Intervention de Louis Schweitzer

Réunion du 18 juillet 2012 à 10h00
Commission des affaires économiques

Louis Schweitzer :

Comme je souscris à tout ce que Jean-Louis Beffa vient de dire, je ne reviendrai pas sur le diagnostic et me contenterai de présenter les propositions contenues dans notre rapport.

Celui-ci, comme l'essentiel de mon expérience personnelle, a été centré sur les grandes entreprises. Il fait suite à des entretiens, soit en tête à tête, soit en groupe, avec 23 patrons du CAC 40. Cet échantillon représentatif a été étendu à des patrons d'entreprises étrangères implantées en France et à des patrons d'entreprises moyennes. En outre, j'ai eu l'occasion depuis un an de suivre les très petites entreprises en tant que président de France Initiative, une association qui a contribué au cours de l'année 2011 à la création de 16 000 entreprises, représentant 35 000 emplois.

Nous proposons d'abord la création d'un Commissariat général à la compétitivité et d'un Conseil de l'industrie. Il s'agit, non de créer des instances ayant du pouvoir, mais de renouer le dialogue entre l'État et les responsables industriels sur les questions liées à l'industrie et à la compétitivité. Quand j'étais directeur du cabinet de Laurent Fabius, entre 1984 et 1986, j'avais été frappé par le fait que les industriels n'avaient pas l'habitude d'avoir un dialogue ouvert avec l'État. Je pense qu'un tel échange est important : il permet d'éclairer les deux parties, d'améliorer la compréhension réciproque et, à ce titre, il s'agit d'un élément essentiel pour la définition des politiques et le développement de l'industrie.

Nous proposons ensuite de réfléchir à une structuration par filières industrielles. Dans le secteur automobile, par exemple, il existe en France une organisation regroupant les constructeurs, une autre regroupant les équipementiers, une troisième regroupant les commerçants et les réparateurs, mais il n'existe pas de structure de réflexion entre chefs d'entreprise à l'échelle de la filière. En Allemagne, au contraire, le Bundesvereinigung der Deutschen Arbeitgeberverbände (BDA) offre aux entreprises un espace de réflexion, une capacité de proposition et un outil de dialogue avec les pouvoirs publics. Il serait utile de développer un concept similaire en France.

Comme l'a dit Jean-Louis Beffa, il importe d'accroître l'investissement dans l'industrie. À cette fin, nous proposons de renforcer le Fonds stratégique d'investissement (FSI), de poursuivre les programmes du Grand emprunt – qui a surtout été un programme d'investissement dans l'esprit du traité de Lisbonne –, de créer une banque publique d'investissement qui jouerait un rôle au niveau régional, et de développer les partenariats public-privé dans la recherche.

De mon expérience en France et à l'étranger – j'ai présidé une société suédoise, AB Volvo, ainsi qu'une société britannique, AstraZeneca –, j'ai retiré que les actionnaires de court terme refusent d'entrer au conseil d'administration des entreprises parce qu'ils veulent pouvoir acheter ou vendre à tout moment ; ils sont motivés par les plus-values réalisées en quelques mois, et non par l'avenir de l'entreprise.

Nous suggérons donc de favoriser l'actionnariat de long terme. Il serait ainsi bon que les bénéfices distribués soient plus taxés que ceux réinvestis. Nous proposons que le système des actions à droit de vote double pour les actionnaires de long terme devienne le régime de droit commun ; on pourrait revenir, sur décision de l'assemblée générale, au principe d'une voix une action, mais compte tenu de l'actionnariat des grandes sociétés françaises, ce ne serait pas très aisé. Le versement de dividendes majorés, pratiqué par certaines sociétés du CAC 40, serait une autre façon de favoriser l'actionnariat de long terme.

Je suis entièrement d'accord avec Jean-Louis Beffa sur la gouvernance des sociétés. Il serait en effet bon de faire entrer des représentants des salariés dans les conseils d'administration des sociétés cotées ; je suis pour ma part favorable à la présence de trois administrateurs – plutôt que de quatre, comme le préconise Jean-Louis Beffa –, qui seraient élus par les salariés sur une liste présentée par les syndicats. En Suède, la présence de salariés modifie considérablement l'esprit des délibérations au sein des conseils d'administration.

J'ajouterai un point supplémentaire qui ne figure pas dans notre rapport. Les rapports français sur la gouvernance ont été rédigés par des commissions réunies sous l'égide de l'Association française des entreprises privées (AFEP) et du MEDEF – les deux commissions Viénot, le groupe de travail présidé par Daniel Bouton – et composées quasi exclusivement de dirigeants d'entreprises. Il serait utile que la réflexion sur la gouvernance des entreprises soit menée par une commission comprenant aussi des économistes et des représentants des salariés.

Au-delà, il semble nécessaire de stabiliser les règles juridiques et fiscales. Un investissement se décidant sur plusieurs années, si on a le sentiment que les règles juridiques et fiscales, aussi bonnes soient-elles, sont susceptibles de changer rapidement, on n'en tiendra pas compte et on fera au contraire l'hypothèse du scénario le plus pessimiste. On ne sait pas utiliser des règles qui changent. Nous citons à titre d'exemple la taxe professionnelle, qui a été modifiée deux fois par an en moyenne depuis sa création. Cela nous conduit à penser qu'il ne faut pas corriger le crédit d'impôt recherche ; notre idée de départ était pourtant de l'améliorer, mais nos discussions avec les chefs d'entreprise nous ont convaincus qu'un mécanisme que l'on perfectionne sans cesse est un mécanisme sur lequel on ne peut pas compter, et qui n'est pas pris en compte dans les décisions d'investissement. J'ajoute que l'instabilité des règles est plus grave pour les PME que pour les grandes entreprises, car celles-ci disposent de ressources juridiques pour gérer le problème.

Nous plaidons nous aussi pour une réduction des prélèvements obligatoires sur les entreprises industrielles exportatrices.

Nous plaidons pour la négociation d'accords de compétitivité au sein des entreprises. Cette formule, qui marche bien en Allemagne, est mal perçue en France, faute d'un climat de confiance entre les partenaires sociaux ; pour que cela fonctionne, il faut garantir qu'il existe de part et d'autre des contreparties : il ne s'agit pas de demander des sacrifices aux uns pour améliorer les résultats des autres. À cette condition, les accords de compétitivité contribueront à la bonne gouvernance et au progrès.

Nous plaidons pour une réduction des délais en matière de droit social. Le problème des plans sociaux n'est pas leur générosité à l'égard des salariés, mais les incertitudes qui existent en amont et en aval : prendre une telle décision fait peur et cela suscite une réticence à s'installer en France.

Nous plaidons pour la création d'une « commission du temps ». Chacun sait que le temps, c'est de l'argent, mais on a parfois l'impression que notre système administratif et juridique l'oublie… Il ne s'agit pas seulement de simplifier les procédures, mais d'aider les chefs d'entreprise à maîtriser le temps.

Trop souvent dans notre pays, les petites entreprises font crédit aux grandes, alors qu'elles ont plus de mal à obtenir des prêts bancaires. Ce n'est pas bon pour leur développement, et cela mériterait d'être corrigé.

Le système juridique européen est entièrement tourné vers le consommateur et la concurrence, et pas assez vers la production et la croissance. Il convient de rééquilibrer les choses. Nous devons imposer le concept de réciprocité dans les relations commerciales, refuser toute naïveté dans les négociations internationales, et suivre l'exemple de nos concurrents qui appliquent de manière rigoureuse des normes destinées à protéger leur industrie – sur les quatre pays cités par Jean-Louis Beffa, trois sont explicitement protectionnistes et l'Allemagne arrive au même résultat par d'autres moyens.

Pour le reste, je ne peux que répéter ce que Jean-Louis Beffa a dit sur le prix de l'énergie. Il faut en outre veiller à ce que la réforme bancaire ne porte pas atteinte à la capacité des banques à financer l'économie. La mise en place de ratios de liquidité ne doit pas étouffer leur capacité d'intervention en faveur de l'économie réelle. On peut penser ce que l'on veut du secteur financier, mais il doit pouvoir continuer à soutenir le développement des entreprises.

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