J'entrerai tout de suite dans le vif du sujet, à savoir le problème auquel est aujourd'hui confrontée l'industrie en France.
C'est avec la mondialisation que les choses ont fondamentalement changé. L'ouverture des pays anciennement communistes – d'abord les pays d'Europe de l'est, puis la Chine – a fait entrer toutes les entreprises industrielles et beaucoup de services dans un monde radicalement nouveau : des personnes parfaitement qualifiées et capables de faire marcher les équipements les plus modernes travaillent à des salaires équivalant à 20 % des nôtres, voire à 5 % pour les ouvriers chinois. Cela a entraîné une chute des coûts de production des biens industriels dans des proportions jamais connues. Les conséquences sur les entreprises ont été énormes : ouverture de nouveaux marchés, possibilité d'implanter des usines dans ces pays, apparition de nouveaux concurrents dont les prix de revient étaient bien inférieurs. Il a fallu repenser entièrement les stratégies.
Première conséquence, il convient de distinguer deux types d'industries : d'un côté, les entreprises industrielles qui évoluent dans un environnement mondialisé, de l'autre, celles qui, de par la nature de leur métier, sont confrontées à des concurrents semblables à elles, disposant d'un coût du travail et d'un coût de l'énergie comparables. En raison de coûts de transport particulièrement élevés, ces dernières produisent en France pour la France, en Allemagne pour l'Allemagne, en Chine pour la Chine ; dans mon livre, je les appelle les « métiers régionaux » : il s'agit, par exemple, de la laine de verre, du ciment ou des mortiers industriels. Ces métiers-là ne sont pas confrontés à une concurrence mondialisée, et ne rencontrent pas de problèmes particuliers : on s'y bat à armes égales, comme par le passé. En revanche, ce type d'industrie n'exportant pas, elle ne peut pas apporter de solution au problème gravissime de la France, à savoir le déficit d'environ 70 milliards d'euros de son commerce extérieur.
Deuxième conséquence, la résolution de ce dernier problème ne dépend pas des services, mais suppose une politique énergétique et une politique industrielle. En revanche, la lutte contre le chômage passe par les services, car ceux-ci sont créateurs d'emploi. Nous ne sommes pas si mal placés dans ce domaine, même par rapport à l'Allemagne. Bien sûr, ce qui se passe à Aulnay est dramatique, surtout pour le personnel ouvrier qui aura du mal à retrouver un emploi. Mais nous avons déjà été confrontés à de pareilles crises, notamment lorsqu'il a fallu restructurer la sidérurgie, et ce n'est pas ce qui a la plus forte incidence sur l'emploi ; ce qui compte le plus en la matière, c'est, d'abord, la fixation de l'âge de la retraite, ensuite, les actions en faveur des PME dans le secteur des services.
Si la France n'est pas condamnée à dévaluer – avec les conséquences dramatiques que cela aurait sur notre pouvoir d'achat –, c'est grâce à l'euro et parce que les Allemands paient notre déficit.
Le véritable problème, c'est donc l'industrie confrontée à la mondialisation, l'industrie exportatrice ; ce n'est pas toute l'industrie, ni les services. Pourtant, les politiques publiques restent indifférenciées : à plusieurs reprises, les coûts ont été allégés dans des secteurs non prioritaires. La première chose à faire serait de concentrer les aides sur le secteur industriel et le secteur exportateur.
De même, il faudrait redéfinir entièrement notre politique énergétique. Je suis très préoccupé par la situation de la filière des énergies renouvelables : nous sommes en train d'être dépassés, dans certains domaines par l'Allemagne, dans tous les domaines par la Chine. Il serait urgent d'examiner ce qu'il est possible de faire à l'échelle européenne, en particulier dans le cadre franco-allemand, car je crains qu'une approche strictement franco-française ne nous permette pas d'être au niveau.
Actuellement, dans le monde, quatre pays réussissent à la fois dans l'industrie et dans l'exportation, car ces secteurs, du fait de leur importance, font l'objet d'un pacte national chez eux : il s'agit du Japon, de la Corée, de la Chine et de l'Allemagne. La France, en revanche, s'est engagée depuis les années 1980, par la volonté de MM. Bérégovoy et Naouri, dans la voie du modèle « libéral financier ». Selon moi, c'est une erreur : nous devrions adopter sans tarder le modèle « industriel commercial », à l'instar des quatre pays qui ont réussi.
Pour ce faire, il faut agir dans trois domaines.
En matière de gouvernance, il convient de mettre fin au système de la primauté actionnariale et le remplacer par un capitalisme de stakeholders, c'est-à-dire d'ayants droit : le personnel et le pays tout entier ont leur mot à dire. Il s'agit d'une décision politique, appelée à se traduire dans le droit des sociétés et la fiscalité. Comme en Allemagne, vous devez adopter des textes qui empêcheront la primauté actionnariale et qui permettront aux entreprises d'éviter les contrôles rampants et de se prémunir contre les OPA hostiles. Vous devez taxer davantage les plus-values à court terme et moins fortement les plus-values à long terme, afin de favoriser l'actionnariat de longue durée, indispensable pour mener une politique sur le long terme.
Il importe ensuite de revoir la politique d'innovation : tout en poursuivant les actions en faveur des PME, il convient de relancer les grands programmes exportateurs – comme l'avait fait l'Agence de l'innovation industrielle, créée sur ma proposition par le président Chirac, mais supprimée par le précédent Gouvernement –, en veillant à ce que les entreprises bénéficiaires s'engagent clairement sur des contreparties ; ce n'est pas le cas avec l'actuel crédit d'impôt recherche.
Enfin, il faut un pacte social. Comme en Allemagne, des représentants des travailleurs doivent être présents dans les conseils d'administration et les grandes entreprises doivent dire clairement ce qu'elles font pour le pays.
Voilà, monsieur le président, mesdames et messieurs les parlementaires, les mesures que je propose.