiquement la menace des trafics de faux médicaments.

Comme le rappelle l'exposé des motifs du présent projet de loi, le texte fait obligation aux États Parties d'ériger en infraction pénale :

– la fabrication, la fourniture, l'offre de fourniture et le trafic de produits médicaux contrefaits ;

– la fabrication ou la fourniture non autorisée de produits médicaux ainsi que la falsification de documents ;

– la mise sur le marché de dispositifs médicaux ne remplissant pas les exigences de conformité.

Cette convention offre en outre un cadre de coopération nationale et internationale pour lutter contre ce type de trafic.

En tant que médecin, mais surtout en tant que parlementaire, je m'étonne et je déplore que compte tenu de l'ampleur du problème et des graves enjeux de santé publique qu'il soulève, aucun texte n'ait été adopté plus tôt.

Avec 700 000 morts par an, et 200 milliards de chiffre d'affaires, le phénomène est loin d'être périphérique. J'ai tenu à recevoir l'Académie de Médecine qui confirme dans un rapport publié en 2015 sur le sujet, l'expansion du problème. Le trafic de médicaments falsifiés est particulièrement lucratif. Le profit tiré du trafic d'héroïne est égal à 20 000 euros pour 1000 euros « investis » : ce rapport est de 300 000 pour 1000 pour les trafics de médicaments. En outre, contrairement aux trafics de drogue ou même d'êtres humains, il est peu risqué, les peines applicables étant en général moins lourdes, lorsqu'elles existent. De plus, les trafics sont facilités par la distribution de masse de médicaments par internet.

Fort logiquement, depuis quelques années, le phénomène est en expansion et atteint des proportions inquiétantes : on s'accorde à considérer que le trafic de médicaments concerne aujourd'hui près de 10 % du commerce mondial de médicaments

Selon le Conseil de l'Europe, les dernières estimations indiquent que les ventes mondiales de médicaments contrefaits, après avoir doublé seulement en cinq ans, entre 2005 et 2010, représenteraient plus de 70 milliards d'euros par an. La perte de revenus due aux produits contrefaits est d'environ 250 milliards de dollars par an. De nombreuses études relèvent également la présence d'un grand nombre de sites Internet vendant des produits médicaux soumis à prescription sans exiger d'ordonnances et on estime que sur internet 50% des médicaments en vente libre sont faux. On évoque des taux de 20 à 30 % du marché pour l'Afrique sub-saharienne et l'Asie du sud-est. Ils sont encore plus élevés dans les zones de conflit (RCA, frontière pakistano-afghane, Somalie, Érythrée) et largement utilisés par des organisations criminelles qui se livrent à d'autres formes de trafics, que ce soit de stupéfiants ou d'êtres humains. Les pays développés, longtemps à l'abri et peu sensibles à ce risque, ne sont plus épargnés. La France, comme le souligne l'étude d'impact, à travers les réseaux classiques de distribution, apparaît relativement épargnée pour l'instant grâce à une réglementation très stricte et protectrice. Mais elle n'échappe pas au développement des ventes illicites de médicaments via internet, où l'on estime que non moins de 50 % des médicaments en vente libre sont falsifiés.

Non seulement « les médicaments falsifiés entraînent un préjudice grave pour les malades qui ne peuvent pas bénéficier d'un traitement efficace. » , mais ce type de trafics érode les marchés pour les producteurs légitimes, porte atteinte à la réputation des marques, entraîne des distorsions dans la concurrence, pénalise l'emploi et réduit les recettes fiscales.

L'adoption de la convention Medicrime n'est pas la première tentative pour élaborer un instrument efficace de lutte contre les trafics de médicaments falsifiés. Mais la question a été précédemment traitée davantage sous l'angle de la protection des droits de la propriété industrielle, que de la mise en danger de la santé. Surtout, les tentatives de régler la question au sein de l'OMS se sont soldées par un échec. La question est en réalité très sensible politiquement, et la discussion difficile, notamment avec les grands émergents qui s'érigent eux aussi en grande puissances pharmaceutiques en devenir. Comme l'a rappelé l'ambassadrice Michèle Ramis à votre rapporteur, la Chine, où faut-il le souligner sont fabriqués 80 % des principes actifs de médicaments du monde, et l'Inde, grand producteur de génériques, refusent pour l'heure toute forme d'encadrement de la contrefaçon des médicaments.

Face à l'urgence de l'adoption d'un instrument international efficace et aux blocages à l'OMS, la France a fait le choix de promouvoir un texte au sein du Conseil de l'Europe.

Ce texte marque des avancées notables. Au plan symbolique, il présente le mérite d'avoir isolé et nommé le phénomène : la ratification de ce texte par la France est donc un signe politique fort, notamment en direction des pays en développement, de la volonté de se doter d'instruments de lutte efficaces contre les trafics de faux médicaments. Par ailleurs, premier texte international dans le domaine du droit pénal traitant de cette question, il vient combler un vide juridique en fournissant des instruments solides aux États Parties pour lutter contre ce type de trafics. La Convention Medicrime impose aux Parties d'ériger en infractions pénales, la fabrication intentionnelle, détail important car le caractère intentionnel est parfois difficile à prouver, de produits médicaux, de substances actives, excipients, éléments matériaux et accessoires contrefaits. La fourniture ou l'offre de fourniture, y compris le courtage, le trafic, y compris le stockage, l'importation et l'exportation de produits médicaux, substances actives, excipients, éléments, matériaux ou accessoires contrefaits sont également couverts. Le rapport présente dans le détail la proportionnalité des peines prévue à cet effet.

Cette convention offre en outre un cadre de coopération nationale et internationale pour lutter contre ce type de trafic, et prévoit des mesures de coordination nationale, des mesures préventives à destination des secteurs publics et privés, et des mesures de protection des victimes et des témoins.

Mais le texte comporte aussi des faiblesses. Il se cantonne pour l'heure aux Etats membres du Conseil de l'Europe – bien que la possibilité pour les Etats-tiers de le signer montre qu'il a vocation à l'universalisation. Par ailleurs, la définition même de la contrefaçon de médicaments ne fait pas véritablement l'objet d'un consensus au niveau international ¬– l'Académie estime préférable de parler de faux médicaments ou médicaments falsifiés. La convention permet également des réserves, inscrites au coeur du texte, ce qui en amoindrit la portée et le volet « entraide judiciaire internationale » aurait pu être renforcé, car ce phénomène est transnational par définition et les magistrats doivent avoir les moyens d'enquêter.

Enfin, le texte prévoit la création d'un organe de suivi chargé de superviser la mise en oeuvre de la convention par les Etats parties. Je l'ai rappelé à notre ambassadrice chargée des menaces criminelles transnationales, la France ne devra pas ménager ses efforts pour assurer l'application effective de ce texte, afin que ses dispositions ne demeurent pas des « voeux pieux ». La qualité du circuit pharmaceutique est par exemple un point crucial sur lequel la France a une expertise à faire valoir. Il faut aussi agir sur la demande et pour cela alerter l'opinion publique et sensibiliser les professionnels de santé. La France pourrait coopérer sur ce sujet avec les pays en développement, particulièrement en Asie et en Afrique, où le phénomène est très répandu.

En réalité, l'idéal serait de se doter, à l'OMS, d'un instrument universel de lutte contre les trafics de faux médicaments. Mais les blocages actuels, notamment du côté de quelques grands émergents comme la Chine ou l'Inde, ne permettent pas d'espérer à court terme l'adoption d'un tel texte. Il est donc préférable d'adopter une démarche progressive.

Dans cette perspective, la convention Medicrime peut être un outil précieux pour convaincre certains pays émergents et d'autres pays en développement de la pertinence de la lutte contre les trafics de médicaments falsifiés. Comme le soulignait M. Leroy, directeur de l'Institut international de recherche anti-contrefaçon de médicaments, consulté sur ce rapport, la convention est un outil de première importance, notamment du fait de l'homogénéisation des infractions, mais il faudrait une convention au niveau des Nations unies. La France pourrait en ce sens porter ce sujet lors de la prochaine réunion du G7, et à plus long terme, du G20.

Sous réserve de ces remarques, j'émets un avis favorable à l'adoption du présent projet de loi.

Je vous remercie.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion