Intervention de François Bourdillon

Réunion du 18 mai 2016 à 18h15
Commission des affaires sociales

François Bourdillon :

Pourquoi cette fusion ? Pour faire des économies, certes. Mais la ministre de la santé a aussi exprimé l'ambition par ce biais d'améliorer la santé publique et de faire en sorte que cette agence soit capable non seulement de mesurer l'état de santé de la population, mais également de déterminer des priorités étayant la décision publique et d'identifier, d'expérimenter et d'innover en matière de prévention. Il faut que l'ANSP soit une agence d'expertise scientifique s'appuyant sur des faits probants pour faire en sorte que l'argent public soit le mieux utilisé possible. Il convient aussi de faire en sorte que les actions de prévention qui seront proposées aux niveaux national, régional et local aient préalablement fait la preuve de leur efficacité. Je fais là écho à votre réflexion relative à l'importance des faits probants en matière de prévention. On a trop souvent eu tendance à se fier au bon sens alors que la santé publique est aussi un métier, une spécialité et une discipline scientifique sur laquelle on doit s'appuyer.

L'apport majeur de l'agence est de regrouper l'ensemble des disciplines. Pour reprendre l'exemple de l'épidémie de zika, nous sommes l'un des pays les mieux organisés en matière de surveillance puisque nous avons détecté dès le mois de janvier les premiers cas de cette maladie en Martinique et en Guyane. Très vite, nous avons été capables, semaine après semaine, de mesurer le niveau d'épidémies et d'évaluer le nombre de cas nouveaux, de cas hospitalisés et de femmes enceintes séropositives puis de déclencher immédiatement, via les conseils généraux ou l'État, la lutte anti-vectorielle et, avec l'appui des professionnels de santé, le suivi des femmes enceintes. Et lorsque nous avons eu besoin de la réserve sanitaire, nous avons été capables de la mobiliser. C'est vraiment le regroupement des trois structures qui nous permet d'agir. Je pourrais en dire autant d'autres domaines dans lesquels il nous faut affirmer que l'épidémiologie doit induire la prévention. En matière de tabagisme, par exemple, nous devons être capables, grâce aux méthodes d'épidémiologie, de mesurer le nombre de fumeurs mais aussi d'évaluer les mesures de prévention qui sont prises. Une opération aussi importante que « Mois sans tabac », qui démarrera en novembre prochain, comportera ainsi un volet d'évaluation permettant de vérifier la pertinence de cette approche et la bonne utilisation des fonds publics.

La fusion des agences permettra aussi une amélioration des fonctions supports. J'ai mentionné tout à l'heure trois établissements – l'InVS, l'INPES et l'ÉPRUS – mais en réalité, cette fusion en concernera quatre, avec le groupement d'intérêt public Addictions Drogues Alcool Info Service (ADALIS) de l'INPES. Souvent, en cas de fusion, on se retrouve avec autant de directeurs généraux, de directeurs généraux adjoints et de services de documentation que d'établissements fusionnés. Le temps de la préfiguration de l'agence nous a permis de définir un organigramme ne comprenant qu'une seule direction et de faire en sorte que les personnes ne pouvant occuper les fonctions auxquelles elles auraient légitimement pu prétendre puissent rejoindre d'autres structures ou, grâce à un travail de co-construction, de retrouver une place au sein de la nouvelle agence. Notre organigramme, aujourd'hui fondé sur une dizaine de directions métiers et six directions supports, a été validé par les organisations syndicales en comité technique, sans aucun licenciement – ce dont nous nous réjouissons. Je dois remercier la direction générale de la santé et la direction du budget d'avoir permis la stabilité budgétaire et de l'emploi pendant cette période de fusion. En 2016, le budget de la nouvelle agence s'élève à 190 millions d'euros, permettant de financer 625 équivalents temps plein.

La fusion nous a conduits à nous retrouver avec quatre systèmes informatiques différents qu'il nous a fallu unifier. Elle a donc un coût au départ. Nous avons en effet besoin d'un système informatique unique et moderne pour assurer l'ensemble des fonctions supports et traiter des big data. Nous avons ainsi décidé de moderniser, en le dématérialisant, le système des déclarations obligatoires, qui concerne trente-deux maladies, ces déclarations étant encore aujourd'hui adressées sous format papier aux ARS. Nous avons rendu possible depuis quelques semaines la déclaration du SIDA par voie électronique. Suivront la tuberculose et les autres maladies. Cela représente un gros investissement et pouvoir bénéficier de l'ensemble des fonctions supports des quatre instituts nous aide beaucoup. Les économies d'échelle, en matière de fonctions supports, sont prévues mais ne pourront survenir que dans deux ou trois ans. Ce que je dis de l'informatique vaut aussi en matière de ressources humaines : il nous faut, en ce domaine, mener une politique globale afin de pouvoir reprendre, à droit constant, l'ensemble des contrats des 625 personnes.

Vous m'avez interrogé concernant notre marketing social et nos moyens de résister au poids des lobbies. Une campagne dans les médias, sur internet et sur application mobile coûtant bien évidemment fort cher – entre trois et quatre millions d'euros –, nous nous interrogeons chaque fois quant à la pertinence de tels investissements, en décalage avec le coût des enquêtes des épidémiologistes, de l'ordre de 20 000 à 30 000 euros. Le coût de ces campagnes est néanmoins très en deçà des montants investis par l'industrie agro-alimentaire, les producteurs d'alcool ou, de manière indirecte – notamment par le biais du cinéma –, par l'industrie du tabac. Pour autant, il nous faut agir – et ce, de manière cohérente et coordonnée. Pour démontrer l'originalité de notre action, nous avons retenu comme axe principal le tabac. Nous espérons en ce domaine pouvoir mobiliser, dans l'ensemble des régions, les échelons national et local. Notre but est de communiquer auprès du grand public tout en touchant tout un chacun – y compris les plus démunis. Comme vous le savez, la prévalence du tabagisme est de 50 % chez les chômeurs, contre 23 ou 24 % parmi les catégories socio-professionnelles les plus élevées. Dans le cadre de l'opération « Mois sans tabac », nous accordons une attention tout à fait particulière aux catégories socio-professionnelles les plus basses et aux chômeurs. Nous avons fait en sorte que Pôle Emploi s'associe à l'opération et pris contact avec les associations de patients – notamment la Ligue contre le cancer – de manière à ce que ceux qui sont atteints de maladies cardiovasculaires ou d'un cancer puissent bénéficier de conseils pour arrêter de fumer. Nous ferons aussi en sorte que les fumeurs, qui appartiennent en majorité aux catégories socio-professionnelles les plus basses, puissent bénéficier de consultations de tabacologie.

La question des jeunes est effectivement cruciale, surtout en matière de tabagisme – l'idée étant, dans ce domaine, d'agir le plus tôt possible pour retarder l'entrée dans le tabagisme et éviter que les gens ne deviennent fumeurs. Pour toucher les jeunes, il faut procéder comme la publicité qui recourt beaucoup à internet. Nous avons donc diffusé sur Youtube un spot intitulé « Esquive la tise » dans lequel nous utilisons le même langage que les jeunes et un humour de second degré. Cela nous coûte beaucoup moins cher qu'un spot télévisé, c'est plus ludique qu'un portail officiel et c'est visionné 300 000 fois. Cela étant, l'émission Youtube « Les Recettes Pompettes », présentée par des animateurs de télévision très connus, qui promeut dans des clips de trois minutes l'absorption d'une quinzaine de shots d'alcool et qui fait rire tout le monde parce qu'au bout du quinzième cul-sec, les buveurs sont saouls, est vue 500 000 fois. Disposant des mêmes outils, nous devons pouvoir toucher tout le monde. Notre force est d'être une structure publique et d'utiliser les réseaux de promotion de la santé. Pour toucher les jeunes, il nous faut travailler avec les familles et l'école et construire avec les enseignants le parcours éducatif en santé. Il faut oublier l'idée que l'Agence nationale de santé publique serait en mesure d'intervenir auprès des jeunes : c'est le métier des enseignants. Ce sont eux qui doivent aider les enfants à développer leurs compétences psycho-sociales et leur autonomie. Il faut donc mettre les enseignants en mesure d'aborder la question sanitaire. La future agence comportera des unités « Enfance et adolescence » et « Petite enfance et grossesse ». Dans le cadre de cette dernière, nous mènerons des actions pour éviter que les femmes enceintes ne boivent et fument et pour pouvoir suivre les données de périnatalité.

L'axe populationnel vise à s'intéresser à l'état de santé des Français, à prioriser des actions grâce à nos données et connaissances et à faire en sorte d'agir au plus près de la population. Les moyens dont nous disposons ne sont pas négligeables, même s'ils restent encore loin de ceux des Anglais ou des Américains. Je me réjouis que la ministre de la santé, Mme Marisol Touraine, ait réussi à obtenir la création d'un Fonds tabac afin de nous permettre de démultiplier nos actions de marketing social en ce domaine.

Une question a été posée concernant les cellules d'épidémiologie en région. Comme vous le savez, la loi a rattaché ces cellules à l'Agence nationale de santé publique. Notre agence dispose donc de délégations en région. Cette colonne vertébrale de l'épidémiologie nous confère la capacité de lancer des alertes dès que des premiers signaux sont identifiés, de professionnaliser au sein de chacune des ARS le métier d'épidémiologie, d'être en mesure de faire de l'investigation de situations pré-épidémiques ou épidémiques et d'éclairer, sur le plan scientifique, les directeurs généraux d'ARS lorsqu'ils en ont besoin. Cela fait partie du réseau national de santé publique que nous avons l'ambition d'élargir à l'ensemble des acteurs de la prévention présents sur le territoire français.

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