Intervention de Bernard Accoyer

Réunion du 18 mai 2016 à 16h15
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Accoyer :

Je vous remercie, monsieur le directeur général, d'avoir retracé votre parcours et de nous avoir fait part des convictions que vous vous êtes forgées au cours de celui-ci.

Je souhaite aborder un problème général qui concerne toutes les agences, en particulier l'ANSES. Depuis quelques années, les agences ont pris une place considérable, les pouvoirs publics se déchargeant de plus en plus sur elles, par nécessité, mais aussi, il faut le dire, pour des raisons politiques et, parfois même, par manque de courage politique. Je vais vous soumettre un problème pratique qui a été soumis à l'ANSES elle-même, en vous racontant l'histoire du bouquetin du Bargy. Celle-ci concerne toutes les compétences de l'ANSES : la sécurité alimentaire, la santé et le bien-être animal, la santé végétale, la santé humaine, la santé au travail et la santé publique. Vous connaissez cette histoire, mais j'y reviens, car elle est grave : elle témoigne d'une inversion des priorités. Les problèmes sûrement réels que vous avez mentionnés – en disant qu'on pouvait en faire une liste à la Prévert – ne doivent pas faire oublier les problèmes antérieurs, à savoir les maladies infectieuses que l'humanité a mis si longtemps à maîtriser. Ils peuvent avoir des conséquences pour la santé, mais celles-ci ne sont pas du niveau des risques que font courir les agents infectieux. Vous avez cité quelques agents de nature virale ; pour ma part, je vais vous parler de risque microbien.

L'histoire du bouquetin du Bargy a commencé en 2012 avec deux cas humains de brucellose diagnostiqués dans une ferme du Grand-Bornand, dans le massif des Aravis. La brucellose est une maladie grave, dont on ne guérit jamais sans séquelles, le cas échéant invalidantes, les antibiotiques n'agissant pas parfaitement sur la Brucella. Tel a été le cas pour les deux jeunes qui ont été frappés en 2012.

L'enquête épidémiologique, admirablement conduite par les services de l'État, a révélé une infection importante de la population sauvage de bouquetins dans le Bargy, petit massif de la chaîne des Aravis, où les troupeaux sont conduits en alpage l'été. Face à cette situation, les services de l'État ont adopté une attitude tout à fait rationnelle : après avoir établi que le taux d'infection du cheptel dépassait 30 % et s'être assuré que les troupeaux de bouquetins vivant dans les autres massifs de la chaîne n'étaient pas contaminés, ils ont prévu un abattage total des bouquetins du Bargy, soit environ 300 têtes, puis une réintroduction après une période de sécurisation sanitaire.

L'opération a débuté, mais s'est vite heurtée à l'obstruction d'associations militantes. Il ne s'est plus rien passé jusqu'à ce que Mme la ministre de l'environnement reprenne, à l'occasion d'une visite dans le département de la Haute-Savoie en 2014, la conclusion unanime de tous les vétérinaires et de tous les médecins infectiologues : il fallait « assainir » et « réintroduire » – ce sont les mots qu'elle a prononcés en public, à plusieurs reprises. On s'attendait donc à ce que l'abattage ait lieu à l'automne 2014, avant la période de rut. C'était compter sans la pression des ONG, qui ont poussé la ministre à ne rien faire et à saisir l'ANSES.

L'ANSES a alors émis un avis d'une hypocrisie totale, qui ne veut rien dire et qui supposerait des prélèvements impossibles à faire, dans des conditions menaçant la sécurité des agents de l'État. Dans un pays tel que la France, héritier des Lumières et de la rationalité, c'est absolument désolant ! L'agence a cédé à la pression des militants d'un certain nombre d'ONG – vous avez insisté sur la nécessité du dialogue et des échanges, je suis donc au coeur du sujet. Ces ONG s'appuient non pas sur des arguments scientifiques – vous avez pourtant souligné qu'ils devaient toujours prévaloir –, mais sur d'autres considérations, que l'on peut comprendre, mais qui ne sont pas scientifiques. On parle toujours des conflits d'intérêts ; en l'espèce, nous avons affaire à un conflit idéologique. L'ANSES est confrontée à un certain nombre de conflits de cette nature.

Des directives seront peut-être données prochainement. Elles risquent de confondre allègrement l'abattage indispensable de la population de bouquetins infectés dans le massif du Bargy – le taux d'infection dépassant désormais 40 % – avec la gestion de l'espèce, qui prolifère dans les massifs alpins. Il s'agit d'une espèce sauvage protégée, mais qui n'est nullement menacée. Rappelons que la maladie est douloureuse chez l'animal et que l'on voit des bouquetins souffrir physiquement à l'oeil nu. On estime toutefois qu'il ne faut pas les abattre, parce que cela choque un certain nombre d'observateurs.

L'attitude qui consiste à dire qu'il ne faut pas toucher aux animaux et qu'il faut procéder à des prélèvements, en réalité symboliques, est de plus en plus dangereuse. Par exemple, on se rend compte aujourd'hui que la multiplication des cas de maladie de Lyme, laquelle peut avoir des complications extrêmement invalidantes pour certaines personnes, est liée à la prolifération des cervidés.

Je vous invite à porter un regard sur cette attitude. En l'adoptant, on tourne le dos aux connaissances scientifiques, auxquels on devrait pourtant donner la priorité et qui sont, avez-vous dit, votre obsession. Avec une telle attitude, les responsables publics laissent le pouvoir à des militants qui mènent une véritable bataille idéologique, au mépris de la rationalité. Plus grave : ils prennent des décisions erronées qui pourraient un jour les mener – je pèse mes mots – devant la Cour de justice de la République.

Il faudrait sans doute des procédures d'évaluation des agences elles-mêmes, afin d'éviter qu'elles connaissent une dérive les empêchant de remplir la mission pour laquelle elles ont été créées.

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