Intervention de Pierre Morel

Réunion du 27 avril 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Pierre Morel, président du groupe de travail constitué sur les questions politiques pour l'application des accords de Minsk :

L'ordre que les chefs d'État et de gouvernement ont fixé un mois après le vote de la réforme constitutionnelle en première lecture à la Rada est celui qui apparaissait possible et souhaitable à ce moment-là. C'est ce qui nous a permis de sortir de l'impasse complète dans laquelle nous nous trouvions alors. Au cours de la période de flou qui a marqué la fin du mandat de M. Iatseniouk, le président Porochenko a estimé que le vote de la réforme constitutionnelle devait plutôt intervenir à la fin du processus. Il faut bien comprendre que nous sommes dans le domaine de la négociation. Il y a un certain nombre d'étapes à franchir, dans une configuration qui a évolué. Il nous faut imaginer le meilleur scénario pour y parvenir, trouver une séquence qui soit acceptable par les deux parties. Rien n'est figé dans les accords de Minsk, rien n'est gravé dans le marbre, dans une situation aussi intermédiaire et ambiguë.

C'est un casse-tête qui fait penser au Rubik's cube : chaque fois que vous essayez d'obtenir une chose, vous risquez d'en compliquer une autre. Les représentants du Donbass clament que tout est dans l'accord de Minsk 2 et qu'il suffit de l'appliquer, ce à quoi je réponds que, si l'on a créé quatre groupes de travail chargés de sa mise en oeuvre, c'est bien que tout n'y est pas : il faut rester dans le cadre de l'accord tout en le complétant. Il s'agit non pas d'un détournement ou d'une manoeuvre, mais d'une nécessité. C'est ce que nous essayons de faire depuis mai 2014, non sans difficultés, au sein des quatre groupes de travail.

De mon point de vue, la clé du processus politique, c'est un véritable cessez-le-feu, c'est-à-dire la mise en oeuvre des articles 1 à 3 de l'accord de Minsk 2. À défaut, nous risquons d'être confrontés à un parfait cercle vicieux : les choses ne débouchant pas sur le plan politique, les frustrations vont s'accumuler de part et d'autre, et telle ou telle partie va continuer à tirailler pour bien montrer qu'elle dispose encore de leviers…

Il y a des violations du cessez-le-feu de part et d'autre, en nombre croissant : certains jours, on passe de 40 à 70, voire à 100 incidents. Les quelque 700 observateurs déployés sur le terrain étudient les impacts et tentent d'identifier l'origine des tirs. C'est un travail très difficile, car la ligne de contact a un tracé complexe. De plus, on a affaire à des comportements littéralement vicieux : il arrive que des combattants fassent une incursion en territoire adverse et tirent vers leur propre camp pour faire porter la charge sur l'autre partie.

La MSOU fait son travail de manière remarquable. Elle a acquis une connaissance du terrain exceptionnelle. Du fait de l'aggravation de tensions, elle vit une épreuve quotidienne. Les consignes de sécurité ont été portées à leur maximum pour les personnels. À ce stade, il n'y a pas eu de victime.

L'une des principales difficultés, c'est la question de l'accès. Mais l'observation n'est pas déséquilibrée : lorsque des tirs se produisent à un endroit donné, les observateurs inspectent les deux côtés, ainsi que cela apparaît clairement dans les rapports quotidiens de la MSOU. Si l'on dit le contraire, c'est soit que l'on ne veut pas lire ces rapports, soit que l'on parle de ce que l'on ne connaît pas. Les observateurs sont irremplaçables et indispensables. Les critiquer, c'est travailler contre soi-même, de quelque côté que l'on se trouve. La MSOU agit avec une honnêteté et une rigueur irréprochables. Il faut lui rendre hommage.

Je tiens à rappeler certains faits. L'an dernier, plusieurs véhicules de la MSOU ont été incendiés en plein centre de Donetsk, au vu et au su de tout le monde. On ignore toujours qui sont les responsables. L'ambassadeur Sajdik a dû intervenir trois fois formellement au cours de réunions pour qu'on entende l'expression de regrets. Ces derniers temps, on a tiré sur des voitures – heureusement blindées – qui entraient sur le territoire contrôlé par les séparatistes dans le cadre d'une mission traditionnelle. En décembre, une patrouille a été mise à genou pendant une heure sous la menace des armes. Il y a quelques jours encore, une autre patrouille a été arrêtée et priée de partir sous la menace des armes. Les refus d'accès dans les zones de contrôle définies dans les accords de retrait des armements existent de part et d'autre, mais ils sont, statistiquement, plus fréquents du côté des séparatistes que du côté ukrainien. Je le dis sans prendre parti.

Dans un tel contexte, on peut penser qu'il sera impossible d'assurer la sécurité des opérations électorales. Pourtant, j'y insiste : pendant deux mois, le cessez-le-feu a été respecté. C'est donc une question de volonté politique, qui dépasse le cadre des groupes de travail : il faut que des instructions politiques très claires viennent d'en haut.

Madame Ameline, les pays de l'Union européenne apportent une contribution en envoyant des observateurs et des experts dans le cadre de l'OSCE. D'autre part, l'Union européenne continue à faciliter les livraisons de gaz entre la Russie et l'Ukraine, ce qui est un élément déterminant. En la matière, la compétence des Européens a été reconnue tant par la Russie que par l'Ukraine. Reste que, depuis la crise de 2013, l'Union européenne est en porte-à-faux. Il faut espérer que l'on parvienne à une reprise rapide des échanges avec la Russie.

Je ne vois pas ce qu'apporterait un embargo imposé à l'Ukraine, si ce n'est des difficultés supplémentaires. Les sanctions russes à l'égard de l'Ukraine ont déjà fait chuter l'économie du pays, qui est, de ce fait, davantage financée par les pays occidentaux.

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