Intervention de Antoine Durrleman

Réunion du 3 mai 2016 à 16h15
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes :

Le rapport que nous vous présentons aujourd'hui contraste fortement avec un rapport de 2012, consacré à l'échec du dossier médical personnel (DMP) : nous avions constaté des dépenses considérables pour un résultat nul. Dans le cas présent, nous constatons que des dépenses modérées ont permis de créer une base de données réussie, malgré certaines limites, qui constitue un progrès majeur situant notre pays au premier rang.

Cette base de données d'une richesse et d'une finesse considérables s'est créée à la façon d'une cathédrale gothique, mais sans plan préétabli ou vision prédéterminée, avec beaucoup de pragmatisme, un solide bon sens et beaucoup d'opiniâtreté. En dix ans s'est construit un édifice composite dans lequel chaque partie est venue compléter et renforcer la solidité du tout.

La force de cette base est d'abord d'être un produit dérivé. Elle n'a pas été conçue à partir de rien : c'est un sous-produit du dispositif de liquidation des prestations d'assurance maladie. Le dispositif de feuilles de soins électroniques, mis en place au tournant des années 1995 avec la carte Sésame-Vitale et pensé pour améliorer les délais de remboursement des assurés, s'est révélé à même de nourrir un entrepôt de données d'une importance majeure.

Le dispositif s'est développé de manière très progressive. Dès 1997-1998, la Cour des comptes avait souligné dans son rapport sur la Sécurité sociale la richesse des bases de données partielles qui existaient alors, mais aussi leurs limites. La Cour avait également affirmé l'intérêt de construire des bases de données interrégimes, que l'ensemble des régimes d'assurance maladie viendraient alimenter.

Sur ce fondement, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 a prévu la mise en place d'un système national interrégimes d'assurance maladie – le SNIIRAM –, alimenté obligatoirement par l'ensemble des régimes d'assurance maladie. Ce système, véritable révolution copernicienne, s'est mis en place progressivement. Il a fallu trois ans pour qu'il commence à se constituer, et presque cinq ans pour qu'il entre réellement en fonction. Mais la décision du législateur a été déterminante pour permettre de franchir un certain nombre de barrières et d'obstacles.

Le système s'est peu à peu perfectionné dans plusieurs directions. Tout d'abord, la qualité des données s'est améliorée au fil du temps, même si des marges de progrès demeurent. Mais l'élément de progrès sans doute le plus important est le chaînage de l'entrepôt de données initial avec les données hospitalières issues du PMSI. Avec beaucoup d'intelligence, il a été décidé de ne pas fusionner les bases, ce qui aurait créé de sérieuses difficultés et abouti à un échec. Une solution pragmatique a été retenue, celle du chaînage, c'est-à-dire l'appariement des données à partir du numéro d'identification personnel. Cette étape, intervenue en 2009-2010, a été absolument déterminante. Elle a permis d'enrichir l'entrepôt de données et de donner une profondeur au parcours de soins des personnes, en ville et à l'hôpital. La finesse des données hospitalières, qui donnent des indications sur la pathologie traitée à l'hôpital, a permis de médicaliser davantage des données qui étaient auparavant administratives et de fournir des éclairages complémentaires sur les parcours de soins.

Cette construction a donc été très pragmatique et volontariste. À chaque étape s'est manifesté le souci d'enrichir la base, de l'incrémenter et de la structurer. Une base peut être d'une richesse exceptionnelle, mais il est essentiel qu'elle soit à même de délivrer des services opérationnels à ses utilisateurs. À partir de 2005, un échantillon général des bénéficiaires au 197e, soit 600 000 personnes, a été extrait de la base globale qui regroupe la totalité des épisodes de soins de la totalité de la population française. Puis, des bases de données thématiques ont été progressivement mises en place. À partir d'un entrepôt de données d'une dimension considérable, comme il en existe peu dans le monde, un ensemble d'extractions particulières a été défini afin d'offrir une solution appropriée aux différentes utilisations souhaitables.

Cette dynamique s'est développée de manière très empirique, car il n'y a pas eu de véritable pilotage stratégique. Au fond, pour paraphraser Victor Hugo, le SNIIRAM a été une « force qui va ». Si cette base de données n'a pas été véritablement pilotée, il n'y a pas eu pour autant d'errance dans la manière dont elle s'est développée. L'État est resté en retrait ; le comité de pilotage, qui devait exercer une fonction stratégique, ne l'a pas fait ; les différentes institutions créées autour du SNIIRAM ont été plus concurrentes que complémentaires – les responsabilités des unes ont empiété sur les responsabilités des autres. Mais grâce à la qualité des personnes qui ont piloté le dispositif, le SNIIRAM s'est construit, s'est amélioré et s'est enrichi tout au long des années. Quelques personnes, à la direction de la Sécurité sociale ou à la CNAM, ont eu la ténacité et la vision nécessaires, plus que les administrations. Nous devons constater que ce processus a réussi, quelles que soient les limites que l'on peut aujourd'hui constater.

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