Première chose : il faut reparler de l'entreprise, et pour commencer à l'école. Or, les programmes, en particulier dans le secondaire, n'en traitent pas et les enseignants ne sont pas assez sensibilisés, notamment à l'intérêt des formations en alternance. Je participerai avec plaisir à la grande concertation pour la refondation de l'école que va organiser M. Vincent Peillon et à laquelle il m'a fait l'honneur de me convier. De même, lorsque je rencontre M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, je ne manque jamais de lui demander que les syndicats aident à rapprocher l'école et l'entreprise. Ce sujet devrait transcender les clivages droite-gauche.
On a jusqu'à présent en France, avec de très bonnes intentions, pris davantage en compte les préoccupations des consommateurs et édicté des règles qui les ont considérablement avantagés, au détriment des producteurs. Il faudrait rééquilibrer cette approche.
En cinq ans, le coût du travail s'est accru de 15 % en France par rapport à l'Allemagne – on le constate dans les usines de Saint-Gobain. Les salaires ont été extrêmement comprimés outre-Rhin, avec d'ailleurs des contreparties pour l'industrie : recherche-développement, création d'emplois dans le pays. Chez Siemens, où des représentants des syndicats siègent au conseil d'administration, quand un nouveau projet est présenté, que 30 % à 40 % des emplois futurs soient sur le sol allemand fait partie intégrante de la stratégie de l'entreprise. C'est une telle perspective qu'il nous faut avoir en France.
N'opposons pas PME et grands groupes. Il faut soutenir les deux. Les membres de la représentation nationale, parce qu'ils sont les élus d'une circonscription, connaissent très bien les PME, qui jouent un rôle essentiel en matière d'emploi. A l'inverse, le dialogue avec les grands groupes a disparu. De grâce, ne les clouez pas au pilori. Renouez au contraire avec eux un dialogue constructif.
Pour garantir la compétitivité prix, il faut alléger les charges pesant sur les producteurs, quitte à faire payer un peu plus les consommateurs. On vient d'abroger l'augmentation de la TVA qui avait été décidée. Il faudra donc relever la CSG car il n'est que deux voies possibles pour diminuer le niveau des charges sociales, anormalement élevé en France par rapport aux autres pays européens. L'objectif est de parvenir à une plus grande convergence avec l'Allemagne.
Les vingt-sept pays de l'Union européenne sont trop hétérogènes pour poursuivre la construction européenne sur cette base. Il faut rebâtir l'Europe sur la zone euro et travailler à un rapprochement structurel des législations et des pratiques entre notre pays et l'Allemagne, sans oublier bien sûr l'Espagne, l'Italie et sans doute la Pologne. Nous n'avons d'autre solution que d'aller beaucoup plus loin dans la coopération avec certains pays. L'euro inévitablement nous amènera à le faire. Cela ne sera pas facile, notamment en raison de différences culturelles. Mais si nous ne procédons pas à un tel rapprochement – je ne parle pas de fédéralisme –, nous n'existerons pas face à l'Asie ni aux États-Unis.
Il faut aussi revoir la politique de la concurrence au niveau européen. Les autorités de Bruxelles limitent par exemple, de manière tatillonne, les aides publiques à la recherche-développement, pendant que les entreprises japonaises reçoivent, elles, des milliards à ce titre ! Au lieu de se concentrer de façon nombriliste sur ce qui se passe au sein de l'Europe, elles devraient prendre en compte la bataille mondiale. La politique européenne de la concurrence est l'un des plus grands dangers pour le renouveau de la politique industrielle européenne, et même tout simplement la survie industrielle de l'Europe.
J'en viens à la question de l'énergie. Le premier texte à prendre concernerait les économies d'énergie dans l'habitat. Abandonnez l'approche fiscale au profit de celle des normes, comme l'a fait l'Allemagne. Il faut très rapidement édicter des normes pour les logements anciens, de façon qu'il ne soit plus possible par exemple de changer une fenêtre par une qui ne garantisse pas une bonne isolation thermique.
Sur le nucléaire, soyez extrêmement prudents. Il est très dangereux de déclarer que la France va abandonner le nucléaire. On en déduit en effet à l'étranger qu'il vaut donc mieux acheter les centrales de Toshiba que celles d'Areva. C'est tuer l'une des rares filières industrielles françaises – héritée de l'action du général de Gaulle et du président Pompidou – se portant bien à l'exportation. Dites qu'une transition énergétique va s'engager et qu'il y aura une inflexion de la politique nucléaire, pas qu'on va arrêter le nucléaire.
La France a la chance, de par sa géologie, de posséder du gaz de schiste. Vous aviez, à juste titre, institué un moratoire car on ne disposait pas jusqu'à présent de toutes les garanties. Il faut maintenant, d'urgence, accepter une expérimentation. Pour avoir étudié le sujet dans le détail, je suis convaincu que des progrès significatifs sont possibles. Le coût d'un programme expérimental ne représente rien par rapport à ce qui a pu être dépensé dans d'autres domaines. Nous pourrions, avec le gaz de schiste, économiser 20 milliards d'euros sur nos importations. N'en faites pas une question de principe, autorisez l'expérimentation – je ne dis pas l'exploitation.
Dans la filière des énergies renouvelables, il faut impérativement parvenir à des rapprochements européens. Sinon nous ne pourrons pas faire face à la concurrence chinoise. Pour rencontrer beaucoup de dirigeants chinois, de ce secteur notamment, lors de mes fréquents déplacements en Chine, je sais qu'un défi considérable attend l'Europe.
Un mot du secteur automobile. Renault a dû fermer son usine de Vilvorde en raison de surcapacités. PSA doit aujourd'hui faire de même avec l'usine d'Aulnay, dont la fermeture est inévitable. La vraie question est de déterminer la stratégie qui permettra au groupe de continuer d'exister et, grâce à une compétitivité retrouvée, de reconquérir des positions.
Je terminerai par le financement de l'industrie. OSEO a aujourd'hui deux faces pour ainsi dire, innovation et financement, la première étant étouffée par la seconde. Que la structure soit désormais gérée par des financiers pénalise la stratégie d'innovation. Il faut que dans la nouvelle entité qui sera mise en place, le volet innovation soit suffisamment séparé. Ensuite, il faut associer l'Agence des participations de l'État qui pourrait fort bien céder certaines de ses participations. Mieux vaudrait affecter les sommes correspondantes au Fonds stratégique d'investissement. Il faut, selon moi, regrouper l'APE, le FSI et OSEO, décider d'actions stratégiques au niveau national et les décliner de manière largement décentralisée. Pour les chefs d'entreprise, comme l'a fort justement souligné Louis Schweitzer, la contrainte de temps est fondamentale. Les régions doivent pouvoir s'engager sans avoir à attendre toujours le feu vert de Paris. On gagnera à cette décentralisation, à condition que la future banque publique d'investissement intègre davantage le facteur temps dans son fonctionnement.