Intervention de Corinne Erhel

Séance en hémicycle du 24 mai 2016 à 15h00
Statut des magistrats et conseil supérieur de la magistrature - modernisation de la justice du xxie siècle

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCorinne Erhel :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification, mes chers collègues, ce débat fait notamment suite aux travaux que nous avons menés ces derniers mois, avec Michel Piron, pour le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques.

Le sujet est important et méritait que l’on s’y attarde, puisque l’État est concerné au premier chef par la transformation numérique, dont il est évidemment un facteur-clé. Je suis en effet convaincue que le numérique constitue une formidable opportunité de moderniser l’État, et donc de le renforcer. Pendant trop longtemps, l’informatisation des services de l’État a été perçue uniquement comme un moyen de réaliser d’importantes économies, via une rationalisation des procédures et une réduction de ce que certains appellent la « machine administrative ».

Je pense au contraire que la réforme de l’État, à l’ère du numérique, doit être guidée avant tout par la volonté d’améliorer la qualité du service public et de garantir l’égalité des citoyens. Saluons à ce titre l’ambition dont font preuve le Gouvernement et la majorité depuis 2012, qui permet à la France, traditionnellement à l’initiative sur les questions numériques, d’être également en pointe en matière d’accompagnement de la transformation numérique de l’État. La France investit en effet dans les chantiers de l’open data, des services en ligne et de la dématérialisation. Cela étant, l’État demeure encore trop souvent pris dans des silos administratifs, qui l’empêchent d’agir avec agilité et de muer pleinement vers un fonctionnement 2.0, voire 3.0.

Les efforts de la majorité pour engager et accélérer la conversion numérique du pays, dont le projet de loi pour une République numérique est une nouvelle expression, ont d’ores et déjà porté leurs fruits, comme en témoigne, par exemple, le classement de la France au quatrième rang mondial en matière d’e-gouvernement par l’ONU en 2014.

Le constat est donc positif, mais il importe maintenant d’accélérer. C’est la raison pour laquelle le rapport que nous avons réalisé avec Michel Piron entendait avant tout dégager ce que nous avons appelé les « neuf conditions de la réussite », afin de faire de la transformation numérique un vrai levier de progrès, d’efficacité et d’amélioration de la relation entre État, l’usager – citoyen ou entreprise – et les associations ou les collectivités locales et territoriales.

Sans détailler toutes les dispositions présentées au comité d’évaluation et de contrôle le 4 mai dernier, je souhaite me concentrer sur trois chantiers absolument cruciaux à mes yeux : premièrement, il importe de faire de la numérisation un vrai « plus » pour le service public ; deuxièmement, il convient de reconnaître un droit au tâtonnement ou à l’erreur et d’encourager l’initiative ; troisièmement, il est nécessaire de mieux anticiper et de programmer les ressources humaines.

Il convient donc, premièrement, de faire de la numérisation un vrai « plus » pour l’amélioration de l’efficience administrative et du service rendu aux usagers. Alors que les bouleversements induits par le numérique appellent un renforcement de la place de l’État, aux côtés des citoyens et des entreprises, la conversion numérique de l’État n’a pas pour but de réduire sa place dans la société, mais bien au contraire de la conforter en lui permettant de retrouver efficacité et légitimité. En somme, il ne s’agit pas d’aboutir à un « moins d’État », mais plutôt de contribuer à un « mieux d’État ».

La numérisation et la dématérialisation des relations entre les administrations, les citoyens et les entreprises se poursuivront au bénéfice d’une amélioration des services fournis. Dans ce processus, le travail en amont, avec les usagers eux-mêmes, sera un élément-clé. La conception des téléprocédures devrait être réalisée avec leur concours : elle bénéficierait ainsi de leur expérience d’usager, indispensable à l’adoption de ces nouveaux outils par le plus grand nombre. Impulsons du bottom-up : c’est un élément incontournable pour favoriser le développement des usages.

D’autre part, parce que je suis une fervente adepte de la numérisation, il me paraît essentiel de porter une attention particulière aux populations encore éloignées du numérique, ou qui n’ont pas la possibilité d’avoir des rapports dématérialisés avec la puissance publique. Que ce soit en raison de leur âge, de leur manque d’appétence ou d’habitude, en raison d’un choix personnel ou d’un manque de ressources financières, il faut à tout prix éviter leur marginalisation. Les réticences et appréhensions autour de la dématérialisation automatique de la feuille d’impôt, pour citer un exemple récent, doivent nous conduire à nous interroger plus avant sur cette question.

Ainsi, les politiques publiques de dématérialisation, tant des documents que du lien, ne pourront être pertinentes que si nous menons, en parallèle, un chantier d’envergure sur la médiation numérique et l’accès de tous aux services.

Il me paraît essentiel, et c’est mon second point, d’admettre, en phase de conception, le tâtonnement et le droit à l’erreur. Il faut par ailleurs, car c’est une autre clé de la réussite, encourager l’initiative et l’expérimentation locales. Encore tabou il y a quelques années, le droit à l’erreur durant la phase de conception est au coeur de la réussite de ces nouveaux modèles. Si l’État n’est pas le seul concerné, il est sans doute l’un des acteurs dont on attend le plus d’exemplarité en la matière. Mais il est temps de changer de mentalité car, pour être prescripteur, l’État doit également être disrupteur et innovant, ce qui implique qu’il puisse parfois se tromper.

Dans cette même logique, et pour faire bouger les lignes, pour explorer des pistes nouvelles, sortons de la logique top down classique et laissons de la place aux initiatives locales. À l’ère du numérique, abordons les sujets sous un regard nouveau, en cassant les silos, l’approche verticale et les logiques pyramidales, qui ne sont pas toujours pertinentes. Cette approche aura en plus le mérite de laisser la part belle aux agents, acteurs centraux du déploiement des dispositifs locaux, qui seront des rouages essentiels de la transformation en cours.

J’en arrive donc à mon troisième point, la nécessité de programmer les ressources humaines et techniques. J’insisterai sur l’humain, même si l’anticipation et l’investissement techniques sont bien évidemment des éléments clés. En effet, bâtir un État numérique n’est pas une tâche aisée, tant il s’agit de faire évoluer des représentations souvent solidement ancrées. Pour réussir, il faut s’appuyer sur une pédagogie claire au sein de l’État, d’autant plus que la modernisation de l’État amène à déployer de nouvelles méthodes de conduite des politiques publiques.

Il est donc nécessaire non seulement d’investir de façon significative mais aussi d’associer pleinement les acteurs à cette transition, tant les personnels que l’ensemble des acteurs publics intervenant dans la définition des politiques publiques, au premier rang desquels les collectivités territoriales. Premiers concernés, tant comme employés que comme relais de terrain auprès des citoyens-usagers, les agents publics auront un rôle central dans la réussite de ce processus. Il est de notre responsabilité de leur porter une attention particulière. Il faudra donc former, accompagner, valoriser les initiatives. Sans une conduite du changement efficace, bien pensée, bien appliquée et à laquelle tous sont associés, nous courrons à l’échec.

On l’aura compris, sur ce sujet complexe, l’impulsion et le volontarisme politique sont fondamentaux. Je tiens donc à profiter de cette occasion pour saluer l’engagement successif de Thierry Mandon, d’Axelle Lemaire, de Clotilde Valter et désormais de vous-même, monsieur le secrétaire d’État, pour faire de la transformation numérique de l’État une réalité. Quelques questions subsistent : comment accélérer ? Comment faire la part belle à l’audace et à l’innovation, pour rendre nos services publics plus proches et toujours plus efficaces pour le citoyen ? Nous appelons de nos voeux depuis plusieurs années la mise en place d’un État plateforme. Où en sommes-nous exactement, monsieur le secrétaire d’État ? Quels sont les moyens déployés pour y parvenir ? Enfin, sujet qui m’est particulièrement cher, quelle politique de formation comptez-vous mettre en place pour l’ensemble des agents, quelles que soient leurs fonctions ? Comment la culture numérique leur est-elle transmise aujourd’hui ?

La transformation numérique de l’État est un chantier complexe, passionnant, porteur d’attentes mais aussi parfois d’appréhensions, tant pour les usagers que pour les agents publics, auxquelles il est essentiel de répondre. Je compte donc sur votre volontarisme, monsieur le secrétaire d’État, et sur celui de l’ensemble du Gouvernement pour rassurer et faire du numérique une ambition politique forte, une réelle opportunité pour un meilleur État, au service de tous, dans l’ensemble de nos territoires. La transformation numérique de l’État est un chantier auquel tous les acteurs concernés doivent être associés et qui doit être porté par une grande ambition politique.

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