Intervention de Roger Genet

Réunion du 18 mai 2016 à 16h15
Commission des affaires sociales

Roger Genet :

Je suis très heureux de me présenter devant vous dans le cadre de ma candidature à la direction générale de l'ANSES, qui a été proposée par le Gouvernement. Votre commission a mené de très nombreux travaux sur la modernisation du système de santé ainsi que sur les agences sanitaires, qui ont été créées par la volonté du Parlement. J'ai d'ailleurs eu l'honneur d'être auditionné dans le cadre de travaux menés par des membres de votre commission à propos de questions sur lesquelles j'ai travaillé, notamment l'indépendance de l'expertise scientifique et la déontologie des chercheurs.

Depuis mars 2012, je suis directeur général de la recherche et de l'innovation au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je crois avoir acquis, au cours de ces dix dernières années, une assez large expérience du management et de la gestion d'établissements de recherche et d'expertise, ou à la frontière entre les deux, dans un large champ couvrant la santé, l'agriculture et l'environnement.

Mais c'est sur la recherche scientifique que se fondent mon parcours et ma candidature à la direction générale de l'ANSES. Biochimiste et enzymologiste, j'ai été pendant plus de vingt ans chercheur et directeur de recherche à la direction des sciences du vivant du Commissariat à l'énergie atomique (CEA). J'ai mené des travaux scientifiques, notamment sur le métabolisme hormonal, en particulier sur le métabolisme des hormones peptidiques. J'ai également enseigné dans ce cadre : j'ai été professeur à l'Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN) et coresponsable d'un master à l'université Paris-Sud.

Cette première partie de ma vie professionnelle, en tant que chercheur et enseignant, m'a conduit, en 2005, à m'orienter plus particulièrement vers les politiques de recherche. Entre 2005 et 2007, j'ai été conseiller pour les sciences du vivant, la santé et la bioéthique au cabinet de deux ministres délégués à la recherche, M. François d'Aubert puis M. François Goulard. À ce titre, je me suis impliqué sur des sujets qui sont au coeur de ce qui nous intéresse dans le cadre de la présente audition, à savoir la mise en oeuvre du volet recherche des premiers plans nationaux santé environnement et santé au travail, qui ont été lancés en 2004, mais aussi la gestion, pour la partie recherche, des crises sanitaires de la grippe aviaire et du chikungunya en 2006, qui a nécessité la mobilisation de l'Institut de veille sanitaire (InVS), de l'AFSSA et des organismes de recherche compétents.

En mars 2007, j'ai rejoint le CEA en tant que directeur adjoint des sciences du vivant – le directeur était alors le professeur André Sirota – et directeur du centre de recherche de Fontenay-aux-Roses, dont certaines équipes sont très impliquées sur des sujets qui nous intéressent particulièrement aujourd'hui, notamment l'encéphalite spongiforme bovine – il s'agit de l'équipe de feu le professeur Dominique Dormont – ou les effets du bisphénol sur la reproduction.

Puis, en 2009, le Gouvernement m'a nommé directeur général du Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts (CEMAGREF). Mon parcours au CEMAGREF explique, dans une certaine mesure, ma candidature à la direction générale de l'ANSES. Créé en 1985, il y a plus de trente ans, le CEMAGREF a connu une profonde mutation. Il est aujourd'hui au coeur des politiques agro-environnementales : c'est le premier opérateur public de recherche dans le domaine de l'eau et de la qualité des eaux, et c'est un acteur clé de la mise en oeuvre de la directive-cadre européenne de 2000 sur l'eau.

L'action que j'ai menée au sein de cet établissement visait trois objectifs principaux. Le premier était la promotion de l'excellence scientifique, car je suis absolument convaincu qu'il ne peut pas y avoir d'expertise qui ne s'appuie pas sur une recherche au meilleur niveau international. Un organisme dépourvu de notoriété et de reconnaissance scientifique ne peut pas produire une expertise crédible dans le domaine de la santé environnementale.

Le deuxième objectif était l'affirmation, pour cet établissement, d'un lien très fort entre la recherche et l'appui aux politiques publiques, dans trois domaines clés : la gestion de l'eau, les territoires et les écotechnologies. Le CEMAGREF dispose d'un potentiel de recherche de très haut niveau, qu'il sait mobiliser pour des expertises en appui aux politiques publiques dans toute une série de domaines : les écotoxicologies, la détection des micropolluants dans les eaux, la résistance des ouvrages hydrauliques, notamment des barrages, les crues, les avalanches, mais aussi le froid industriel. Cette recherche au meilleur niveau en appui aux politiques publiques est au coeur des missions des établissements de ce type.

Le troisième axe de mon mandat était la reconnaissance de l'établissement et l'accroissement de sa notoriété aux niveaux national, européen et international, enjeu majeur pour la France. C'est pour bien marquer le nouveau positionnement de l'établissement en appui aux politiques publiques et faire reconnaître son rôle et ses missions que j'ai proposé aux ministères de tutelle de changer son nom : le CEMAGREF est devenu, en 2011, l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA). J'en ai donc été le premier président exécutif en 2012.

Pendant toutes ces années, c'est la mobilisation d'une expertise transparente, indépendante et au plus haut niveau scientifique international, en appui aux politiques publiques, qui m'a vraiment motivé. Cette réflexion s'est concrétisée par la rédaction de la charte nationale de l'expertise scientifique et technique, mission qui m'avait été confiée en 2009, à ma prise de fonctions, conjointement avec le président-directeur général de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), M. Jean-Yves Perrot, par la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Mme Valérie Pécresse, à la suite d'une décision prise dans le cadre du Grenelle de l'environnement. Cette charte a été adoptée, dès 2011, par l'ensemble des universités, des écoles et des organismes de recherche.

La réflexion globale que nous avons menée au cours de ces années sur un large champ d'expertise englobant la santé, l'eau, l'agriculture, l'alimentation, l'environnement, la biodiversité et les territoires nous a fait prendre conscience de la grande dispersion et de la variété des acteurs de la recherche dans ces domaines. C'est de ce constat qu'est née, en 2010, l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement (AllEnvi), qui regroupe l'ensemble de ces acteurs : universités, écoles, organismes de recherche et agences sanitaires. Les présidents de ces établissements m'ont confié la première présidence d'AllEnvi, de février 2010 à mars 2012.

Depuis mars 2012, en tant que directeur général de la recherche et de l'innovation, j'ai essayé de mettre en oeuvre le concept d' « État stratège », objectif que nous poursuivons depuis plusieurs années. Le Président de la République a rappelé les missions de cet État stratège : « donner le cap, fixer les priorités, créer un environnement favorable, faire émerger et encourager les initiatives, accompagner les actions, faire réussir les acteurs ». Loin d'adopter une démarche descendante – top-down –, il s'agit donc de donner un sens et une cohérence aux politiques publiques. C'est ce que j'ai tenté de faire pendant quatre ans et demi à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI). C'est aussi le sens de la stratégie nationale de recherche, qui a été inscrite dans la loi pour l'enseignement supérieur et la recherche de 2013, défendue par la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Mme Geneviève Fioraso. À cette occasion, nous avons inscrit, dans le code de la recherche, les missions des chercheurs en matière d'expertise et d'appui aux politiques publiques.

Après ces quatre années et demie à la tête d'une direction d'administration centrale, j'aspire aujourd'hui à une mission plus opérationnelle, où les compétences que j'ai pu acquérir soient mobilisées au bénéfice du service public. C'est ce qui a motivé ma candidature à la direction générale de l'ANSES. J'ai pris la décision de la présenter après en avoir discuté avec Marc Mortureux, pour lequel j'ai beaucoup de respect.

Je connais assez bien l'ANSES. D'une part, le directeur général de la recherche et de l'innovation est membre de droit de son conseil d'administration – même si je n'y ai pas siégé moi-même. D'autre part, j'ai suivi la création de l'AFSSET et travaillé avec l'AFSSA, ainsi que je l'ai indiqué. La création d'une grande agence par fusion de l'AFSSA et de l'AFSSET était un enjeu majeur, et j'ai été frappé par l'excellent travail accompli par Marc Mortureux et ses équipes : ils ont fait de l'ANSES une agence d'excellence en appui à la décision publique dans le domaine de la prévention des risques sanitaires. Cinq ans après sa création en 2010, je crois qu'on peut dire que l'ANSES est une réussite.

L'ANSES est la plus grande agence de sécurité sanitaire en Europe par son champ de compétence, ce qui constitue indéniablement un progrès en matière de sécurité sanitaire. Elle couvre cinq domaines clés : l'alimentation et la nutrition, la santé et le bien-être des animaux, la santé du végétal, la santé environnementale et la santé au travail. Au niveau européen, ce champ est couvert par quatre agences de sécurité sanitaire : l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) – qui est chargée de la mise en oeuvre du règlement concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH) –, l'Agence européenne des médicaments (EMA) et l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA).

Le champ de compétence de l'ANSES a été encore élargi depuis sa création. En 2011, le laboratoire national de la protection des végétaux, qui dépendait auparavant du ministère de l'agriculture, lui a été rattaché. En 2015, la délivrance des autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires lui a été transférée, en application de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt du 13 octobre 2014. Depuis le 1er janvier dernier, en application de la loi de modernisation du système de santé, elle assure le pilotage de la toxicovigilance, prenant à ce titre la suite de l'InVS. Enfin, à partir du 1er juillet 2016, elle délivrera également les autorisations de mise sur le marché des produits biocides, mission actuellement assumée par le ministère de l'environnement.

Compte tenu de ce spectre très large, l'ANSES emploie aujourd'hui 1 350 personnes, dont 70 % de femmes. Elle dispose d'un réseau de onze laboratoires, où travaillent environ 700 personnes, soit près de la moitié de ses effectifs, et qui sont implantés sur l'ensemble du territoire, au plus près des activités de terrain, des zones d'élevage et de culture, ce qui est indispensable pour recueillir des données permettant de faire progresser les connaissances scientifiques. L'ANSES exerce trois métiers : l'évaluation scientifique des risques sanitaires ; la délivrance – et, donc, le retrait, lorsque c'est justifié – des autorisations de mise sur le marché ; la référence et la recherche, au travers de son réseau de laboratoires.

Je suis absolument persuadé que c'est le caractère transversal des missions de l'ANSES qui fait son originalité et fonde sa capacité à émettre des avis et des recommandations utiles aux décideurs publics que vous êtes. L'ampleur du champ de compétence de l'ANSES lui permet de développer une approche transversale des risques, qui tient compte, pour chaque type de risque, de l'ensemble des expositions auxquelles un même individu peut être soumis, en tant que consommateur, travailleur ou citoyen. C'est une approche à la fois pluridisciplinaire et interdisciplinaire, dans laquelle les sciences humaines et sociales sont appelées à jouer un rôle de plus en plus important.

Tout cela confère au directeur général de l'ANSES une responsabilité que j'entends assumer pleinement si vous m'accordez votre confiance : éclairer, en toute indépendance, le débat et la décision publics sur la base de connaissances fondées scientifiquement. Cela implique de donner une information totale, non seulement sur ce que l'on sait du point de vue scientifique – ce qui est sans doute le plus facile à faire –, mais également sur ce que l'on ne sait pas, c'est-à-dire sur les limites de la certitude scientifique, dont la connaissance est indispensable à une décision publique éclairée. L'actualité législative, avec le projet de loi de modernisation du système de santé, voté il y a quelques mois, ou encore le projet de loi de reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, actuellement en navette, qui a notamment donné lieu à un débat sur les néonicotinoïdes, montre à quel point ces sujets sont sensibles.

J'en viens à mes priorités en matière de santé environnementale.

Il ne se passe pas un jour sans que les médias abordent un ou des sujets qui sont au coeur des responsabilités de l'ANSES. Au cours deux dernières semaines, ils ont notamment évoqué le glyphosate, le moustique tigre vecteur de maladies dans le sud-ouest, l'épizootie de grippe aviaire dans les élevages d'oies et de canards, la qualité de l'air et les pesticides, l'impact des radiofréquences, l'information nutritionnelle des consommateurs. On peut prolonger la liste avec les perturbateurs endocriniens – dont les critères d'identification continuent à faire l'objet d'un débat avec la Commission européenne –, la santé des abeilles, l'antibiorésistance, les résidus de substances chimiques dans l'alimentation, l'air et l'environnement, les travaux de veille sur le bisphénol – qui sont menés, entre autres, par l'ANSES –, l'impact des pesticides sur la santé, etc. Bref, on peut faire une liste à la Prévert ! Chacun de ces sujets étant essentiel aux yeux de nos concitoyens, il est extrêmement difficile de définir des priorités en matière de santé environnementale.

Je prends donc la pleine mesure des enjeux auxquels je serai confronté, d'autant que le champ de compétence de l'agence a été élargi, ainsi que je l'ai indiqué, à la gestion des autorisations de mise sur le marché, à la phytopharmacovigilance et à la toxicovigilance. Ma première priorité en matière de santé environnementale sera la mise en oeuvre des dispositifs que je viens de citer. Il faut absolument coordonner, aux niveaux national et régional, les réseaux qui seront capables de conduire ces actions. Croyez bien que je m'attacherai à faire preuve de la même rigueur en matière d'autorisation de mise sur le marché qu'en matière de retrait du marché, lorsque cette démarche sera justifiée par de nouvelles informations ou données scientifiques.

De mon point de vue, l'ANSES est aussi une réussite en raison de son mode de gouvernance très ouvert, que l'on doit très largement à Marc Mortureux, et de la mise en oeuvre d'une large concertation avec l'ensemble des acteurs concernés : les partenaires sociaux, les organisations professionnelles, les organisations non gouvernementales (ONG), les associations de consommateurs et, bien sûr, les cinq ministères de tutelle. L'agence peut être saisie par l'État, mais aussi par les acteurs de la société civile : les ONG, les associations et les partenaires sociaux. Elle peut également s'autosaisir. Cette ouverture ainsi que la mise en oeuvre de la loi d'avril 2013 relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte permettent d'intégrer les préoccupations de tous les acteurs et des citoyens et de détecter les signaux faibles. Elles sont, de fait, le gage que nous prendrons bien en compte tous les risques qui méritent d'être évalués.

En matière de santé au travail, j'estime que l'ANSES doit jouer un rôle clé dans la mise en oeuvre du plan santé au travail pour la période de 2016 à 2020, que la ministre du travail et de l'emploi a présenté en décembre dernier. Ce troisième plan met nettement l'accent sur la prévention, afin d'anticiper les risques professionnels et de garantir la bonne santé des salariés et la qualité de vie au travail. Cela implique un dialogue de qualité avec les partenaires sociaux et avec toutes les parties prenantes. En outre, l'agence anime le Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P) qui permet de recueillir auprès des centres antipoison des informations sur certains risques professionnels, sur lesquels elle peut ensuite décider de lancer des travaux spécifiques. Cette ouverture à la société civile est, pour moi, une caractéristique fondamentale de l'agence.

Je souhaite bien évidemment poursuivre dans cette voie, notamment au travers des très nombreux espaces d'échange qui ont été mis en place par mon prédécesseur, mais aussi en étant particulièrement attentif aux remontées de l'ensemble des acteurs, dans le respect du rôle de chacun. Je veillerai aussi, bien entendu, à maintenir une relation fructueuse et constructive avec chacun des cinq ministères de tutelle, afin que l'agence remplisse pleinement son rôle d'appui aux politiques publiques, dans le respect de son indépendance.

Assurer cette indépendance et maintenir le niveau d'excellence de l'expertise sont les points clés, me semble-t-il, de la mission du directeur général de l'ANSES telle que le législateur l'a souhaitée. Pour atteindre cet objectif, mon prédécesseur a mis en place un processus d'évaluation des risques basé sur une expertise à la fois collective et contradictoire, dont l'indépendance est très strictement protégée de tout risque d'influence d'intérêts particuliers, avec une très forte culture interne de remise en question permanente des pratiques et de refus de l'accoutumance, une traçabilité et une prise en compte des avis minoritaires. L'agence s'est dotée d'un cadre déontologique renforcé, en adoptant un code de déontologie de l'expertise en novembre 2012 – l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) vient de publier le sien – et en mettant en place un comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêts. Le scandale du Mediator, que nous avons tous en tête, et les événements qui défrayent encore régulièrement la chronique montrent à quel point rien n'est jamais acquis en la matière. L'indépendance de l'expertise doit être une préoccupation constante et faire l'objet d'une vigilance de tous les instants dans nos agences.

Ainsi que je l'ai indiqué, j'ai été, avec d'autres, à l'origine de la charte nationale de l'expertise scientifique, et je sais que le respect des procédures, même lorsqu'elles sont extrêmement strictes, ne fait pas tout. On ne peut pas laisser un agent de l'ANSES ou un expert, interne ou externe, seul face aux questions de déontologie. Il appartient au directeur général d'y veiller personnellement.

Pour mener à bien toutes ces missions, qui ont été renforcées, l'agence a besoin de moyens. Le budget de l'ANSES est, comme celui de l'État, contraint – ce n'est pas à vous que je l'apprendrai. Il s'élève actuellement à 136 millions d'euros, dont 90 millions de subvention pour charges de service public, le reste provenant des subventions pour des projets de recherche dans le cadre de programmes nationaux ou européens, des taxes affectées et des redevances, notamment sur les dossiers d'autorisation de mise sur le marché. J'ignore quelle est la valeur cible du budget d'une agence sanitaire : compte tenu des enjeux sanitaires, il pourrait être quasiment illimité ! Mais nous savons tous que tel n'est pas le cas. Dès lors, le directeur général doit agir en gestionnaire éclairé. Il faut faire des choix, hiérarchiser les priorités et garder un équilibre entre les différentes sources de financement. Surtout, l'agence doit entretenir des relations de confiance avec ses tutelles, de manière à être renforcée dans son positionnement et à obtenir le meilleur budget possible pour conduire ses missions en fonction des financements de l'État ; le reste est une question de priorisation.

Je voudrais résumer les cinq priorités qui pourraient être celles de mon mandat.

La première, c'est de renforcer la crédibilité et l'indépendance de l'agence, en confirmant l'excellence de son expertise et de sa recherche, en garantissant la transparence de ses méthodologies et de ses processus décisionnels, et en confortant l'organisation qui a été mise en place en 2015 lorsque la délivrance des autorisations de mise sur le marché lui a été transférée – celle-ci repose sur une séparation des rôles extrêmement rigoureuse. C'est là une condition sine qua non pour restaurer la confiance de nos concitoyens dans l'expertise sanitaire, qui est parfois très décriée.

Deuxième objectif : maintenir le très haut niveau d'expertise scientifique qui est actuellement celui de l'ANSES, grâce à une politique ciblée de soutien à la recherche et d'investissement qui permettra à ses laboratoires de développer leur rôle de référence et de se doter de moyens technologiques au meilleur niveau. Il importe également de maintenir le très haut niveau d'expertise scientifique du réseau d'experts extérieurs auxquels l'ANSES fait appel – ils sont environ 800 par an – avec une politique qui permette d'attirer et de renouveler les talents, dans le respect des règles extrêmement strictes mises en place pour prévenir les conflits d'intérêts – je sais que vous avez organisé, il y a quelques mois, des tables rondes sur la question de l'expertise. Selon moi, de ce point de vue, la situation de l'ANSES n'est pas tout à fait la même que celle des agences compétentes en matière de médicament ou de santé publique.

Troisième objectif : définir une stratégie scientifique qui permette d'être performant au quotidien tout en sachant se mobiliser dans l'urgence en cas de crise. Ces deux temps différents doivent être gérés, non seulement au sein des laboratoires et des entités d'évaluations de l'ANSES, mais également dans leur interaction avec les autres établissements, notamment avec les organismes de recherche tels que l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ou l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Il s'agit de mieux anticiper les risques émergents et de détecter les signaux faibles afin d'orienter très en amont non seulement les travaux de l'agence, mais aussi ceux des autres opérateurs publics de recherche. En effet, ainsi que le prévoit le décret relatif à l'ANSES, l'agence a pour mission de coordonner et d'animer un vaste réseau d'organismes publics français – le réseau R31 – qui agissent dans son domaine d'expertise. Il est indispensable que l'ANSES se coordonne avec les autres agences de financement de la recherche en santé publique, afin de couvrir l'ensemble des champs – il ne doit pas y avoir de « trou » dans le dispositif – et de mieux se structurer au niveau européen. Les choix stratégiques qui seront opérés doivent nous donner un temps d'avance et assurer une grande réactivité de l'agence en cas de crise.

Quatrième objectif : renforcer l'ouverture de l'agence et le dialogue avec les parties prenantes et la société. Il s'agit non seulement de poursuivre ce dialogue au sein des instances de l'agence, mais aussi de contribuer au débat public dans ses domaines de compétence, en le nourrissant d'informations scientifiques de référence. Le point commun de tous les sujets sanitaires, surtout ceux qui sont marqués par une forte incertitude – lorsque la toxicité est avérée, les sujets sortent, de fait, du champ des agences –, c'est le manque de connaissances scientifiques. D'où l'attente à l'égard de la recherche publique indépendante. Je considère que l'ANSES doit être proactive, communiquer plus et mieux en s'adressant à un public le plus large possible sur la base de ses travaux scientifiques. Il est essentiel de fournir une information exhaustive sur les connaissances disponibles sur lesquelles se fonde la décision publique : c'est le gage de la transparence. Il nous faut communiquer plus et mieux sur les risques et les incertitudes, davantage d'ailleurs que sur le principe de précaution, qui fait l'objet d'un débat complexe à appréhender pour nos concitoyens.

Cinquième priorité : gagner en visibilité et en reconnaissance, se développer aux niveaux européen et international, pour mieux peser sur les normes, sur les standards et les référentiels, et sur les décisions prises aux niveaux communautaire et mondial. L'agence conduit une politique très active au niveau international. Elle constitue un modèle qui intéresse beaucoup nos partenaires, en Europe et au-delà. Le fait de pouvoir fonder notre expertise scientifique et de garantir que les décisions et les avis formulés reposent sur un socle scientifique extrêmement solide doit nous permettre de renforcer nos positions. Nos partenaires doivent comprendre que notre analyse est fondée sur des règles qui sont opposables. La crédibilité de notre expertise doit servir d'appui lors des négociations européennes et internationales où il s'agit de faire valoir le point de vue la France. À cet égard, l'ANSES doit apporter les arguments nécessaires pour soutenir les positions françaises dans ces négociations.

Je souhaite bien entendu que l'ANSES reste à la disposition de votre commission. Je considère qu'éclairer la représentation nationale dans le cadre de ses travaux fait partie du rôle de l'agence. Je me suis livré à cet exercice chaque fois que j'y ai été invité.

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