Je confirme que, dès lors que les affaires sont judiciarisées, les services ne peuvent plus accéder aux renseignements. Par exemple, les services capables de décrypter et d'exploiter ce type de données ne peuvent le faire sur les téléphones ayant été saisis lors des perquisitions après le 13 novembre.
Il faut se demander si notre modèle antiterroriste, datant des années quatre-vingt et caractérisé par une forte relation entre le juge, spécialisé, et le service de sécurité intérieure, est encore un bon modèle. Il ne fait aucun doute qu'il faut pouvoir judiciariser mais ce n'est pas la seule voie. Chez nos amis britanniques, le service de sécurité intérieure n'a pas de compétence judiciaire et n'est pas non plus composé de policiers, mais il ne fait pas état de difficultés particulières pour transmettre des éléments à l'autorité judiciaire.
Je me permets d'appeler votre attention sur la publication, le 8 juillet prochain, du rapport de la commission Chilcot, le dernier avatar de l'examen de conscience britannique après l'Irak. Ce rapport relate la relation étrange qui s'est nouée sous Tony Blair entre l'autorité politique et les services, avec le constat que la proximité a aussi des limites. On y trouve une critique du JIC.
Aux États-Unis, on reprochait aux services, après le 11 septembre 2001, d'avoir oublié de « connecter les points », connecting the dots. Ils ont donc créé l'ISA, qui vise à s'assurer que les systèmes sont connectés.
Le mot « opération » n'a pas été prononcé. C'est un mot absent du langage politique et administratif français. Vous n'en trouvez la mention que dans la loi créant la délégation parlementaire au renseignement (DPR), qui indique que cette DPR n'a pas le droit de connaître des opérations en cours ou passées, mais personne ne sait ce qu'est une opération de renseignement. Une opération est une prise de risque qui nécessite une autorisation. Nous avons besoin d'un système bien défini d'autorisation et de prise de responsabilité ; la procédure n'existe pas.
La coopération internationale est la dimension la moins régulée du paysage français du renseignement. Dans la première lettre de mission du coordonnateur, le Président de la République demandait à M. Bajolet de s'assurer de cette coordination. Je crois comprendre qu'il n'en est rien. La seconde dimension du pilotage, c'est de faire en sorte que quelqu'un veille à ce que nous ayons de bonnes relations avec les partenaires étrangers ; la procédure, là non plus, n'existe pas.
Le renseignement est une affaire de tribus et de cultures, policière, militaire, d'autres encore ; il y a, comme disent les Américains, chiens et chats. Si l'on n'intègre pas cette dimension sociologique dans la réforme du renseignement intérieur de 2006-2008, et la forte sociologie policière de ces services, on ne peut comprendre pourquoi nous en sommes là.