Intervention de François Heisbourg

Réunion du 19 mai 2016 à 9h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

François Heisbourg, conseiller spécial du président de la Fondation pour la recherche stratégique :

L'UCLAT a été créée en 1984 à la suite de défaillances graves en matière de lutte antiterroriste, notamment la non-transmission en temps et en heure des informations de nature à prévenir l'attentat de la rue Marbeuf, une affaire relatée dans mon précédent livre, Secrètes Histoires.

Ce qui est frappant, tout au long de ces dernières années, c'est la très grande difficulté d'intégrer pleinement la gendarmerie, dans sa fonction de renseignement, au sein des deux cercles du renseignement. Au moment de l'élaboration du Livre blanc sur la défense nationale de 2008, j'ai été responsable du groupe de travail sur la réforme des pouvoirs publics et membre du groupe informel créé pour procéder à la réforme de la communauté du renseignement. Pour des raisons que j'ignore, l'Élysée avait décidé que la gendarmerie n'appartiendrait pas au Conseil national du renseignement (CNR) que nous préconisions de créer. La gendarmerie a créé une sous-direction de l'anticipation opérationnelle à Issy-les-Moulineaux, que je vous invite à visiter ; c'est un extraordinaire poste de commandement de gestion du renseignement opérationnel.

Alors que la gendarmerie fait partie du ministère de l'intérieur depuis le 1er janvier 2009, je n'ai pas le sentiment que cette fusion ait été pleinement réalisée. Je ne sais s'il fallait créer un EMOPT pour assurer cette intégration : cela aurait pu passer par l'UCLAT. En revanche, si nous souhaitons lutter contre le terrorisme avec du renseignement intérieur, il vaut mieux que la gendarmerie soit intégrée dans le premier cercle du renseignement, non seulement au ministère de l'intérieur mais aussi au niveau du CNR et du coordonnateur national du renseignement. Personnellement, je suis consterné que l'on n'ait toujours pas pris acte du fait que la gendarmerie fait du renseignement intérieur.

En ce qui concerne l'interconnexion des fichiers, qui est le sujet de votre dernière question, les États-Unis sont clairement allés trop loin dans cette direction car cette interconnexion est devenue elle-même un problème de sécurité. Quand le jeune soldat Manning a livré à WikiLeaks quelque 750 000 télégrammes classifiés du département d'État, il opérait à partir d'un fichier intégré.

Comme beaucoup de nos concitoyens, j'ai été frappé par le fait que la voiture emmenant M. Salah Abdeslam vers la Belgique dans la nuit du 13 au 14 novembre ait été contrôlée trois fois sans que cela pose de problème à son occupant. Je note que les Belges ont capturé M. Abdeslam vivant au bout de quatre mois, tandis qu'il a fallu quatre ans à nos services pour arrêter M. Colonna, présumé coupable de l'assassinat d'un préfet en Corse, dans une île de 200 000 habitants, soit à peu près la population de Molenbeek. Nous ne sommes donc pas bien placés pour donner des leçons aux Belges ou à nos autres partenaires européens en matière de renseignement.

Quand un individu cesse d'avoir recours à son téléphone, le réflexe professionnel est non pas de prolonger les écoutes, puisqu'il ne se passe plus rien, mais d'essayer de pister l'individu autrement. Je note que la surveillance du frère Kouachi en question était bonne quand il était dans le ressort de la préfecture de police de Paris, et qu'il est complètement sorti des radars une fois rendu à Reims ; j'en déduis que le dispositif parisien ne fonctionnait pas de la même manière que le dispositif en province, ce qui nous renvoie à la question des conséquences du démantèlement des renseignements généraux (RG) et à celle de l'intégration du renseignement d'origine gendarmesque en province.

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