Intervention de Gilles Savary

Séance en hémicycle du 25 mai 2016 à 15h00
Débat sur la mise en oeuvre du plan juncker de soutien à l'investissement au sein de l'union européenne

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Savary :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après avoir proposé un pacte pour la croissance en Europe à ses collègues chefs d’État européens, quelques jours après son élection, en juin 2012, le Président de la République française avait reçu un accueil poli de la part des mieux disposés, dubitatif de la part des autres. Sa proposition consistait à dégager 120 milliards d’euros pour relancer la croissance européenne, mise à mal par la simultanéité des politiques d’austérité budgétaires adoptées au plus fort de la crise des dettes souveraines. Berlin et la Commission européenne y avaient répondu en ne concédant finalement qu’un redéploiement de crédits non consommés – notamment des fonds structurels –, qui ne s’est avéré ni négligeable ni décisif.

Comme toujours à Bruxelles, les idées infusent lentement, trop lentement. Il a fallu attendre le changement de Commission européenne, en juillet 2014, pour que la proposition française de relance par l’investissement prenne corps, à travers le plan Juncker. Je dois dire que la multiplication des pains que ce dernier promettait, en tablant sur un effet de levier de facteur quinze, censé se traduire par une démultiplication de la mise de fonds publics de 21 milliards d’euros en 315 milliards d’investissements, m’avait paru à l’époque procéder d’une pieuse incantation. L’excellent rapport d’étape de nos deux collègues Razzy Hammadi et Arnaud Richard nous démontre, tout au contraire, que le plan Juncker est en passe de devenir un modèle particulièrement réussi de mobilisation de l’épargne privée au service d’investissements d’avenir, de plusieurs points de vue.

D’abord, les montants des financements mobilisés à ce jour, soit moins de deux ans après l’annonce publique du plan, s’élèvent à 82,1 milliards d’euros pour vingt-deux programmes répartis dans vingt-cinq des vingt-huit États membres. En deux ans, 26 % de l’objectif de 315 milliards d’euros ont été atteint, au profit surtout, mon cher collègue Charroux, du secteur de l’énergie et des énergies renouvelables, de l’isolation thermique des bâtiments, des transports, de l’industrie et du numérique, sans préjudice d’autres investissements sectoriels.

La mise en oeuvre du plan Juncker, pour ce que le rapport d’information Hammadi-Richard nous en donne à voir, constitue surtout un démenti frappant de la présomption de bureaucratie et de complexité qui entoure toute initiative bruxelloise. Il est fondé sur un partenariat entre l’Union européenne, les États membres, avec leurs banques de développement, et la Banque européenne d’investissement – BEI –, partenariat particulièrement simple, robuste et fructueux. Son architecture s’appuie sur trois instruments : le fonds européen pour les investissements stratégiques – FEIS –, qui comprend un volet pour l’innovation et les infrastructures, et un volet pour les PME ; une plateforme européenne de conseil en investissement, dotée d’un portail européen des projets d’investissement ; enfin, une convergence réglementaire des États dans des domaines ciblés, qui s’est finalement avérée efficace. Enfin, annoncé en juillet 2014 par Jean-Claude Juncker, ce plan a connu une mise en oeuvre réglementaire, instrumentale, procédurale et financière d’une rapidité exceptionnelle.

La France, avec trente projets retenus, est l’un des premiers pays bénéficiaires du plan, avec des interventions très diverses, au profit du projet Charles-de-Gaulle Express, d’une laiterie du Cotentin, d’une usine de traitement des déchets de titane, de logements intermédiaires, d’investissements énergétiques et de haut débit dans le Pas-de-Calais, en Picardie, en Alsace, en Île-de-France, du contournement routier de Strasbourg ou encore d’abondements de fonds de capital-risque ou de garanties à des institutions financières comme la Banque publique d’investissement ou la Banque postale.

Ce plan, qui démontre qu’une grande politique européenne peut être simple d’accès et de mise en oeuvre dès lors qu’elle ne laisse pas aux États membres la possibilité d’y ajouter des couches géologiques de réglementations nationales, devrait inspirer l’allégement et la simplification de nos procédures de transposition d’autres instruments européens. Je pense aux fonds structurels, à la politique agricole commune ou au programme-cadre pour la recherche et l’innovation, dont les procédures d’instruction altèrent injustement l’image de l’Europe, quand elles ne sont pas dissuasives.

La clause de revoyure dans les trois ans, fixée pour la première évaluation européenne du plan Juncker, méritera, à ce titre, toute notre attention. On en connaît les premières interrogations, relatives à un ciblage sectoriel, à un accompagnement administratif accru des État membres les moins bien organisés afin que ceux-ci puissent tirer le meilleur parti du plan, ou encore aux parts respectives, dans un même projet, des prêts et des garanties cumulables avec les fonds structurels.

D’un point de vue plus national, l’excellent bilan d’étape de la France, qui a bénéficié de 2,2 milliards d’euros de la BEI pour 12,9 milliards d’euros d’investissements, me dicte une certaine prudence dans mes appréciations.

D’un côté, il est incontestable que la procédure retenue, qui passe par le Commissariat général à l’investissement, a porté ses fruits et démontré son bon rendement. En contrepartie, elle est restée excessivement confinée et accaparée par la seule administration d’État.

Je sais que les régions, dont la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République a renforcé les prérogatives en matière de développement économique, de recherche, d’innovation, de transports et de mobilité, secteurs justement ciblés en priorité par le plan Juncker, ont été affectées de ne pas avoir été associées par l’État à sa mise en oeuvre. Il me semble, monsieur le secrétaire d’État, qu’il y a là une piste pour améliorer la procédure retenue par la France. Je ne sais si vous avez envisagé d’associer à cette procédure, sous une forme ou sous une autre, les acteurs locaux et les collectivités territoriales, sans pour autant porter préjudice, naturellement, à sa faculté effective de mobilisation et à sa rapidité, mais il ne me paraîtrait pas incongru d’y penser.

En outre, sous réserve d’une évaluation de l’impact des effets du plan Juncker sur la relance économique européenne, il me semble que la France doit continuer à promouvoir politiquement cette politique volontariste, qui rompt avec le culte exclusif du marché intérieur, et qu’elle doit d’ores et déjà se positionner dans le débat sur la pérennité de ce plan.

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