Intervention de Paul Giacobbi

Séance en hémicycle du 25 mai 2016 à 15h00
Débat sur la mise en oeuvre du plan juncker de soutien à l'investissement au sein de l'union européenne

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Giacobbi :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je serai un peu dissonant. Conséquence de la crise mondiale qui sévit depuis 2007, je rappelle que les investissements ont chuté en Europe, en même temps que nos banques – toutes nos banques, y compris françaises – se sont trouvées au bord de la faillite du fait de l’éclatement des bulles financières et immobilières.

L’Union européenne a d’abord opposé, à l’unisson de plusieurs États membres – parmi lesquels la France s’est particulièrement distinguée dans l’aveuglement –, une attitude de déni confinant à la pathologie : on se souvient de M. Barroso, affirmant en 2008 que l’Europe ne serait pas touchée par la crise. Puis les institutions européennes et les États ont réagi pour sauver… le système financier. La BCE s’est engagée dans le refinancement des banques, à un taux quasi nul, puis négatif en termes réels. Elle s’est aussi lancée dans le rachat massif de bons du Trésor, d’abord hypocritement, à travers les banques qui les avaient souscrits quelques minutes auparavant, puis directement.

Enfin, la BCE a ouvertement pratiqué le quantitative easing, qui est à l’économie ce que l’irrigation par inondation est à l’agriculture. Les États membres, pris individuellement, ont, eux aussi, tout fait pour sauver les banques. Pour donner un ordre de grandeur, les dizaines de milliards d’euros consacrés par le budget fédéral de l’Allemagne à conforter les fonds propres, monstrueusement négatifs, d’une banque dont peu de gens connaissent le nom, Hypo Real Estate, constituent un exemple extrême.

Au fond, l’Union européenne et les États la composant ont fait, toutes choses égales par ailleurs, autant que les États-Unis et la FED – la Réserve fédérale américaine –, pour sauver le système financier. On l’a fait en Europe avec un peu de retard et beaucoup d’hypocrisie mais, finalement, de la même manière et à des posologies comparables – toutes choses égales par ailleurs, je le répète. Nous risquons d’ailleurs de le faire plus longtemps puisque la FED, elle, prépare le terrain pour une remontée des taux en termes réels, ce qui ne semble pas encore tout à fait à l’ordre du jour en Europe.

Cette politique d’injection massive de liquidités a eu un effet magique des deux côtés de l’Atlantique sur le monde de la finance qui, non seulement est ressuscité d’entre les morts, mais atteint un niveau de prospérité historique. Aux États-Unis, la surévaluation des entreprises financières en bourse est devenue complètement irrationnelle : selon une estimation d’avril 2016, la surévaluation moyenne des entreprises américaines atteint 79 % ; celle des valeurs non financières n’étant que de 55 %, il faudrait faire un calcul détaillé pour les valeurs bancaires, mais elles sont probablement surévaluées d’environ 100 %. Le même calcul, pour l’Europe, donnerait probablement des chiffres hallucinants.

Cette politique nous a tout de même sauvés d’un effondrement économique comparable à celui des années trente, au cours desquelles, par exemple, aux États-Unis, les prix des produits industriels avaient baissé de 40 % . Mais elle n’a nullement fait repartir la croissance économique en termes réels, ou de façon très marginale. Toutefois, par une schizophrénie remarquable, tandis que la BCE inondait les banques de liquidités gratuites, notre belle Union européenne s’est entêtée à assoiffer les États et les politiques publiques en imposant l’assainissement budgétaire.

On a fait appel à la statistique – d’ailleurs théorisée de manière erronée par les professeurs Rogoff et Reinhart –, mais aussi, sans doute, à cette fausse sagesse populaire selon laquelle on s’enrichit en payant ses dettes, pour aboutir à une orthodoxie budgétaire qui est à l’économie productive ce que le garrot est à la circulation sanguine. Cependant, il eût été possible de poursuivre de front les deux objectifs, c’est-à-dire soutenir l’investissement productif par la mobilisation des créances – des prêts – qui lui sont destinées, en lieu et place du simple quantitative easing ; c’est d’ailleurs l’une des directions vers lesquelles la BCE, si j’ai bien compris, va s’orienter. Mais, pour l’heure, elle s’est contentée, je le répète, de mobiliser des créances, massivement et un peu n’importe comment, voire de pratiquer le quantitative easing pur et simple, autrement dit d’accorder des prêts sans contrepartie.

Je l’ai déjà fait observer ici il y a déjà de longue années, si la Grèce avait changé de raison sociale, transformant son État en banque régulièrement inscrite dans les livres de l’Union européenne et de la BCE, elle aurait reçu de la part de cette dernière, sans peine et à taux zéro, au moins dix fois plus que ce que lui ont finalement prêté, dans des conditions beaucoup plus dures et avec des contreparties, ses partenaires européens.

Et puis, un beau matin, est né le plan Juncker et ses 315 milliards d’euros d’investissement sur trois ans, il faut s’en réjouir. Il ne s’agit évidemment pas de 315 milliards de subventions mais, même si c’était le cas, l’enveloppe n’atteindrait jamais que 100 milliards par an, soit environ 10 % des liquidités injectées chaque année par la BCE sans contrepartie et sans effet sur l’économie productrice.

Telle est, je crois, la réalité, mais il n’y a pas lieu de s’en plaindre. J’ai d’ailleurs eu la satisfaction discrète et modeste d’entendre deux rapporteurs de la Commission européenne, venus en Corse, féliciter notre région pour sa mobilisation exemplaire des crédits ; il est vrai, et c’est tant mieux, que l’intégralité des fonds, notamment du FEDER et du FEADER – le fonds européen de développement économique régional et le fonds européen agricole pour le développement rural –, avaient été consommés au 31 décembre 2015.

Mais, même s’ils vont dans le bon sens, les effets du plan Juncker et, plus généralement, des contributions de l’Union européenne à l’investissement, risquent d’être balayés par la nouvelle crise financière qui s’annonce chaque jour de façon plus forte et plus proche.

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