Intervention de Didier Quentin

Réunion du 27 avril 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Quentin, rapporteur :

Le protocole que nous examinons est la troisième modification apportée à la convention d'Athènes de 1974, relative au transport par mer de passagers et de leurs bagages. J'aurai l'occasion d'expliquer par la suite pourquoi il a fallu tant de temps pour aboutir à l'adhésion de la France.

Le protocole a pour objet d'établir des règles pour l'indemnisation des préjudices subis sur des navires effectuant des transports internationaux. Plusieurs types de préjudices sont envisagés : la mort du passager et ses « lésions corporelles », mais aussi la perte des bagages et les dommages affectant ces derniers.

La nécessité de ce type de conventions résulte notamment du développement des croisières maritimes et des conséquences particulièrement dramatiques des accidents en mer. Je pense notamment au chavirage du Joola au large des côtes de Gambie en 2002, qui a fait près de 2 000 morts, ou au naufrage du Costa Concordia, le 13 janvier 2012, dans lequel 32 personnes ont perdu la vie.

Ce protocole a été adopté en 2002, dans le cadre de l'Organisation maritime internationale (OMI). Il comporte plusieurs avancées par rapport à la convention initiale de 1974 : un régime de responsabilité sans faute du transporteur dans certaines hypothèses ; des limites de responsabilité significativement étendues ; une obligation d'assurance pour le transporteur, avec un mécanisme de vérification ; un droit d'action directe des passagers à l'encontre de l'assureur en cas de préjudice.

Avant de vous présenter plus en détail le texte, son articulation avec d'autres instruments pertinents dans ce domaine du droit maritime et, enfin, les raisons qui justifient l'adhésion de la France au protocole, je voudrais commencer par une remarque préliminaire qui permettra d'éclairer davantage la portée de notre délibération de ce jour.

Conformément à l'article 15 du protocole, la convention d'Athènes de 1974 et son protocole de 2002, qui nous est soumis, sont considérés et interprétés comme formant un seul instrument juridique.

Il en résulte deux conséquences. La première peut sembler assez curieuse, mais elle est finalement logique : selon l'OMI, les Etats qui adhèrent au protocole de 2002 doivent d'abord dénoncer la convention initiale de 1974 et ses protocoles antérieurs, s'ils y sont déjà parties. Ensuite, en adhérant au protocole de 2002, nous ne serons pas liés seulement par lui mais aussi par la convention de 1974, telle que le protocole la modifie et la complète. C'est sur ce bloc que nous sommes appelés à nous prononcer. J'insiste quelque peu sur ce point, car nous n'avions pas ratifié jusqu'à présent la convention d'Athènes, dans sa version initiale de 1974.

Je trouve d'ailleurs assez regrettable qu'une version consolidée du texte – c'est-à-dire la convention de 1974, telle qu'elle est amendée par le protocole – ne soit pas jointe au projet de loi. C'est elle que nous allons approuver ou rejeter. Pourtant, seul le protocole de 2002 est annexé au projet de loi. Nous n'avons donc pas le texte complet. Pour ajouter à la confusion, l'exposé des motifs du projet de loi ne décrit pas les articles du protocole, mais ceux de la version consolidée de la convention, qui ne figure pas dans le dossier législatif. Le contenu des articles et leur numérotation ne sont pas les mêmes ! Il est donc assez difficile de s'y retrouver.

J'en viens aux principales avancées qui font l'intérêt du protocole de 2002.

La convention, telle qu'amendée, comporte désormais un régime de responsabilité sans faute en cas de préjudice résultant de la mort ou de lésions corporelles d'un passager causées par un « événement maritime ». Ce terme désigne le naufrage, le chavirement, l'abordage ou l'échouement du navire, ou encore une explosion, un incendie à bord ou un défaut du navire, y compris un manque de conformité avec les règles de sécurité applicables. Le transporteur peut toutefois s'exonérer de sa responsabilité dans un certain nombre de cas, notamment s'il peut apporter la preuve que « l'événement maritime » résulte d'un acte de guerre, d'hostilités, d'une guerre civile, d'une insurrection ou d'un phénomène naturel exceptionnel, inévitable et irrésistible, comme par exemple un tsunami.

La convention prévoit d'autres régimes de responsabilité, pour faute présumée ou pour faute prouvée, selon que les dommages touchent les personnes ou leurs bagages, selon le type de bagage concerné – les bagages de cabine, les véhicules et les bagages situés dans des véhicules, ou encore les « biens de valeur » – et selon les circonstances. J'en fais une présentation plus détaillée dans le rapport écrit, mais je pourrai y revenir si vous le souhaitez.

Il faut également souligner le fait que les limites de responsabilité des transporteurs sont significativement étendues par le protocole de 2002, ce qui est bien sûr plus favorable pour les victimes éventuelles. En cas de mort ou de lésions corporelles, par exemple, le plafond passe de 46 666 droits de tirage spéciaux (DTS), tels qu'ils sont définis par le Fonds monétaire international, à 400 000 DTS par passager. En cas de perte ou de dommages concernant les bagages de cabine, le plafond d'indemnisation passe de 833 DTS par passager à 2 250 DTS ! Comme vous le savez, la valeur du DTS est déterminée par rapport à un panier de monnaies et calculée sur la base du taux de change coté chaque jour à midi sur le marché de Londres.

Dans certains cas, le protocole permet à tout Etat de fixer une limite de responsabilité plus élevée dans sa législation nationale, sous réserve de notifier cette limite – ou même l'absence de limite, le cas échéant – au secrétaire général de l'Organisation maritime internationale.

Pourquoi fixer une limitation à la responsabilité des transporteurs ? C'est un principe ancien du droit maritime qui trouve son origine dans les « risques de mer » et dans l'idée que les activités maritimes sont d'intérêt général. Bien que les plafonds aient été progressivement relevés, aucun assureur dans le domaine maritime ne se déclare à l'heure actuelle en mesure de couvrir, de manière illimitée, la responsabilité des transporteurs, y compris dans le domaine du transport de passagers.

C'est aussi une autre avancée du protocole de 2002 : les transporteurs sont désormais obligés de souscrire une assurance. Elle ne peut avoir une limite inférieure à 250 000 DTS. Afin de garantir l'efficacité de ce dispositif, l'Etat du pavillon doit délivrer ou viser un certificat attestant qu'une telle assurance est en cours de validité. Un modèle de certificat est annexé au protocole. Par ailleurs, les Etats parties doivent interdire l'exploitation des navires battant leur pavillon s'ils ne sont pas munis du certificat. Ils doivent également s'assurer que tout navire faisant escale dans l'un de leurs ports en dispose. Enfin, le protocole permet de former directement une demande de réparation contre l'assureur, ce qui permettra de faciliter l'indemnisation des victimes.

Sur tous ces points, le protocole de 2002 comporte des avancées significatives par rapport à la convention d'Athènes initiale. Cela dit, pour apprécier pleinement la portée du protocole, il faut aussi prendre en compte son articulation avec d'autres instruments juridiques pertinents dans le domaine du droit maritime. Il me semble que trois points méritent d'être cités en particulier.

Tout d'abord, la convention d'Athènes permet au transporteur de se prévaloir des limites de responsabilité prévues par une autre convention, plus généraliste, dite « LLMC » suivant son acronyme anglo-saxon. Il s'agit de la convention sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes – « Limitation of Liability for Maritime Claims ». Comme les modes de calcul des plafonds ne sont pas les mêmes dans le cadre des deux conventions, celle d'Athènes amendée et la « LLMC », le transporteur aura la possibilité de se prévaloir du montant qui lui est le plus favorable, c'est-à-dire le moins élevé.

Ensuite, des modifications ont déjà été apportées aux mécanismes prévus par le protocole de 2002. Ces modifications prennent la forme de « lignes directrices pour l'application du protocole », adoptées en 2006 par le comité juridique de l'OMI. Des négociations ont en effet repris après l'adoption du protocole, afin de tenir compte des préoccupations exprimées par les compagnies d'assurance et les armateurs sur la capacité du marché à fournir des produits permettant de couvrir les transporteurs conformément aux exigences de la convention d'Athènes amendée. Le comité juridique de l'OMI estimait en particulier que la question de la responsabilité du transporteur en cas d'action terroriste constituait un obstacle à l'entrée en vigueur du protocole.

Pour y remédier, les lignes directrices de l'OMI énumèrent plus précisément certains risques et les Etats sont invités à assortir leur adhésion d'une réserve destinée à réduire les montants prévus dans certains cas, en ce qui concerne la responsabilité du transporteur, son obligation de s'assurer et la responsabilité de l'assureur. La France a naturellement prévu de suivre le modèle de réserve recommandé par l'OMI.

Il faut aussi évoquer, brièvement, l'articulation entre le protocole et le droit de l'Union européenne. Un règlement européen a en effet été adopté, en 2009, pour introduire dans le droit des Etats de l'UE la quasi-totalité des stipulations de la convention d'Athènes amendée. Avant même que nous adhérions au protocole, ses règles sont donc en réalité déjà applicables en France. Il faut également signaler que le règlement européen comporte quelques dispositions complémentaires qui sont favorables aux passagers, notamment en ce qui concerne le versement d'avances ou l'information des passagers sur leurs droits.

Dans ces conditions, quelles sont les raisons d'adhérer au protocole ?

Pour résumer la situation, la France n'avait pas choisi jusqu'à présent de ratifier la convention d'Athènes de 1974. Elle ne présentait pas, en effet, de véritable plus-value par rapport à la convention dite « LLMC » que j'ai déjà évoquée et à laquelle nous sommes partie. Les choses ont toutefois évolué avec le protocole de 2002, car il permet désormais de nombreuses avancées par rapport à la « LLMC », ce qui justifie que nous le ratifions.

Une question se pose tout de même : pourquoi se donner la peine d'adhérer au protocole de 2002 si ses règles sont déjà applicables dans notre droit, via le règlement européen de 2009 ? J'y vois au moins trois motifs : une considération d'opportunité et deux raisons plus strictement juridiques.

En adhérant au protocole, nous contribuerons tout d'abord à « universaliser » ce texte qui constitue désormais l'instrument juridique de référence. Il reste peu ratifié par rapport à d'autres conventions importantes qui ont été adoptées dans le cadre de l'OMI. A ce jour, le protocole compte 25 Etats parties, représentant 42,8 % du tonnage brut de la flotte marchande mondiale, ce qui ne constitue pas encore la majorité. Le protocole de 2002 a tout de même plus de succès que celui de 1990. Il augmentait lui aussi les limites de responsabilité, mais n'a jamais pu entrer en vigueur, faute d'un nombre suffisant de ratifications.

Deuxième raison, plus juridique, l'adhésion de l'Union européenne au protocole de 2002 ne dispense pas la France de faire de même, bien au contraire. En effet, il s'agit d'un « accord mixte », comportant des stipulations relevant de la compétence exclusive de l'UE et d'autres stipulations relevant de la compétence des Etats membres. Ces derniers, dont la France, doivent donc adhérer eux aussi au protocole. L'adhésion de la France répond ainsi à une exigence du droit de l'Union européenne.

Dernière raison, le fait que la plupart des stipulations du protocole ont déjà été introduites dans le droit des Etats membres de l'Union européenne, via le règlement de 2009, ne rend pas l'adhésion de la France inutile. C'est en effet une nécessité pour assurer la reconnaissance internationale des certificats d'assurance délivrés par la France conformément aux exigences du protocole. Ces certificats peuvent déjà être délivrés sur la base du règlement européen de 2009. Mais un Etat tiers n'est pas tenu de les reconnaître, comme il aurait l'obligation de le faire s'ils étaient délivrés directement sur le fondement du protocole par une autre Partie à ce même protocole.

Au bénéfice de ces différentes observations, je vous invite, mes chers collègues, à adopter le présent projet de loi. Il nous permettra d'adhérer à un dispositif protecteur pour celles et ceux, de plus en plus nombreux, qui ont la chance de voyager par mer, notamment à bord des navires de croisière construits dans les chantiers de l'Atlantique.

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