Intervention de Roger Genet

Réunion du 18 mai 2016 à 16h15
Commission des affaires sociales

Roger Genet :

Ainsi que M. Bapt l'a souligné, en 2009, on pouvait avoir des craintes concernant la fusion entre l'AFSSA, dont on connaissait les liens avec la profession et qui employait 1 300 personnes, et l'AFSSET, qui n'en employait que 130. Il n'était pas gagné d'avance que cela donnerait un ensemble cohérent. Aujourd'hui, tout le monde se réjouit de voir ce que le premier directeur général et son équipe ont fait de l'ANSES : l'agence est bien construite, extrêmement bien perçue, et ses avis n'ont pas été remis en cause.

De plus, l'ANSES a pu absorber les nouvelles missions que l'État lui a confiées. Néanmoins, cela reste un défi pour l'agence d'assurer à la fois l'évaluation des risques et la délivrance des autorisations de mise sur le marché, d'autant que ce modèle ne se retrouve pas nécessairement au niveau international. Notons toutefois que, au sein de l'AFSSA, l'Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) exerçait déjà ces deux missions dans le domaine particulier du médicament vétérinaire.

La création de l'ANSES a préfiguré la réflexion conduite par le ministère de la santé sur la réorganisation du système d'agences, lesquelles étaient très nombreuses. On a cherché à réduire le nombre des agences et à créer un système plus lisible et cohérent, avec des responsabilités claires pour chacune d'entre elles Il faut absolument que ce système soit compréhensible pour les citoyens, mais aussi pour les acteurs eux-mêmes, ceux du monde sanitaire comme ceux du monde de la recherche et de l'expertise. Cela va également nous aider à mieux nous intégrer au niveau européen. Ainsi que je l'ai indiqué, face à l'ANSES au niveau national, il existe quatre agences au niveau européen.

La création de l'Agence nationale de santé publique (ANSP) participe de cette rationalisation du système d'agences. La direction générale de la santé (DGS) joue un rôle de coordination. L'ANSES participe à de nombreuses réunions de coordination : réunion hebdomadaire de sécurité sanitaire, sous l'égide de la DGS ; réunion mensuelle du système d'agences, également animée par la DGS ; réunions bilatérales de l'ANSES avec chacune de ses tutelles ; réunion trimestrielle avec les cinq tutelles.

Madame Carrillon-Couvreur, la question de la pollution des rivières relève des agences de l'eau, qui sont coordonnées et financées par l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA). Pour sa part, l'ANSES s'occupe des eaux de boisson et de la qualité des eaux de baignade.

Monsieur Liebgott, les risques liés aux activités nucléaires relèvent de la compétence de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). C'est d'ailleurs à ce titre que l'institut est une agence sanitaire.

Quant à la vaccination, madame la présidente, elle entre dans le champ couvert par l'ANSP. En tant que directeur général de l'ANSES, je n'aurai pas d'avis à donner sur la question.

S'agissant de tous les autres sujets que vous avez évoqués, mesdames, messieurs les députés, je ne suis pas en mesure de vous répondre précisément sur la teneur des avis déjà rendus par l'ANSES, mais je suis bien conscient qu'il s'agira de priorités absolues pour moi au cours des prochaines semaines ou des prochains mois.

L'ANSES est très impliquée sur la question des perturbateurs endocriniens. Elle coordonne la stratégie nationale en la matière, de même que le plan national santé environnement et le plan national sur les résidus de médicaments dans les eaux. Elle finance, sur appels à projets, des travaux de recherche dans le domaine de la santé environnementale pour environ 5 millions d'euros par an. Il est très important qu'elle puisse continuer à soutenir de tels travaux.

La question de l'harmonisation, au niveau européen, des critères d'identification des perturbateurs endocriniens est essentielle. La ministre de l'environnement a d'ailleurs saisi l'ANSES au début du mois de mai en lui demandant de s'impliquer pleinement au niveau européen pour faire valoir le point de vue de nos acteurs sur cette classification. En 2012, l'ANSES avait rendu un avis sur la question. Le 25 avril dernier, l'INSERM a publié une étude dont les conclusions sont totalement cohérentes avec l'avis de l'ANSES. Il nous reste donc à parvenir à un point de vue partagé au niveau européen.

L'ANSES doit continuer à exercer une veille sur les études concernant le bisphénol. Les équipes du CEA continuent à travailler non seulement sur le bisphénol A, mais aussi sur ses substituts, les bisphénols F et S, qui pourraient – c'est un euphémisme – présenter autant d'inconvénients que le bisphénol A lui-même. Encore une fois, il est important que l'ANSES puisse financer, sur appels à projets, des travaux conduits en dehors de ses propres laboratoires. Ce faisant, elle joue un rôle de coordination essentiel.

Nous avons besoin d'un corpus scientifique beaucoup plus détaillé sur le glyphosate. Nous disposons déjà de travaux sur le glyphosate en association avec un certain nombre de coformulants. Certaines formulations sont déjà interdites, notamment en Allemagne. L'ANSES est en train de prendre position à cet égard vis-à-vis des industriels. En tout cas, il faut attendre la décision qui sera prise demain au niveau européen sur la prolongation ou non de l'autorisation de mise sur le marché du glyphosate en tant que principe actif – la France prendra part au vote. Les décisions sur les principes actifs sont communautaires, mais ce sont ensuite les autorités nationales qui prennent position sur chaque produit commercialisé. Ainsi, si l'autorisation de mise sur le marché du glyphosate est prolongée, l'ANSES, qui a pour mission de délivrer les autorisations de mise sur le marché, se prononcera sur chaque produit et chaque formulation contenant du glyphosate. Le point le plus important, en la matière est que l'ANSES ait la capacité de mener des expertises en toute indépendance sur chaque produit.

Lorsque les néonicotinoïdes ont été introduits, en substitution au DDT, on considérait qu'ils présentaient de nets avantages par rapport au DDT, dont la toxicité aiguë a été démontrée. On constate aujourd'hui qu'ils peuvent avoir des inconvénients, qu'il s'agit désormais d'objectiver, produit par produit. Nous verrons, à l'issue de la navette parlementaire, ce qui est demandé à l'ANSES dans la loi « biodiversité ».

Monsieur Roumegas, l'évaluation des avantages et des inconvénients des produits de substitution aux produits phytosanitaires est une priorité pour l'ANSES. L'agence ne répond pas simplement aux demandes de mise sur le marché : elle évalue aussi les stratégies alternatives. Prenons l'exemple de la culture des bananiers outre-mer. Le traitement de certaines maladies étant obligatoire, la question qui se pose est soit de supprimer complètement les cultures, soit d'utiliser les produits actuellement employés pour traiter ces maladies, soit de recourir à des substituts. Dans ce cas comme dans les autres, l'ANSES doit prendre en compte l'ensemble des considérants pour apporter à la puissance publique les différents éléments d'éclairage qui lui permettent de fonder sa position.

S'agissant des bouquetins du Bargy, monsieur Accoyer, je me garderai de commenter l'appréciation que vous portez sur l'avis de l'ANSES, car je ne le connais pas en détail. En tout état de cause, sur chacun des sujets qui ont été abordés, qu'il s'agisse des bouquetins ou des autres, l'ANSES doit rendre les avis les plus clairs possibles afin qu'ils soient utiles à la décision publique. Il lui appartient de faire ressortir les avantages et les inconvénients des différentes options qui s'offrent aux décideurs. Reste qu'il y a une séparation claire entre l'évaluation des risques, qui relève de l'ANSES, et la gestion des risques, qui revient au ministre et aux administrations compétentes. L'agence n'est à la fois évaluateur et gestionnaire des risques que dans un seul cas : lorsqu'elle délivre les autorisations de mise sur le marché des produits vétérinaires, phytosanitaires ou biocides. Elle statue alors en toute indépendance, le ministre de l'agriculture conservant toutefois un droit de veto.

Les sujets que vous avez mentionnés sont tous très complexes. Je ne connais pas encore suffisamment les dossiers au fond pour vous donner la position de l'ANSES sur tel ou tel point, mais, si j'ai l'honneur d'être nommé directeur général, je reviendrai volontiers devant vous pour éclairer le rôle et le positionnement de l'agence sur chacun de ces sujets, pour indiquer, le cas échéant, en quoi nous pouvons améliorer notre évaluation des risques, pour expliquer jusqu'où l'agence peut aller ou, au contraire, indiquer la limite au-delà de laquelle elle ne peut pas aller s'agissant de la gestion des risques.

L'ANSES continue à s'impliquer sur la question des radiofréquences, madame la présidente. Elle a mis en place et anime un groupe de parole sur la question avec l'ensemble des parties prenantes. D'après les travaux scientifiques menés à ce jour, il n'y a pas de lien direct entre l'hypersensibilité et l'exposition aux radiofréquences, mais nous devons absolument continuer à collecter et accumuler des données afin de vérifier l'absence de risque ou, au contraire, mettre en évidence un risque à court, moyen ou long terme. C'est toute la question du risque zéro ou de l'absence de risque, qui est très difficile à objectiver. Lorsqu'un risque existe, on peut le quantifier. Mais lorsqu'on ne voit pas de risque, on dispose seulement d'un faisceau d'arguments, et c'est alors le niveau d'incertitude, le niveau sur une échelle de risque, qu'il faut absolument arriver à évaluer pour éclairer la prise de décision publique.

J'en viens à l'action de l'agence au niveau européen. D'une part, il convient d'encourager fortement la présence des représentants de l'agence et des experts scientifiques français au niveau européen, afin de faire valoir les travaux scientifiques qui sont conduits en France. L'agence doit amener le plus possible de leaders d'opinion et de scientifiques qui ont des connaissances ou ont mené des études ou des évaluations à contribuer aux réflexions au niveau européen et à peser sur les décisions qui y sont prises.

D'autre part, il importe de nouer des relations directes et étroites avec l'EFSA et les autres agences sanitaires européennes – je m'y impliquerai personnellement – afin notamment d'acquérir une bonne compréhension réciproque des normes et des procédures de chacune de nos agences. Car celles-ci diffèrent. Par exemple, les avis rendus par l'EFSA sont, en réalité, ceux de ses comités : c'est le président du comité chargé d'évaluer telle ou telle question qui forge l'avis de l'EFSA. Au niveau national, les comités de l'ANSES font un travail de fond, mais c'est ensuite l'agence et son directeur général qui rendent un avis sur cette base.

Pour construire notre posture au niveau européen, il faut que nos processus d'évaluation soient parfaitement fondés et opposables, de telle sorte que nos évaluations ne soient pas remises en cause lorsque nous les mettons sur la table, voire qu'elles fassent loi. Nous devons donc être irréprochables, tout d'abord, en ce qui concerne la qualité et l'indépendance des experts car, lorsque l'on critique l'avis d'une autre agence, c'est souvent l'indépendance du comité d'experts qui l'a rendu que l'on met en doute. Nous devons être irréprochables, ensuite, en ce qui concerne le fond scientifique, l'étude elle-même, à partir de laquelle nous forgeons l'avis que nous rendons. Et, lorsque nous sommes amenés à évaluer un niveau d'incertitude, nous devons le faire en travaillant de plus en plus en commun, de façon à avoir une approche du risque et de l'incertitude qui soit partagée au niveau européen, voire au niveau international.

J'ai été frappé par la position défendue par les États-Unis, dans le cadre des négociations sur l'accord de libre-échange, à propos des poulets traités avec des solutions chlorées. Les Américains nous opposent le fait que le chlore n'est pas toxique et n'a pas d'impact sur la santé. En disant cela, ils font preuve d'une méconnaissance totale de l'approche sanitaire française : la question est non pas celle de la toxicité du chlore – nous en mettons nous-même dans nos piscines –, mais celle de la traçabilité dans la chaîne alimentaire, qui est un impératif pour nous. Le chlore masquant certaines traces, des produits ayant une durée de vie excessive par rapport aux normes en vigueur chez nous pourraient se retrouver sur le marché. Il faut vraiment que nous comprenions et acceptions mutuellement le fondement de nos politiques sanitaires, afin d'éviter que les avis que nous sommes amenés à rendre ne soient remis en question par les uns ou par les autres.

S'agissant du bisphénol A, les États-Unis remettent en cause l'interdiction que nous avons prononcée, notamment en ce qui concerne les biberons. D'après une dépêche de l'agence Reuters publiée hier, ils demandent à la Commission européenne de revoir son évaluation et souhaitent que les normes qui pourraient être adoptées au niveau européen – lesquelles fixent un seuil de transfert entre les matières plastiques et les aliments, exprimé en microgrammes par kilogramme d'aliment – soient appliquées à tous les produits et se substituent aux décisions prises au niveau national, notamment à l'interdiction totale du bisphénol A dans les biberons édictée en France. Nous devons être très vigilants sur la façon dont nous construisons nos positions, afin de pouvoir les faire valoir dans les discussions internationales.

Pour ce qui est de la communication, la mission d'appui aux politiques publiques n'est en rien contradictoire, selon moi, avec le fait de nouer un lien direct avec les citoyens. Il n'est pas question que l'ANSES communique à tout-va sur les avis qu'elle rend en matière d'évaluation des risques ou sur les décisions qu'elle prend en matière de mise sur le marché des produits phytosanitaires, dans le seul but d'assurer sa visibilité et sa notoriété au niveau national. Il ne s'agit pas non plus pour l'agence de communiquer à la place des ministères sur les décisions qu'ils prennent en tant que gestionnaires de risques, mais d'expliquer, à un public aussi large possible, la base scientifique et l'évaluation des risques sur lesquelles se fondent ces décisions. Certes, cela revient un peu à marcher sur une ligne de crête, mais nous avons beaucoup d'efforts à faire en la matière, tant en termes de formation – la question de l'évaluation des risques doit être mieux prise en compte dans les cursus d'enseignement supérieur – qu'en termes d'information à l'égard des parties prenantes – professionnels, ONG, organisations syndicales –, mais aussi du grand public, y compris des scolaires.

La question que vous avez posée sur l'évaluation des agences est très pertinente, monsieur Accoyer. L'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) non seulement dispose de procédures normalisées et certifiées dans le cadre d'une démarche d'assurance qualité, mais elle est aussi évaluée par ses pairs au niveau européen. La qualité de l'évaluation qu'elle produit est donc elle-même évaluée. Quant à l'ANSES, elle est elle aussi engagée dans une démarche de certification et d'assurance qualité. Mais il ne s'agit pas d'une évaluation qualitative : il s'agit de montrer que l'agence a des procédures et qu'elles sont suivies ou, à défaut, d'analyser les raisons pour lesquelles elles ne le sont pas et, le cas échéant, de les faire évoluer. Vous avez relevé, monsieur Bapt, que l'agence, les avis qu'elle a rendus et son positionnement étaient plutôt bien perçus. Cela étant, la question de savoir si l'évaluation des risques est bien faite, si elle l'est mieux ou moins bien qu'ailleurs, peut se poser. Très honnêtement, j'ignore si cette réflexion a déjà eu lieu ou non dans les agences sanitaires, que ce soit au niveau national ou au niveau international. J'examinerai de près cette question.

La santé au travail est un domaine dans lequel l'ANSES doit se positionner très fortement. Elle mène déjà des actions permanentes très importantes en la matière.

Ainsi, l'ANSES anime le Réseau national de veille et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P), qui regroupe tous les centres antipoison et huit services de santé au travail. Il est de sa responsabilité de le faire fonctionner pour faire remonter les données et détecter des signes précoces, de façon à anticiper par rapport à une crise éventuelle. Il faut que ce réseau soit opérationnel et actif. Je vous en dirais plus sur ce point une fois que j'aurai pris la mesure de la façon dont il fonctionne actuellement. En tout cas, le transfert de la phytopharmacovigilance et de la toxicovigilance à l'agence lui donne les moyens de détecter rapidement les éventuels effets indésirables des produits dont elle autorise la mise sur le marché, et de réagir en conséquence. Il est très important de coordonner les deux activités.

En outre, je l'ai dit, l'ANSES pilote les plans nationaux santé environnement et santé au travail, et finance des travaux de recherche à hauteur de 5 millions d'euros au travers d'appels à projets qui s'adressent à toute la communauté scientifique. À cet égard, elle doit se coordonner le mieux possible avec les autres agences, en particulier avec l'Agence nationale de la recherche (ANR). Ce sera l'un des enjeux des prochains mois.

L'agence travaille sur les risques liés aux substances particulièrement préoccupantes, avec trois axes : l'amiante, les nanotechnologies et les nanomatériaux – qui font, eux aussi, l'objet d'un groupe de parole – et les substances chimiques telles que la silice ou le formaldéhyde, souvent présent dans les meubles. Ces travaux donnent lieu à des propositions de réglementation, notamment dans le cadre du règlement REACH.

L'agence travaille aussi sur les professions particulièrement exposées, à la suite de saisines par les organisations syndicales ou d'autosaisines. Elle rendra dans les prochaines semaines un avis sur l'exposition des travailleurs agricoles. D'autres travaux sont en cours : sur les travailleurs du bitume, sur les égoutiers et sur les travailleurs en horaires atypiques et décalés.

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