Intervention de Lionel Tardy

Séance en hémicycle du 24 mai 2016 à 15h00
Statut des magistrats et conseil supérieur de la magistrature - modernisation de la justice du xxie siècle

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLionel Tardy :

Rapports, colloques, conférences, débats… Jamais, madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, on n’a autant parlé du numérique et de la modernisation de l’État, si bien que les blocages, les solutions et les erreurs commises et potentielles commencent à être largement connus. La volonté politique, quel que soit le gouvernement, fait rarement défaut. Mais le chantier est immense. Comment faire pour que l’État et ses administrations avancent au même rythme que les citoyens et les entreprises, et avec les mêmes outils ?

De mon point de vue, la stratégie de l’État est parfois trop court-termiste et dictée d’abord par l’impératif financier. Un exemple parmi tant d’autres : la déclaration de revenus en ligne. Il est évident qu’il faut la généraliser autant que possible et qu’elle est naturelle pour de plus en plus de concitoyens. Cette généralisation est en cours et sera applicable sans seuil de revenus à partir de 2019. Mais en 2019 tous les contribuables auront-ils un accès convenable à internet ? Même question pour la dématérialisation de la propagande électorale, qui a failli être décidée : avant d’abandonner le papier à 100 %, assurons-nous que tous les électeurs ont accès à internet avec un débit suffisant. Or, nous le savons, c’est loin d’être le cas, en particulier dans certaines zones rurales et les zones de montagne.

La secrétaire d’État au numérique évoque actuellement cette question en commission des affaires économiques : je regrette ce conflit d’agenda car les sujets sont totalement complémentaires. Ces deux exemples montrent que la transformation numérique a lieu non pas là où elle est la plus urgente et la plus profondément nécessaire, mais là où le rapport entre les coûts et les bénéfices est le plus avantageux et les gains les plus rapides à obtenir.

Pour le reste, c’est plus compliqué. Je ne nie pas les avancées très importantes déjà obtenues. Il est aujourd’hui très appréciable de pouvoir faire la quasi-totalité des démarches en ligne pour obtenir, par exemple, une carte d’identité, et de recevoir un SMS lorsqu’elle est prête. Toutefois la France ne s’est pas encore débarrassée de son image de royaume de la paperasse. Des programmes ambitieux de simplification comme « Dites-le nous une fois » ou « le silence de l’administration vaut accord » méritent d’être encore étendus. Je viens d’ailleurs de déposer une proposition de loi, soutenue par une soixantaine de collègues, pour améliorer le « silence vaut accord ». Ces programmes ambitieux de simplification méritent aussi d’être numérisés !

Un seul exemple : s’agissant du « silence vaut accord », le délai, théorique, de deux mois a pour point de départ la réception complète de toutes les pièces, sous forme papier, par l’administration compétente, qui est censée fournir, théoriquement là encore, un accusé de réception papier. Eh bien, si toutes ces démarches étaient possibles en ligne et par courrier électronique – ce qui est loin d’être le cas –, le demandeur gagnerait des jours qui sont précieux lorsqu’il s’agit d’un projet clé, pour une entreprise notamment.

Sans même sortir de cet hémicycle, il faut savoir qu’il y a encore à peine quelques jours les déclarations d’intérêts de patrimoine des parlementaires, adressées à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, ne pouvaient pas être remplies en ligne ! C’est désormais le cas, depuis un décret paru le 11 mai dernier, soit près de trois ans après l’adoption de la loi « transparence » et deux ans après que le rapport Nadal a réclamé cette mesure.

Je n’évoquerai pas le cas de la modernisation du dialogue social, car nous nous éloignerions du sujet, mais quand on voit que le Gouvernement a refusé, sur le projet de loi travail, un de mes amendements visant à faciliter la visioconférence pour réunir les instances du personnel et un autre prévoyant que la synthèse du plan d’action destiné à assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ne soit plus obligatoirement diffusée par voie d’affichage, on se dit que des impulsions font encore défaut.

Enfin, l’ouverture des données publiques, l’open data, est un formidable thermomètre de la transformation numérique de l’État. J’ai déjà eu l’occasion de donner plusieurs fois ma position sur le sujet à cette tribune. L’avance prise par la France sur ce point reste à confirmer. Des blocages existent, comme le montre le projet de loi numérique dans sa rédaction issue du Sénat. Nous en reparlerons, bien sûr. Autre preuve, toujours en matière d’open data : le décret d’application relatif aux données de transports publics, prévu dans la loi Macron – je le rappelle de nouveau – a désormais plus de six mois de retard. Les entreprises publiques doivent également, monsieur le secrétaire d’État, entrer dans le champ du débat sur cette transformation.

Face à ces blocages, n’oublions pas de nous placer du point de vue du citoyen, et d’être à l’écoute des solutions innovantes, qui peuvent provenir de l’intérieur, comme le montrent les start-up de l’État : elles mériteraient d’être plus nombreuses et rendues plus aisées. N’ayons pas peur de faire des erreurs ou de tâtonner : ce sera toujours mieux que d’être en retard ou trop peu ambitieux.

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